Lettre de la City | | 01.11.11 | 15h04 • Mis à jour le 01.11.11 | 15h04
La City vit un drame antique ! Les banquiers sont devenus muets. Dans les débats, la gent financière pratique la politique de la chaise vide. La BBC s'arrache les cheveux pour trouver un gros ponte prêt à défendre les couleurs de la profession. Les hiérarques sont aux abonnés absents. Les seigneurs de l'argent ont visiblement pris la clé des champs, prétextant un agenda surchargé.
Cette grève de la parole, en fait, donne du grain à moudre au camp adverse et produit l'effet contraire à celui recherché. Les "indignés" anticapitalistes, qui ont planté leur tente sur le parvis de la cathédrale Saint-Paul, dominent l'agenda médiatique. Ils ont trouvé en renfort des banquiers repentis bourrés de remords, pour qui la City fomente les pires complots et cultive les plus noirs desseins.
La nature a horreur du vide. L'omerta s'est retournée contre les banquiers. Ainsi, un documentaire réquisitoire diffusé sur France 5 (La City. La Finance en eaux troubles) ne fait intervenir que les critiques les plus véhéments. Les diatribes des intéressés finissent par rendre sympathique la confrérie des grands argentiers. Le seul défenseur de la finance qu'a pu trouver le réalisateur est un gérant de hedge fund que l'on s'attend à voir jaillir la nuit tombée de la bouche du métro "Bank" brandissant une hache pour dévaliser de pauvres épargnants en haillons. Grotesque...
"Il existe une sorte d'accord tacite consistant à faire le dos rond et à se taire. Nous sommes inaudibles actuellement. Le débat est totalement émotif" : entre claques organisées et baffes à répétition, cette explication fleurit dans les salles de marchés. Un autre grand banquier utilise une comparaison avec l'art du placement pour défendre le bâillon collectif : "L'ABC de l'investissement est de ne jamais remettre d'argent quand un marché baisse. On attend le début d'un retournement pour amplifier le mouvement. Il en est de même avec les médias."
Hélas ! Trois fois hélas ! les préjugés ont la vie dure, se plaignent les opérateurs. La banque de dépôt, de nos jours, serait-elle mise sur un piédestal ? Les prêts aux particuliers ou aux entreprises ne sont pas exempts de risques, loin de là.
La faillite de la caisse hypothécaire Northern Rock, en 2007, est là pour en témoigner. Par ailleurs, le trading n'est pas spéculatif par nature, comme l'attestent les transactions pour le compte d'entreprises qui entendent se protéger sur les marchés à terme réglementés contre les variations des cours. Enfin, la gestion alternative tant montrée du doigt - le capital-investissement ou les fonds spéculatifs - n'a pas joué de rôle moteur dans la crise des subprimes comme dans celle de l'euro. Trois exemples qui reviennent comme un leitmotiv, quel que soit l'interlocuteur.
Dans ce contexte de hargne anti-banquiers, la célébration du 25e anniversaire du "big bang", la déréglementation de la Bourse de Londres par Margaret Thatcher, est passée quasi inaperçue.
Le 27 octobre 1986, la première place boursière européenne avait tiré définitivement un trait sur son passé de "club", ses us et coutumes, ses privilèges. Les mastodontes bancaires étrangers n'avaient fait qu'une bouchée des firmes de courtage britanniques, privées du jour au lendemain de leur rente de situation. La profession de banquier d'affaires engagé dans la spirale des privatisations, des fusions-acquisitions et de levée de capitaux, était alors plutôt bien vue. Les rémunérations étaient confortables sans être excessives, et le mode de vie discret et pas tapageur pour un penny.
Mais, au cours des années 1990, la finance a explosé, bombardée sur écrans à grands jets de chromos : cité à risques pour jeunes gens appuyant sur l'accélérateur sans ceinture de sécurité. Les banques universelles attrape-tout ont enflé. Les primes de fin d'année se sont envolées dans un environnement de concurrence sauvage. Il y a eu urgence à prendre les risques les plus fous.
La spéculation est devenue reine, alors que les scandales et les conflits d'intérêts ont fait florès. Après l'humiliation de la sortie du sterling du système monétaire européen sous les coups de boutoir du spéculateur George Soros lors du "mercredi noir" de 1992, les élites politiques, de gauche comme de droite, ont évité à tout prix tout conflit avec la City. Avec les résultats catastrophiques que nous connaissons aujourd'hui...
Pour David Kynaston, historien, auteur de City of London : The History (paru le 3 novembre, non traduit), la place financière ayant survécu à la crise de 2007-2008 est à la croisée des chemins. Pour prospérer face à l'hostilité du public, des réformes urgentes sont nécessaires : "Il faut pour cela une volonté politique irrévocable faute de quoi le monde financier risque à nouveau de rencontrer de fortes turbulences."
Dans le cadre du nécessaire assainissement, Brian Winterflood, l'un des caciques du Square Mile, propose de créer un musée de la finance, à l'instar de New York et de Francfort : "Il s'agira d'expliquer à un large public les bienfaits et les défauts du capitalisme financier."
Cette initiative aurait au moins un mérite, permettre aux banquiers de rompre la règle du silence.
roche@lemonde.fr