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26 septembre 2011 1 26 /09 /septembre /2011 11:02

LEMONDE | 26.09.11 | 10h58   •  Mis à jour le 26.09.11 | 12h41

 
 

Le président et fondateur des laboratoires Servier, Jacques Servier, était entendu par un juge d'instruction, le 21 septembre 2011.

Le président et fondateur des laboratoires Servier, Jacques Servier, était entendu par un juge d'instruction, le 21 septembre 2011.REUTERS/CHARLES PLATIAU

A l'historien Jacques Marseille, à qui il s'est longuement confié en 2007 (Le médicament et la vie, Perrin), Jacques Servier expliquait : "Si j'habite à Paris depuis longtemps, c'est pour la seule raison que, dans notre pays, il faut constamment intriguer dans la capitale, multiplier les pas et les démarches, se débattre toujours." Les documents découverts par les enquêteurs dans le volet parisien de l'affaire du Mediator – une audience se tient lundi 26 septembre dans la procédure ouverte devant le tribunal de Nanterre – en disent long sur les "intrigues" du docteur Servier, le président-fondateur des laboratoires du même nom.

Cet ensemble de lettres et de cartons d'invitation retrouvés dans le secrétariat particulier de Jacques Servier, et que Le Monde a pu consulter, lève le voile sur un monde où les tables sont dressées à Neuilly ou à l'hôtel Meurice, où l'on déjeune avec le groupe Hottinger, "banquier et gérant de fortune", mais aussi avec Eric Woerth, alors ministre UMP du budget, ou l'actuel maire de Neuilly (divers droite) Jean-Christophe Fromantin. Bref, un monde où rien n'est laissé au hasard dans les rapports entretenus avec les décideurs. Il en va de l'avenir de la "Maison", de ses 20 000 salariés et de son chiffre d'affaires (3,7 milliards d'euros, en 2009-2010). Cela s'appelle du lobbying. Toutes les grandes entreprises le pratiquent. Chez Servier, il est minutieusement pensé, organisé.

Pour tisser au mieux ses liens avec le tout-Paris, le patron se fait rédiger des fiches sur les politiques et personnalités du monde du médicament. Celle de Philippe Douste-Blazy, frappée du sceau "confidentiel", et rédigée en 1992 par le docteur Patrice Labardens, un membre du groupe Servier. Elle détaille, à la manière d'un CV, la carrière médicale et politique de ce "très proche de Raymond Barre", qui, le "12 mars 1989, contre toute attente, est élu maire de Lourdes". La troisième rubrique, réservée aux "relations avec nous", juge ces dernières "excellentes". Et pour cause. Le cardiologue rejoint en 1986 le "groupe des consultants" du laboratoire. Il participe à l'expérimentation de l'anti-hypertenseur Coversyl et rédige des articles "sur honoraires".

De nombreux courriers attestent de liens tissés depuis le milieu des années 1980 avec ce jeune cardiologue toulousain, très vite rattrapé par la politique. Le laboratoire a commencé par lui financer (85 392 francs, soit environ 13000 euros) une étude épidémiologique sur l'infarctus du myocarde avant de l'aider, en 1992, à organiser des universités de la santé. A chaque victoire de son poulain dans les urnes, Jacques Servier prend le temps de rédiger un petit mot personnel auquel Philippe Douste-Blazy, qui fut ministre (UMP) de la santé en 2004-2005, répond en retour.

"RIEN D'ILLÉGAL"

Le lobby de Servier s'exerce jusqu'où on ne l'attend pas. Le FC Lourdes, ce club de rugby qui fut présidé par le grand-père de M. Douste-Blazy, fut ainsi très largement financé en 1998 (361 800 francs, soit 55 000 euros). Joint par Le Monde, l'ancien ministre de Jacques Chirac s'étonne d'une telle somme – "je ne sais pas ce qui s'est passé" – mais assure "qu'il n'y a rien eu d'illégal". Au reste, il nie tout "rapport privilégié" avec Servier. "Je n'ai jamais demandé, en tant que ministre, à un directeur d'administration d'augmenter le prix d'un médicament, affirme-t-il. Jamais, le laboratoire n'est venu présenter un amendement servant ses intérêts."

Mais il n'est pas le seul à être approché. Si l'on croit la fiche rédigée par le groupe sur Roselyne Bachelot, les contacts se nouent avec la députée de Maine-et-Loire, en 1992, lors d'un déjeuner avec "Servier, [Jean-Philippe] Seta [l'actuel directeur opérationnel du groupe] au cercle Hippocrate". La ministre a beau avoir assuré, le 21 septembre, n'avoir "jamais déjeuné ni en tête-à-tête ni en cercle restreint avec M. Servier", l'opération semble s'être renouvelée en 1994, 1995 et 1997.

Régulièrement, l'industriel convie politiques et scientifiques dans ce cercle Hippocrate de réflexion sur l'économie de la santé où il a ses habitudes. Il lui arrive aussi de décrocher une invitation à la table même des ministres de la santé. Le compte-rendu rédigé à la sortie de son déjeuner avec Bernard Kouchner, le 22 juillet 1998, alors secrétaire d'Etat (PS) à la santé, en dit long sur ses attentes. C'est Claude Nègre, l'un des collaborateurs de Servier, qui, dans une note de deux pages, rassemble les "impressions [qui] se sont dégagées ou ont été confirmées par ce déjeuner". "Bernard Kouchner m'a paru beaucoup plus calme, modéré, réaliste, voire modeste, que lors de son précédent ministère. Il a mûri", rapporte-t-il. A ce "libéral qui s'ignore", qui, visiblement, "abandonnait un certain nombre de préjugés à [leur] égard", le conseiller du Dr Servier estime qu'il "serait judicieux de profiter du temps que durera son ministère pour lui soumettre des propositions très structurées (…), lui apporter des idées simples, pratiques et efficaces, susceptibles de servir ses intérêts et de ménager les nôtres".

PETITES ATTENTIONS

Les personnalités du monde du médicament, également, sont mises en fiche. A la lecture d'un document d'avril 2001, on apprend ainsi qu'un membre du cabinet Kouchner est considéré comme ayant une "grande influence sur les sujets médicaux généraux". L'ancien patron de l'agence du médicament, Didier Tabuteau, "estimé par Matignon et Elisabeth Guigou, met son nez partout". "C'est l'homme au centre du système", avec ses amis et ses "ennemi(s) intime(s)", également fichés. Selon Servier, le professeur Lucien Abenhaim, qui fut directeur général de la santé de 1999 à 2003, fait pour sa part figure d'"autorité morale" "pour [ses] avis sur les médicaments". D'autres sont considérés comme sans "aucun pouvoir" ou "très antimédicament en général".

Mais il y a aussi les techniques plus classiques de lobbying. Comme inscrire ceux qui comptent (Elisabeth Guigou, qui fut ministre PS de l'emploi et de la solidarité entre 2000 et 2002, et son mari, Jean-Louis Guigou) sur la liste des VIP aux remises de Légion d'honneur. Ou envoyer du champagne de chez Fauchon (à 250 euros la caisse) aux médecins pour Noël.

En retour de ces "petites" attentions, il y aura bien quelque renvoi d'ascenseur… L'intervention du professeur Griscelli, qui a suggéré de nuancer les responsabilités de Servier dans le rapport du Sénat sur le Mediator, pourrait être lue comme telle quand on voit le nom du professeur sur la liste très restreinte des invités du Dr Servier pour son discours devant l'Académie des sciences morales et politiques, le 10 décembre 2007.

Emeline Cazi

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