| 14.02.12 | 11h27
Pendant combien de temps l'Etat continuera-t-il à ne pas appliquer un droit qu'il a lui-même instauré? Vendredi 10 février, la plus haute juridiction administrative française, le Conseil d'Etat, a rappelé une nouvelle fois aux pouvoirs publics leurs obligations en matière d'hébergement d'urgence.
"Il appartient aux autorités de l'Etat de mettre en œuvre le droit à l'hébergement d'urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale", dit l'arrêt du Conseil, avant de poursuivre: "Une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette tâche peut (…) faire apparaître une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée." Qualifiée d'"historique" par l'association Droit au logement (DAL) à l'origine de la procédure, cette décision est dans la droite ligne de ce qui avait été déjà affirmé par la loi Dalo (droit au logement opposable) votée en mars 2007.
"Par cet arrêté, les juges disent clairement, et une nouvelle fois, que l'Etat a l'obligation d'assurer l'hébergement des sans-abri. Il n'y a aucune ambiguïté sur le devoir de l'Etat en la matière. Le Conseil d'Etat réaffirme aussi que ce dernier ne peut pas s'en sortir en faisant une hiérarchie dans les demandes d'urgence", explique Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées.
UNE PROCÉDURE PLUS RAPIDE
Symboliquement très forte, cette décision ouvre aussi de nouvelles possibilités juridiques aux demandeurs. Ils peuvent désormais saisir le tribunal administratif en "référé liberté" et obtenir une injonction à l'Etat de les héberger. "Cette nouvelle possibilité est intéressante car elle est beaucoup plus rapide que la procédure classique, faite dans le cadre du Dalo, estime Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé Pierre. Avec le “référé liberté”, le juge doit se prononcer en quarante-huit heures, et il a la possibilité de demander au préfet d'héberger sous astreinte le demandeur", poursuit M. Robert. Dans le cadre du Dalo, après réception de la demande, les délais de réponse de la commission qui instruit les dossiers sont de six semaines.
Pour autant, ce nouveau rappel à l'ordre de l'Etat ne va pas tout résoudre. Beaucoup de ménages, bien que jugés prioritaires, ne se voient pas proposer de logement ou d'hébergement. "Est-ce que l'Etat va accepter de demeurer hors la loi comme il le fait actuellement, ou est-ce qu'il va en tirer les conséquences pour augmenter les capacités d'hébergement?", s'interroge Bernard Lacharme.
Selon le rapport du comité de suivi du Dalo publié en novembre 2011, la part des recours déposés en vue de l'obtention d'une place d'hébergement n'a cessé d'augmenter. En 2011, ils ont représenté 15 % des recours, contre 7 % en 2008. Dans ce contexte, les condamnations de l'Etat par les tribunaux administratifs pour non mise en œuvre des décisions de logement ou d'hébergement se multiplient.
En 2011, le montant des astreintes payées par les pouvoirs publics a atteint 9,3 millions d'euros. Ces sommes ont été reversées à un fonds régional d'aide au logement… c'est-à-dire à l'Etat.
Catherine Rollot