Plusieurs députés s’alarment de l’avenir du projet de loi sur la dépendance des personnes âgées, promis par le président de la République. Une taxe créée en 2012 était censée assurer son financement. Mais dans le budget 2014, le produit de cette taxe part ailleurs.
Les projets de loi de finances recèlent souvent des vices cachés et, pour les députés, le jeu consiste à les traquer. C’est ce qu’ont fait plusieurs parlementaires PS qui suivent le dossier des personnes âgées et qui ont vu disparaître la ligne budgétaire consacrée à la dépendance. Au point que les doutes resurgissent sur l’avenir de la loi sur l’autonomie promise par François Hollande.
Le dossier est apparemment technique, mais l’enjeu hautement politique : dans le projet de loi de finances (PLF) et celui du financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014, présenté la semaine dernière, une ligne a attiré leur attention. Celle concernant la « Casa », la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie. Votée l’an dernier, elle devait assurer, avec le lundi de Pentecôte, le financement de la loi sur l’autonomie des personnes âgées, prévue l’an prochain et préparée par la ministre déléguée Michèle Delaunay. Mais pour la deuxième année consécutive, elle servira à abonder un autre fonds, le fonds de solidarité vieillesse qui finance le minimum vieillesse.
Fin juillet déjà, quand l’hypothèse avait été soulevée par le ministre du budget Bernard Cazeneuve, trois députés socialistes, Martine Pinville, Jérôme Guedj et Christian Paul, avaient écrit au premier ministre pour protester. « Nous demandions que cette taxe puisse aller directement, dès 2014, vers le mieux-vivre des personnes âgées », explique Christian Paul. « Depuis, on a des échanges réguliers », poursuit le député de la Nièvre, qui veut que cette “Casa” serve à « améliorer les dispositifs de soutien aux personnes âgées, comme l’Apa (l’allocation personnalisée d’autonomie, ndlr), et à soutenir la modernisation des maisons de retraites ».
Les acteurs du secteur sont furieux. « C’est une décision extrêmement grave. C’est même du jamais vu d’annoncer une grande loi, de faire payer les gens et de changer l’affectation de la taxe ! Cela me semble d’autant plus grave qu’il ne faut pas s’étonner ensuite que les Français n’aient pas confiance dans l’impôt. Cette manipulation décrédibilise la parole publique », dénonce Pascal Champvert, président de l’association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA).
La Casa est une contribution prélevée sur les pensions de retraite (à l’exception des personnes non imposables à l’impôt sur le revenu). Elle doit alimenter « la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) en vue de la réforme de la dépendance ». « Le président de la République s’est engagé à mener une réforme de la dépendance pour réduire les charges les plus lourdes pesant sur les personnes âgées dépendantes et leurs familles, dans le cadre d’une loi globale sur le vieillissement. Il est primordial d’assurer un financement pérenne à cette réforme », expliquait l’an dernier le gouvernement dans son budget 2013.
Mais cette année, elle a été affectée au fonds de solidarité vieillesse (FSV), en difficulté financière. « À titre exceptionnel », avait alors promis le gouvernement. Sauf que dans le projet de loi pour 2014, rebelote. La quasi-totalité de la “Casa” (environ 630 millions d’euros sur 640 millions, selon le ministère du budget) doit à nouveau servir à combler le déficit du fonds de solidarité vieillesse, à la demande de Bercy qui guette la moindre ressource budgétaire.
Pour le ministère du budget, « c’est une logique de calendrier et de bonne gestion ». De calendrier parce que la loi sur l’autonomie des personnes âgées a été reportée à l’an prochain. « La “Casa” ne peut pas être affectée à de nouvelles mesures puisque le projet de loi autonomie sera voté en 2014 et ne pourra être appliqué qu’à la fin 2014 », explique-t-on dans l’entourage du ministre du budget Bernard Cazeneuve. De « bonne gestion » parce que le fonds solidarité vieillesse manque cruellement de fonds, à mesure que le chômage augmente. « On a besoin de cette ressource au fonds de solidarité vieillesse. Cela va servir à conforter le modèle social français », insiste le ministère du budget.
Mais, en toile de fond, c’est l’avenir de la loi sur l’autonomie des personnes âgées qui pose question. « Que dirions-nous aux retraités sur lesquels nous prélevons cette nouvelle recette ? Que la future loi serait une nouvelle fois reportée alors qu’ils contribuent déjà pour qu’elle soit mise en œuvre ? » écrit Jérôme Guedj dans un billet de blog détaillé. Avant d’ajouter : « Il faut tuer dans l’œuf la polémique naissante, qui vise à mettre en doute la volonté affichée par le président de la République, le premier ministre et bien sûr la ministre des personnes âgées et de l’autonomie (Michèle Delaunay, ndlr) de réussir dans l’aboutissement de ce projet, là où Nicolas Sarkozy avait procrastiné tout au long de son quinquennat, à coup d’annonces fracassantes suivies de reports piteux, pour au final ne rien faire. »
Moins pessimiste, le député Christian Paul dit aussi souhaiter voir « dès cette année une préfiguration de la loi sur l’autonomie ». Avec ses camarades, il espère encore améliorer le projet de loi de finances qui sera discuté à l’Assemblée à partir du 15 octobre, et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, à partir du 21 octobre.
« Les moyens de commencer à financer la loi sont aujourd’hui remis en cause. Cela pose la question de la crédibilité de la parole publique. Parce qu’une grande réforme sans financement, je ne sais pas ce que c’est », s’insurge aussi Pascal Champvert pour l’AD-PA, qui regroupe des directeurs de maisons de retraite.
Pendant la campagne, et depuis qu’il est président, François Hollande s’est à plusieurs reprises engagé à faire voter une loi consacrée à l’autonomie des personnes âgées. Un texte déjà promis par Nicolas Sarkozy et finalement abandonné – c’était à l’époque la réforme de la dépendance. « Le projet de loi sera prêt à la fin de l’année et sera voté courant 2014. On est en période d’arbitrage », précise-t-on dans l’entourage de Michèle Delaunay, sans plus de commentaire. « L’attribution de la Casa ne remet pas en cause la loi autonomie. Elle a vocation à être financée par cette contribution mais quand il y aura la loi, pas avant », explique-t-on à Matignon. « Il n’y a aucune inquiétude à avoir sur le projet de loi autonomie », jure aussi l’entourage de Bernard Cazeneuve à Bercy.
En plein débat sur le « ras-le-bol fiscal », le projet d’un financement massif pour améliorer l’autonomie des personnes âgées a pourtant du plomb dans l’aile. « Ce débat a tout pollué. Et il y a maintenant une vraie crainte que la loi ne soit encore repoussée », explique un spécialiste du dossier. D’autant plus que la dépendance (ou l’autonomie) n’est pas au premier rang des priorités gouvernementales. « Il y a un problème de portage politique au plus haut niveau », dit ce même spécialiste.
Mi-septembre, le premier ministre Jean-Marc Ayrault avait assuré que le projet de loi serait voté courant 2014. Mais sans donner plus de détails sur le contenu du texte et sans vraiment rassurer. « Effectivement, il y aura des problèmes de financement à certains moments, et des arbitrages à faire, avait-il reconnu devant l’Association des journalistes d’information sociale (Ajis). Nous devrons tenir compte des contraintes liées au nécessaire redressement économique. »
À l'été 2012, quelques semaines après son arrivée au ministère, la ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie Michèle Delaunay expliquait à Mediapart son projet : « Le projet de loi, c’est les 3A, l’anticipation, l’adaptation de la société et l’accompagnement. On le fera, c’est un engagement de François Hollande. Un engagement ferme mais encore peu précis. Les moyens et les périmètres ne sont pas délimités. Ce n’est pas gagné d’avance ! » C’était peu de le dire.