Pour le reste aussi l'expression festive se transforme. Ainsi, les discussions, entre ceux qui peuvent encore se permettre une escapade, sont prisonnières d’un économisme d'urgence, encore plus néfaste et tout aussi triste que le reste.
« - Je ne comprends plus ; ma collègue Niki, enceinte, sera licenciée, si son patron le souhaite, aussitôt qu’elle sera de retour au travail. Il n'y a plus de période protectrice. Ce n'est pas possible, ce n'est pas juste. Bien que mauvais, le Mémorendum II comporte tout de même certaines limites...
- Non ma chère, effectivement il faut que tu le comprennes, les limites c'est au mieux la Bulgarie et au pire la Chine, en plus en payant le café plus cher à Nauplie qu'à Berlin ».
Les deux amies, autour d'une table voisine, ont discuté plus d'une heure. Leurs compagnons sont alors intervenus dans la discussion pour rappeler que la souveraineté est dissoute : ainsi, il devient désormais inutile de se lamenter ou de s'illusionner sur telle ou telle « injustice ». La collègue de Niki ne voulait plus croire mais elle en était déjà à ses derniers retranchements.
« Nous avons trente ans et c'est fichu alors que faire ? Quitter le pays... Je travaille déjà pour six cent euros par mois, vous le savez bien, mes parents ont donné de l'argent pour que je parte durant ce week-end, car nous en avions tous si besoin... J'en ai assez... Levons-nous faire un tour avant la pluie ».
Aussitôt les deux couples partis, trois femmes âgées ont pris la table et la relève.
« - Je n'accepte pas que mon fils, diplômé d’un master, travaille pour sept cent euros par mois lui aussi… On tourne en rond non ?
- Tu l’accepteras Lina. Notre temps est mort. T'as pris ta retraite à 55 ans, mille six cent euros et tu ne touches que mille deux cent actuellement, c'était bien le carnaval avant et depuis... c'est le carême permanent qui nous attend.
- Laisse tomber, j'assure aussi mon fils et sa copine, ils sont au chômage comme tu sais ».
Les visages crispés d'incertitude. Comme à Nauplie, où les cafés étaient pleins mais les boutiques restaient sans clients. Ville historique, seconde capitale de l'État grec libre (1828-1834) après Égine, dont le port est gardé par une forteresse. La nuit, les lumières ont disparu. Manque de moyens ?
En tous cas, le carnaval rappelait les années de l'avant Mémorandum car les autorités locales ont certainement gratté les fonds de tiroir pour un feu d'artifice relativement bref mais correct. Avant d’à nouveau subir la pluie et la neige, il a fait beau et chaud, permettant la baignade aux connaisseurs qui savouraient comme si de rien n'était : « Tiens vas-y Antonis tu peux entrer, elle est superbe » Et elle l'était effectivement notre mer à douze degrés Celsius. Sur la plage, des touristes venus d'Asie photographiaient les galets avec insistance tandis que les chats errants attendaient comme ils pouvaient l'ouverture des guinguettes. Mais cette saison 2012 tardera, je le sens.