Les Islandais pourraient faire d'une pierre deux coups, le 30 juin prochain: voter, comme il est prévu de longue date, pour un chef d'Etat, et se prononcer, au même moment, sur le projet d'une nouvelle constitution, censée tourner la page de la crise financière sur l'île. L'avocate Katrin Oddsdottir, l'une des membres de cette Assemblée constituante, veut y croire. Elle était l'invitée, aux côtés d'autres activistes et «indignés» à travers le monde, d'une journée organisée à Paris le 15 janvier, par Attac-France, autour des questions de dette et démocratie.
Son témoignage a posé une question revigorante à la salle: le scénario à l'islandaise pourrait-il se propager à l'Europe toute entière, alors que l'Union semble plus que jamais menacée d'implosion? En octobre 2008, l'Islande fait faillite. Les 320 000 insulaires découvrent, abasourdis, l'essor extravagant des banques islandaises au cours des années 2000, et la corruption de leur classe politique, à l'origine du krach. Des citoyens en colère s'emparent de la rue.
Ils seront près de 50.000, au plus fort de la mobilisation, à se rassembler, devant le Parlement islandais, en fin d'année. Le gouvernement conservateur démissionne. De nouvelles élections sont organisées début 2009, qui donnent la victoire à un gouvernement de centre gauche. Surtout, un scrutin un peu particulier désigne, l'année suivante, 25 citoyens, chargés d'écrire une nouvelle Constitution. Leur idée: pour sortir de la crise, l'Islande doit aussi en finir avec sa Constitution sclérosée, un simple copié collé d'une vieille constitution danoise.
Les débats durent plusieurs mois, retransmis sur un site internet, alimentés par des contributions d'internautes. A l'été 2011, le texte est finalisé, et traduit en anglais. Depuis, les députés, soucieux de conserveur leurs positions, freinent des quatre fers pour organiser un référendum en bonne et due forme. Mais l'élection présidentielle pourrait offrir l'occasion rêvée de proposer ce texte aux citoyens (Mediapart a déjà raconté l'aventure islandaise à travers une série de reportages à Reykjavik, et un article plus récent).
Pourrait-on lancer une «constituante» en Europe, pour réconcilier les citoyens avec l'Union, sur le modèle islandais? Le projet séduit en tout cas Yves Sintomer, sociologue à l'université Paris-8, lui aussi présent autour de la table, dimanche lors du débat organisé par Attac. Ce chercheur, spécialiste des techniques de la démocratie et des «votations citoyennes», a même dessiné, à grands traits, un scénario possible: un tirage au sort, à grande échelle, de citoyens aux quatre coins du continent, qui seraient appelés à écrire une nouvelle constitution européenne. Un texte qui pourrait, pourquoi pas, être soumis au vote lors des européennes de 2014.
Avantage de cette technique, selon Sintomer: elle ignore les partis politiques, qui tendent à nationaliser les débats sur l'Europe. Et pourrait aboutir à la formation d'un véritable espace public européen, comme l'Union en a connu à de trop rares occasions (les manifestations contre la guerre en Irak, en 2003, par exemple). Dans un long entretien accordé à Mediapart en décembre, le sociologue expliquait déjà: «Au vu de la profondeur du décrochage des classes populaires par rapport à la politique, je trouverais utile de réactiver l’idée de recourir au tirage au sort. Cela augmenterait la diversité sociale des représentants qui se prononcent sur les affaires publiques du pays».
Egalement présente à la table dimanche, Cécile Stratonovitch, une «indignée» française, a précisé, de son côté, que l'écriture d'une loi fondamentale, pour l'Europe, serait mise en débat, au sein de son collectif, en février.
Bien sûr, cette proposition, alternative énergique au laborieux «pacte budgétaire» voulu par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, en cours de rédaction à Bruxelles, peut faire sourire certains. Totalement irréaliste, jugeront-ils, et ils n'auront pas tout à faire tort. D'autant que l'Islande et ses 320.000 habitants, ne pèsent pas lourd face aux 400 millions d'Européens. Cette idée s'inscrit pourtant dans un débat décisif, si l'on veut sortir l'Europe du marasme actuel.
S'il n'aboutit pas aux mêmes propositions, Maxime Lefebvre, directeur des relations internationales à l'ENA, dresse à peu près le même diagnostic, dans un article publié par la revue Politique étrangère, qui consacre son dernier numéro à la «déconstruction» de l'Europe. Le projet européen, écrit-il, est englué dans une triple crise: celle de sa gouvernance (rongée par le «déficit démocratique»), de son identité (une Europe de plus en plus fragmentée, malmenée par les élargissements à répétition) et de son moral («l'Europe apparaît comme usée»).
Dans ce contexte, l'un des remèdes, pour avancer et «réenchanter le rêve européen», consisterait, selon Maxime Lefebvre, à «re-politiser» l'Union. Par exemple en constituant «des listes transnationales aux élections européennes», et en organisant «des primaires transnationales pour désigner le candidat à la présidence de la Commission». Alors que la zone euro s'approche toujours plus près du ravin, une bonne nouvelle prend forme, dans l'urgence: les langues se délient, et le chantier institutionnel se rouvre.