C'est l'ancien ministre du Budget qui a sonné la charge dans un entretien aux Echos, le 15 janvier. Applaudissant sans retenue une proposition du patronat qui préconisait une violente désindexation des retraites complémentaires pouvant entraîner une perte de pouvoir d'achat de 1 % à 1,5 % l'an, il s'était empressé de dire qu'une telle voie, si elle était ratifiée par les partenaires sociaux, pourrait être «un élément d'appréciation très important» pour le gouvernement, avant qu'il ne mette en chantier la réforme du régime général.
Car, c'est bien connu, les retraités vivent dans l'opulence. Les chiffres du dernier rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) en font foi : à fin 2010, le montant moyen de la pension dite de droit propre (hors réversion et hors majoration pour trois enfants et plus) s'élève à 1 216 € par mois (1 552 € pour les hommes et 899 € pour les femmes). Exorbitant, n'est-ce pas ?
C'est ensuite la ministre de la Santé et des Affaires sociales qui est montée au front, le 10 mars, pour prévenir que, forcément, «des efforts» seront demandés à «tous les Français», de sorte que le déficit de tous les régimes de retraite n'atteigne pas 20 milliards d'euros d'ici à 2020, comme le redoute le COR. «Rien ne doit être a priori exclu», a prévenu la ministre. Ni l'allongement de la durée d'activité, ni une nouvelle réforme des régimes spéciaux de retraite.
Bref, tout cela ressemble à une préparation psychologique : attention, une nouvelle purge sociale arrive ! Après les arbitrages en faveur d'une politique salariale très restrictive, après plusieurs plans d'économies budgétaires, dont le dernier vient à peine d'être annoncé, ce sont donc les comptes sociaux qui vont être passés à la Moulinette de la politique d'austérité. L'austérité, encore et toujours. L'austérité pour seul horizon. L'austérité sans fin.
Mais on aurait tort de ne voir dans ces annonces qu'un simple prolongement des plans de rigueur de ces derniers mois. Il y a beaucoup plus grave que cela ! C'est une privatisation rampante de la Sécurité sociale qui est actuellement à l'œuvre et que la prochaine réforme pourrait accélérer.
Nulle exagération dans ce constat ! Au fil des ans et des réformes des retraites qui se sont succédé - et, à chaque fois, promis, juré, ce devait être «la der des ders» -, les conditions de départ à la retraite ont été allongées ou se sont détériorées. En particulier, la variable-clé, celle du taux de remplacement, c'est-à-dire le montant de la pension de retraite en pourcentage de ce qu'était le salaire, n'a cessé de se dégrader. Dans un précédent rapport, le COR escomptait ainsi une baisse de 8 % du taux de remplacement à l'horizon 2020 - c'est-à-dire une violente baisse de pouvoir d'achat pour les personnes arrivant en âge de partir à la retraite. Et une projection faite par un organisme de retraite complémentaire estimait qu'un complément d'épargne annuel de 40 à 110 milliards d'euros serait nécessaire pour maintenir le niveau de vie des futurs retraités.
En clair, les régimes de retraite par répartition remplissent de moins en moins bien leur office. Et, par contrecoup, cette défaillance fait le jeu des systèmes de retraite par capitalisation - individuels ou d'entreprise. En quelque sorte, la misère des régimes par répartition fera la fortune demain des systèmes d'assurance privée.
Or, ce qu'il y a de très inquiétant, c'est que le même processus de siphon est à l'œuvre avec l'assurance maladie. Car de moins en moins de Français ont les moyens de souscrire à une mutuelle ou à un régime complémentaire - près de 4 millions de personnes n'ont pas de ressources suffisantes et doivent donc renoncer aux soins (dentaires, etc.) les moins bien remboursés. Et, du fait notamment des déremboursements qui se sont multipliés depuis deux décennies, la part des dépenses de santé qui reste à la charge des ménages après remboursement de la Sécu et des complémentaires santé ne cesse de progresser, pour atteindre désormais presque 10 % - pour être précis, 9,6 %, selon la dernière statistique officielle.
Il faut donc bien mesurer ce dont la Sécurité sociale, et notamment les régimes de retraite, ont besoin : ce n'est pas d'un énième replâtrage. Non, c'est d'une véritable refondation. Pour éviter que l'une des plus belles promesses du Conseil national de la Résistance, mise en chantier dès la Libération par l'ordonnance du 4 octobre 1945, ne soit remise en cause. Car, pour l'heure, c'est ce qui se profile. Voilà quelques années, l'ancien numéro deux du patronat, Denis Kessler, avait, dans une formule provocatrice, demandé à la puissance publique de se fixer pour projet de «défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance». Insidieusement, c'est ce qui est en train d'advenir...
*laurent.mauduit@mediapart.fr