« C’est vrai que cette idée nous a traversé l’esprit, confie, sous le sceau de l’anonymat, un juge prud’homal, issu du collège employeur. L’un de mes pairs m’a dit : “Macron ne nous aime pas à cause de cette affaire.” » « Grotesque », rétorque-t-on à Bercy. A la mi-octobre 2014, M. Macron avait justifié l’inclusion dans son texte de dispositions sur les prud’hommes en mettant en avant leur lenteur, qui nuit aux salariés comme aux patrons. Dans l’entourage de la garde des sceaux, on ajoute que les ministères de la justice et du travail réfléchissaient déjà sur le sujet et que le « véhicule législatif » piloté par M. Macron a permis d’« accélérer » le processus.
« Absence d’honnêteté », « déloyauté »
On est donc bien loin de ce conflit du travail chez Rothschild. Pourquoi a-t-il laissé un souvenir si vivace chez certains juges prud’homaux ? Parce que les faits sortent de l’ordinaire. En 2005, Christine L. est embauchée par Rothschild & Cie gestion en qualité de « cadre hors classification » pour mettre en place une activité de gestion de plans de stock-options au profit d’entreprises cotées. Un poste haut placé, qui lui donne le titre de « directeur » au sein du département « banquiers privés ».
Juste avant d’entrer en fonction, elle reçoit de l’entreprise plusieurs projets de contrats sur ses conditions d’emploi. L’un détaille – entre autres – sa rémunération, très élevée (200 000 euros bruts par an, auxquels s’ajoute un bonus dont le montant dépend de ses performances et de celles de la société). L’autre contrat évoque l’octroi d’une « prime exceptionnelle (…) au titre de l’ouverture de comptes de dirigeants et de cadres dirigeants des sociétés Carrefour et Peugeot » ; le montant de cette gratification sera fonction du « produit net bancaire » dégagé par ces comptes, sachant qu’il ne pourra excéder 4 millions d’euros – ce qui démontre, au passage, que les sommes en jeu sont susceptibles d’être très importantes.
C’est sur cette prime exceptionnelle que le différend va éclater. Christine L. demande, en 2009, son dû. Prétentions abusives, rétorque sa hiérarchie : selon elle, la gratification en question était prévue par un projet de contrat qui a « avorté » et qui a été remplacé par un autre, avec des conditions de rémunération différentes. Les relations entre la salariée et la direction s’enveniment. Finalement, Rothschild & Cie gestion la licencie, début 2010, à cause de son « absence d’honnêteté » et de sa « déloyauté ».
Des décisions rares
La cadre supérieure décide alors de se tourner vers le conseil des prud’hommes de Paris. Qui lui donne gain de cause sur toute la ligne. Non seulement la prime exceptionnelle évoquée dans le projet de contrat doit lui être accordée, estime la juridiction, mais la direction a, de surcroît, pris une décision irrégulière en rompant le contrat de travail « sans cause réelle et sérieuse ».
La cour d’appel de Paris a confirmé, le 5 juin 2014, le jugement de première instance. Avec des motivations assez dures pour Rothschild : l’entreprise « a entendu, de façon déloyale, ne pas porter à la connaissance de Mme Christine L. le montant exact de sa prime exceptionnelle », écrivent les magistrats. La salariée a été sanctionnée « pour avoir demandé l’exécution du contrat », ajoutent-ils. D’après l’avocat de Rothschild & Cie gestion, Me Pierre Bonneau, un pourvoi en cassation a été engagé.
D’autres établissements bancaires ont été condamnés à des peines aussi lourdes, dans des litiges avec des cadres supérieurs – notamment Crédit agricole Corporate and Investment Bank, la banque d’investissement du groupe. Cependant, de tels jugements restent très rares. « Les montants peuvent paraître exagérés mais tout dépend des engagements contractuels librement souscrits entre les parties en présence », souligne Me Sophie Reichman, l’avocate de Christine L.