Source : www.mediapart.fr
La politique de François Hollande ruine les chances d’une reprise. La preuve par deux rapports: celui de la rapporteure générale (PS) du budget à l’Assemblée, Valérie Rabault, et la dernière « Note de conjoncture » de l’Insee qui prévoit une croissance molle, un nouveau sommet pour le chômage et une quasi-stagnation du pouvoir d'achat.
Les députés socialistes qui, profitant de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi de finances rectificative pour 2014, contestent les orientations de la politique économique, ont mille fois raison de conduire cette bataille. Car la politique d’austérité impulsée par François Hollande et Manuel Valls ruine les chances d’une relance durable de la croissance, ponctionne le pouvoir d’achat des Français et fait le lit du chômage. La preuve, ce sont, coup sur coup, deux rapports publics qui l’apportent: d’abord, celui de la rapporteure générale (PS) du budget à l’Assemblée, Valérie Rabault, qui a été dévoilé ce week-end ; ensuite, la dernière « Note de conjoncture » de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui a été rendue publique mardi 24 juin dans la soirée.
La première étude, Mediapart l’a déjà présentée, lundi 23 juin, dans cet article : A l’Assemblée, la bataille du budget est lancée. Il s’agit du rapport établi par Valérie Rabault, rapporteure générale (PS) du budget à l’Assemblée, à la veille du débat budgétaire qui doit tout à la fois examiner le plan d’austérité de 50 milliards d’euros et le cadeau de 30 milliards d’euros apporté aux entreprises.
Ce rapport, on peut le télécharger ici ou le consulter ci-dessous :
Ce que dit la rapporteure générale du budget constitue une mise en cause radicale de la politique économique suivie par le chef de l’État et le premier ministre. « Selon les prévisions établies par le ministère des finances et des comptes publics dont dispose la Rapporteure générale, le plan d’économies de 50 milliards d’euros proposé par le gouvernement pour la période 2015 à 2017, soit une réduction des dépenses de plus de 2 points de PIB, aurait ainsi un impact négatif sur la croissance de 0,7 % par an en moyenne entre 2015 et 2017, et pourrait entraîner la suppression de 250 000 emplois à horizon 2017. »
Le constat n’est pas nouveau. Depuis que la crise économique a commencé, en 2007, de nombreux économistes alertent sur le fait que la réduction à marche forcée des déficits publics en Europe produit un effet strictement opposé à celui qui est officiellement escompté. Les plans d’austérité mis en œuvre pour atteindre cet objectif sapent toute possibilité de rebond économique, font le lit du chômage et limitent les rentrées de recettes fiscales, ce qui creuse les déficits que l’on était supposé diminuer. En clair, c’est une politique qui s’auto-annule.
Mais le fait que ce constat soit repris à son compte par la rapporteure générale du budget à l’Assemblée qui, de surcroît, est une socialiste, donne une tout autre portée à cette alerte. Une portée d’autant plus forte que les chiffres cités par l’experte proviennent du ministère des finances lui-même et peuvent difficilement être taxés de partialité. En outre, ces chiffres retiennent d’autant plus l’attention qu’ils montrent bien que les effets de la politique d’austérité seraient non pas marginaux mais… massifs ! Près de 0,7 % de croissance en moins chaque année, près de 250 000 emplois en moins : les statistiques de Bercy établissent bien que le gouvernement, contrairement à ce qu’il prétend, a fait le choix d’une politique clairement récessive.
Dans un premier temps, le gouvernement a été ébranlé par ces chiffres et a usé de la langue de bois pour essayer d’en minimiser la portée. Ce fut le cas par exemple du ministre des finances, Michel Sapin, qui, lundi matin sur France Info, a tourné en dérision ces chiffres, faisant valoir qu’il s’agissait de « calculs en chambre, extraordinairement théoriques ».
Cette vérité de bon sens selon laquelle la marche forcée au désendettement en période de stagnation économique a des effets pervers majeurs, il est pourtant impossible de la balayer. Et même les plus néolibéraux des socialistes sont contraints, les uns après les autres, d’en convenir, tel l’ex-ministre des finances, Pierre Moscovici qui, battant les estrades pour essayer de décrocher un poste de commissaire européen, a lâché ce mardi matin sur iTélé ce constat, totalement à rebours de la politique qu’il a lui-même conduite : « Le désendettement sans croissance, cela ne marche plus. »
L'Insee infirme la prévision de Bercy
Alors, que va donc dire le même Michel Sapin, maintenant que l’on connaît la dernière « Note de conjoncture » que l’Insee vient de publier et qui présente ses prévisions économiques d’ici à la fin de l’année 2014 ? Sans doute va-t-il s’appliquer à les tourner, elles aussi, en dérision, car elles présentent la même singularité, celle de constituer un réquisitoire contre la politique économique néolibérale suivie par le gouvernement.
L’Insee dit, certes, les choses à sa manière, qui est toujours très diplomatique ou elliptique. Et il ne présente pas de simulations spécifiques sur les impacts probables à court terme du pacte dit de responsabilité. Mais le constat d’ensemble vient compléter l’alerte de Valérie Rabault – et contredire le ministre des finances.
Cette « Note de conjoncture », on peut donc la télécharger ici ou la consulter ci-dessous :
« La croissance revient mais ne décolle pas »… Dès son titre, cette note de l’Insee donne le ton : la reprise économique qui aurait pu venir est, en vérité, bridée. Parce que l’Europe, assommée par les plans d’austérité, jouit d’une reprise très faible, ce qui limite l’ampleur de la demande adressée à la France. Et aussi parce qu’en France, les courroies d’entraînement du moteur de la croissance sont en partie grippées. Au total, la reprise n’est donc pas au rendez-vous, comme l’établit le tableau ci-dessous :
Après une croissance nulle au premier trimestre de 2014 (0 %), la croissance n’atteindrait que +0,3 % au deuxième trimestre de cette année, et resterait exactement à ce même rythme de progression au troisième et au quatrième. Une croissance raplapla, donc ! Au total, elle ne dépasserait pas 0,7 % au cours de cette année 2014, après une croissance de seulement 0,4 % aussi bien en 2012 qu’en 2013.
Avec cette prévision, l’Insee vient donner tort au gouvernement, qui a adossé son projet de loi de finances rectificative à une hypothèse de croissance sensiblement plus élevée, de 1 % en 2014. Pour dire vrai, ce désaveu n’est pas franchement une surprise. Voici à peine quelques jours, le Haut Conseil des finances publiques (dont le président est Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes) avait déjà jeté le doute sur la sincérité des hypothèses économiques du gouvernement, dans un avis que l’on peut consulter ici.
« Avec une croissance nulle au 1er trimestre et un acquis de croissance de 0,3 %, la prévision de croissance de 1,0 % pour l’année 2014 suppose une forte accélération de l’activité à partir du 2e trimestre. Cette accélération n’apparaît pas dans les indicateurs conjoncturels, ce qui rend l’atteinte de l’objectif de croissance en 2014 moins probable », pouvait-on notamment lire.
Mais comme il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, Michel Sapin avait, cette fois encore, rétorqué que tout cela n’était que bêtises et billevesées. « La prévision de 1 % peut parfaitement être atteinte grâce à (…) deux moteurs qui s’allument », avait rétorqué le ministre des finances lors d’une conférence de presse, en référence au pacte de responsabilité qui prévoit des aides à la compétitivité des entreprises, et à la politique offensive de la Banque centrale européenne.
Chômage en hausse, pouvoir d'achat en stagnation
Mais voilà que l’Insee donne raison tout à la fois au Haut Conseil des finances publiques et à… Valérie Rabault. Car c’est bien évidemment la politique économique restrictive, dont le principal ressort est le plan d’austérité de 50 milliards d’euros, qui contribue à cette croissance ultra-molle, à peine supérieure à la croissance zéro.
Le camouflet pour le gouvernement et l’Élysée est d’autant plus spectaculaire que François Hollande a joué récemment les « Madame Irma » et proclamé qu’il avait vu la reprise économique dans sa boule de cristal. « On est entré dans la deuxième phase du quinquennat, le redressement n'est pas terminé, mais le retournement économique arrive », fanfaronnait-il le 4 mai dernier (Lire Croissance et chômage : Hollande, l’extralucide !).
Tout se déroule donc à rebours de ce qui était prévu : la politique d’austérité bride la croissance au point de l’étouffer presque, au moment même où le chef de l’État fait des communiqués de victoire. Il suffit d’ailleurs d’entrer un peu plus avant dans la lecture de cette « Note de conjoncture » de l’Insee pour comprendre quelles sont les courroies d’entraînement du moteur de la croissance qui sont grippées.
Un premier constat saute aux yeux : si la croissance est à ce point anémiée, c’est d’abord parce que les ménages paient un lourd tribut à la politique d’austérité, avec une stagnation de leur pouvoir d’achat et une envolée continue du chômage.
Le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages ne progresserait ainsi que de 0,7 % en 2014. Mais cette statistique est trompeuse, parce qu’elle prend en compte l’augmentation du nombre des foyers. L’Insee calcule donc aussi le pouvoir d’achat, en neutralisant les effets démographiques, et ces autres modes de calculs sont beaucoup plus proches de ce que ressentent effectivement les ménages. Or, dans ce cas, la réalité est beaucoup plus sombre : le pouvoir d’achat par unité de consommation ne progresserait que de 0,1 % en 2014 (après -0,6 % en 2013) ; et par ménage, il baisserait même de 0,2 %. Allez vous étonner, ensuite, que la consommation des ménages (+0,3 % seulement prévu en 2014, un niveau aussi faible qu’en 2013) reste poussive et ne contribue pas à la reprise économique.
Les évolutions du marché du travail invitent aux mêmes constats. L’Insee livre de ce point de vue des chiffres alarmistes. Il relève en effet que l’emploi total ne progresserait que de 54 000 postes en 2014. Mais cette évolution très faible ne proviendrait que des emplois aidés. Les emplois du secteur marchand devraient, eux, baisser de 22 000 postes sur l’ensemble de l’année. À constater ce chiffre, on peine donc à mesurer les effets supposés des crédits d’impôts accordés aux entreprises par le gouvernement : s’ils ont sûrement des effets d’aubaine, ils n’ont en tout cas, comme le confirment ces statistiques, aucun effet économique.
Du même coup, l’emploi sera trop peu dynamique pour contenir la déferlante du chômage.
Au deuxième trimestre 2014, écrit l’Insee, « le taux de chômage augmenterait à nouveau légèrement, à 10,2 % (9,8 % en France métropolitaine) ; puis, avec la légère hausse attendue de l’emploi total, il se stabiliserait à ce niveau au second semestre ». En clair, la célèbre promesse de François Hollande de parvenir à une inversion de la courbe du chômage avant la fin de 2013 ne devrait toujours pas être honorée à la fin… de 2014 !
Bref, de toutes les statistiques, c’est la même et triste réalité qui transparaît : le plan d’austérité étouffe le pays, quand il faudrait lui donner de l’oxygène. On peut dire les choses avec plus de brutalité : plus isolé que jamais, François Hollande s’entête dans une politique économique néolibérale dont l’échec est patent, alors qu’il faudrait d’urgence inventer une politique plus audacieuse et surtout plus solidaire…
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