Marianne - Pakistan
Son doux visage éclairé par un regard profond a bien failli rejoindre les ténèbres. Je regarde la photo de Malala Yousafzai, fascinée. C’est une toute petite fille qui a agi et lutté comme une grande personne dès l’âge de 11 ans. Dans le monde des intégristes, les fillettes apprennent très tôt que l’existence n’est pas un jeu. Ou alors l’existence joue contre elles. Elle a 14 ans aujourd’hui et se remet lentement des conséquences d’une tentative d’assassinat par les talibans. Ils lui ont tiré une balle dans la tête le 9 octobre dans son car scolaire.
Je suis très intimidée de reprendre ce blog ( interrompu depuis six mois pour cause d’écriture d’un livre * ), par un hommage à cette enfant pakistanaise.
Enfant, vraiment ? Ou bien adolescente, jeune fille, jeune femme ? Ce 9 janvier, dans les salons illuminés de la Maison de l’Amérique Latine où on lui décernait le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes, orateurs et oratrices ne savaient plus comment qualifier la si jeune héroïne. Comme si Malala traversait tous les âges de la féminité au même moment. Cette féminité que les intégristes veulent rayer de la carte. Cette féminité dont la haine ou la compréhension raconte l’état d’une société, sa marche à l’espoir ou sa descente aux enfers. Soignée en Angleterre, à Birmingham, elle ne pouvait pas venir à Paris mais son père Ziauddin Yousafzaï était là, bouleversé. Bouleversant aussi d’amour pour sa fille.
« Alors que les pères, au Pakistan, sont traditionnellement respectés en raison de leurs fils, explique-t-il, moi je suis un père féministe ! A la naissance de Malala, aucun nom de fille ne figurait sur l’arbre généalogique établi par un de mes cousins. Rien que des hommes ! Alors, j’ai écrit Malala et ça a fait une différence ».
La vallée de Swat, où Malala est née, est un éden verdoyant aux paysages romantiques. Mais les compromissions du gouvernement pakistanais avec la guérilla talibane ont précipité ce vert paradis dans la nuit début 2009. Les fanatiques ont édicté la charia, la loi islamique, et tout le monde sait qu’on peut faire n’importe quoi du dédale de la charia. Les talibans, du temps de leur règne en Afghanistan ( qui va peut-être revenir) avaient exclu les femmes de toute forme d’existence. Elles n’avaient pas plus le droit d’aller à l’école qu’à l’hôpital. En 2009, les talibans de la vallée de Swat ont détruit 150 écoles. C’est ce qui a poussé Malala, alors âgée de 11 ans, à prendre la tête d’un mouvement de révolte des écolières. En même temps, cette « enfant »( ou adolescente, jeune fille, femme, etc...) racontait au monde la terreur et la résistance en créant son propre blog sur le site de la BBC en ourdou, sa langue maternelle. En ourdou, son nom signifie « éprouvée par le chagrin ». C’est lourd à porter.
« Mais grâce à Malala, l’idée de liberté est redevenue possible sur des territoires où sévit le chagrin » dit la psychanalyste et essayiste Julia Kristeva, membre du jury du prix Simone de Beauvoir, dans la belle salle du Paris des lumières solidaire de la vallée de l’obscurité. La veille, le père a été reçu par Laurent Fabius. Aujourd’hui le conseiller de presse de l’ambassade du Pakistan est présent. Quelque chose est-il en train de bouger ? Certes, l’armée pakistanaise a repris aux talibans des secteurs importants mais la raison a-t-elle pour autant vaincu dans les cœurs ? Il existe toujours une affreuse popularité talibane dans les zones tribales, au cœur des services de renseignements, chez les chefs de parti religieux, dans les madrasas, les écoles coraniques. Pourtant, un autre Pakistan est en train de se réveiller. Ils ont été des centaines de milliers à défiler en solidarité avec la victime des fous d’Allah au lendemain de l’attentat.
« Ils ont tiré, Malala est tombée mais le Pakistan s’est levé ! » martèle son père. Il cite une philosophe soufie, Rabbia, puis un poète pashtoun. Il cite ce Pakistan que personne ne sait ni ne veut plus connaître, la grande aile noire talibane ayant tout recouvert, autant dans les rues que dans les medias. Or la vallée de Swat, avant que les assassins n’y fassent régner leur loi, était célèbre pour le nombre de journaux et la liberté de ton de ses éditorialistes. Naturellement, les talibans ont tué les journalistes. Le meurtre est l’astre qui les guide.
Le blog de Malala est devenu une source d’informations capitales sur la situation dans la vallée. Une enfant décrivait jour après jour comment elle et ses compagnes devaient renoncer à la vie. Chaque jour, un nouveau trait la biffait de la lumière : interdit d’aller au marché, interdit de porter des vêtements de couleur, interdit de...etc..etc...
Mais son père, qui l’avait inscrite le jour de sa naissance dans l’arbre généalogique interdit aux filles, la réinscrivait, chaque jour, dans la vie. Le blog de Malala le remplissait d’admiration. Il le lui disait. Les mots d’un père intelligent et doux sont l’abri solide des petites filles. Il résiste à tous les vents mauvais, même quand les pères ne sont plus là et que les filles sont devenues grandes.
C’est ainsi que l’enfant de la belle vallée maudite est devenue célèbre. Le gouvernement pakistanais, qui avait fini par livrer bataille aux talibans de Swat et d’autres secteurs de la province du nord-ouest, mais sans pouvoir totalement les vaincre, s’est décidé à accorder un prix à Malala. C’était en décembre 2011. En octobre 2012, ses ennemis ont voulu l’éliminer. Elle est tombée mais la vie a gagné. Transportée en Grande-Bretagne, elle a subi plusieurs opérations avec succès. Une autre doit se dérouler dans quelques jours. Sur une vidéo, on la voit quitter provisoirement l’hôpital de Birmingham et agiter doucement sa main en direction de ceux qui la filment. Elle marche difficilement sur le sentier cahotique des survivants. Son sourire est intact. Je comprends pourquoi les orateurs et oratrices de la cérémonie du prix s’emmêlaient un peu les pinceaux entre enfant, ado, jeune fille, jeune femme. Le sourire de Malala est à la fois celui d’une écolière et d’une enseignante, d’une fille et d’une mère. Il a tous les âges de la souffrance des femmes et de leur liberté.
Il s’agit d’un récit publié aux éditions de l’Archipel : « Israël contre Israël »)*