Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

La « Troïka » grecque se fait bousculer par les eurodéputés

| Par Ludovic Lamant


De notre envoyé spécial à Bruxelles

A la tribune, les trois hommes en costume n'en mènent pas large. Convoqués mardi dans les locaux bruxellois du Parlement européen, ils répondent aux dizaines de questions d'élus qui fusent de la salle, dans un anglais pas toujours limpide, sans jamais sortir la tête des notes rédigées par leurs conseillers. Ce trio, inconnu de l'immense majorité des Européens, fixe, depuis bientôt deux ans, les grandes lignes de la sortie de crise de la Grèce. Avec des résultats difficiles à défendre sur le terrain – une récession de 6,9 % en 2011, un taux de chômage à plus de 21 % en ce début d'année, et toujours autant d'inquiétudes sur l'avenir de ce pays à bout de souffle.

Ces trois experts sont les dirigeants de la « Troïka » : Olli Rehn, commissaire européen aux affaires économiques (finlandais, à gauche), Jörg Asmussen, membre du directoire de la Banque centrale européenne (allemand, au centre), et Poul Thomsen, chef de la mission du Fonds monétaire international (FMI) à Athènes (danois, à droite). Ensemble, ils ont rédigé la longue feuille de route qui s'impose aux autorités grecques (le « mémorandum »), en l'échange de quoi Bruxelles débloque, avec le FMI, des méga-prêts pour éviter au pays la faillite.

 

Au Parlement européen, cette convocation est une première, que l'on doit au groupe socialiste, la deuxième force politique de l'hémicycle. «La Troïka n'est pas assez transparente dans son fonctionnement, et ne semble pas non plus très efficace. Elle doit rendre davantage de comptes devant les élus, et cette rencontre constitue une première étape encore modeste», explique Hannes Swoboda, le chef de file des socialistes, à l'initiative du débat.

Depuis deux ans, les eurodéputés sont relégués au rang d'observateurs de la gestion de crise. Ils ont assisté, frustrés, à la batterie de conseils européens « de la dernière chance », où se réunirent les chefs d'Etat et de gouvernement, sans avoir prise sur quoi que ce soit.

«Les trois hommes de la Troïka me rappellent les trois singes du conte chinois : ne pas voir, ne pas entendre, ne pas parler...», a ironisé, en pleine séance, Robert Goebbels, un élu luxembourgeois socialiste, fraîchement rentré d'une mission à Athènes. Les députés sont nombreux, pendant les deux heures d'échanges ce mardi, à avoir critiqué les effets contre-productifs de la politique d'austérité, la surdité de la Troïka à l'égard du malaise social en Grèce, ou encore l'échec du premier programme d'«ajustement budgétaire» enclenché en mai 2010.

«Plus la Grèce met en œuvre le remède, et plus elle tombe en récession. Est-ce que la Troïka va finir par reconnaître qu'elle fait fausse route ?» s'est emportée la socialiste portugaise Elisa Ferreira. «On est une fois de plus en plein déni», a regretté Philippe Lamberts, un élu Verts de Belgique, qui estime que l'action de la Troïka, dès 2010, n'a fait qu'aggraver la crise, et qu'elle doit répondre de ces actes. «Vous est-il arrivé, messieurs, de douter un jour de la pertinence des hypothèses sur lesquelles reposent vos politiques ?» a demandé de son côté Liêm Hoang-Ngoc, socialiste français.

« Des humains au bout du rouleau »


Droits dans leurs bottes, les « experts » à la tribune ne se sont pas démontés et ont défendu les vertus de l'austérité. Le premier programme d'aide n'a pas fonctionné, a rétorqué Jörg Asmussen (BCE), «non pas parce qu'il était mauvais, mais parce qu'il n'a pas été correctement appliqué» par les Grecs. Et le commissaire européen Olli Rehn d'avancer les «deux talons d'Achille» de la Grèce : la «capacité de l'administration», que la Troïka aurait, dans un premier temps, sur-estimée, et surtout «le manque d'unité politique» qui compliquerait la donne.

«Le salaire minimum en Grèce est supérieur de 50 % à celui du Portugal, et de 20 % à celui de l'Espagne (...) Il faut donc aligner les salaires, pour s'attaquer au niveau inacceptable du chômage des jeunes», a poursuivi Poul Thomsen, du FMI, sans ciller. «Derrière vos chiffres, il y a des humains qui sont au bout du rouleau», lui a retourné un élu grec du Parti populaire européen (PPE, droite), Konstantinos Poupakis.

Est-ce que le deuxième plan, conclu en mars de cette année, a davantage de chance de réussir que le premier ? Travaillez-vous déjà sur des alternatives, B, C ou D, en cas d'échec du plan en cours ? Réponse prudente d'Asmussen : «Ce programme peut réussir (...) s'il est mis en œuvre à 100 %, sur toute la durée du programme, et si tous les partis politiques le font leur.»

Cette rencontre intervient à quelques semaines d'élections anticipées, en Grèce (prévues pour fin avril ou début mai), qui s'annoncent délicates. Les sondages donnent la droite de Nouvelle démocratie en tête, mais rien ne dit que ce parti obtiendra une majorité pour gouverner seul. Et beaucoup de formations font campagne contre le programme d'austérité de la Troïka. Le scénario est donc très incertain, tout comme l'avenir du « mémorandum ».

«Je constate que vous n'avez pas fait référence au concept de justice sociale, pendant vos interventions», a conclu la socialiste française Pervenche Berès, qui co-présidait les débats. «J'ai un regret, j'aurais dû vous apporter un exemplaire du livre de [l'économiste britannique Richard] Wilkinson, qui montre que l'efficacité économique repose aussi sur la justice sociale...»

Dans son rapport sur la crise, bouclé en juin 2011, la socialiste française proposait d'intégrer, au sein de la Troïka, un représentant de l'Organisation internationale du travail (OIT), afin de mieux prendre en compte les réalités du marché du travail sur le continent. Le groupe des socialistes européens a également mis sur pied, depuis peu, une « troïka alternative », qui s'est rendue à Athènes en mars. Cette petite équipe propose, entre autres pistes, le lancement en Grèce d'une « agence pour l'investissement et la croissance ». Alternative – aux contours encore très flous – à la politique de rigueur carabinée en vigueur à Athènes ?

 


Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article