On sait que l’usure prématurée est la donnée politique la plus répandue. Mais nul n’aurait prévu que François Hollande verrait son image publique tomber aussi vite et aussi bas.
Certes, la crise (qui ne date pas d’hier) y est pour beaucoup. Certes, le bilan (économique et moral) légué par le Sarkozysme a laissé des plaies béantes. Mais cela n’explique pas cet état de dégradation accélérée digne d’un paysage après la bataille.
Il y a environ un an, l’historien
Emmanuel Todd avait théorisé ce qu’il avait appelé le « Hollandisme révolutionnaire », dégageant sous les traits du candidat socialiste de l’époque les traits d’un Roosevelt à la française. Il en est revenu. D’autres, qui l’avaient suivi dans cet élan d’enthousiasme, pas encore, même s’ils commencent à être tiraillés par le doute.
Reste à savoir pourquoi le Roosevelt présumé a accouché d’une baudruche, et pourquoi le mythe du
« Hollandisme révolutionnaire » s’est transformé en
« Hollandisme récessionnaire », avec un bilan économico-social dévastateur.
Certains, y compris au PS, n’hésitent pas à mettre en cause la méthode Hollande, si ce n’est le personnage lui-même. Ils lui reprochent de diriger le pays comme il dirigeait le PS, en loup solitaire, sans jamais vraiment trancher, en essayant de marier l’eau et le feu, avec un art de la combinazzione qui peut fonctionner à l’échelle d’un conseil général, mais pas au niveau d’un pays.
C’est possible, voire probable. Mais ce n’est pas l’essentiel.
L’essentiel, c’est que le PS est arrivé au pouvoir avec un logiciel dépassé. En temps de crise, cela ne pardonne pas. Le retour de manivelle est immédiat. La sanction se paie cash. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour tous les partis sociaux démocrates en Europe, balayés les uns après les autres.
La social-démocratie a eu son heure de gloire du temps des
« Trente glorieuses » quand elle pouvait apporter un supplément d’âme social à la gestion du capitalisme, alors en expansion. Mais depuis que ce système est entré en crise, à la fin des années 70, les possibilités de jouer sur la répartition se heurtent au mur de la finance et aux exigences de rentabilité du capital. Pour n’avoir pas pensé l’alternative au capitalisme financiarisé et prédateur, la social-démocratie s’est retrouvée nue.
Cela ne date pas d’aujourd’hui. Depuis 1983, l’histoire de la gauche est l’histoire de son renoncement idéologique. Michel Rocard le confesse (tardivement) dans
Le Point : « Notre faute, c’est d’avoir cru au marché et à son autorégulation ». Et d’y croire encore, ce qui confine à l’aveuglement. L’ancien Premier ministre précise, non sans raison :
« Il faut changer unilatéralement le pacte qui existe entre les Etats et le monde de la finance ». Du coup, ajoute-t-il,
« la gauche est en train de gérer à la Merkel, elle va en crever ». Bon. La saillie rocardienne est facile. L’Ex fait partie de ces hommes dont la lucidité ne s’épanouit qu’en étant loin des postes de commande.
C’est sous son magistère, avec Pierre Bérégovoy aux finances, qu’a eu lieu la folie dérégulatrice qui a permis à la finance d’instaurer son règne sans partage.
Mais ne lui faisons pas de procès a posteriori. L’important est qu’il arrive à une constatation de bon sens. La gauche de gouvernement, nonobstant ses engagements de campagne sur la finance ennemie, et ses premières décisions (notamment sur la fiscalité des riches), a vite renoué avec ses vieux démons. Elle est retournée à ses réflexes socio-libéraux, oubliant ses promesses de changement.
Voilà pourquoi elle se retrouve piégée.
Economiquement, elle est enfermée dans le pacte budgétaire européen (qu’elle n’a pas renégocié) qui fait de la lutte contre les déficits l’unique priorité. Résultat : l’austérité étouffe la consommation, freine la croissance, fait exploser le chômage, et creuse les déficits, comme partout ailleurs.