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28 février 2012 2 28 /02 /février /2012 20:32
Marianne - Mardi 28 Février 2012 à 15:00

 

Greek Crisis
Historien et ethnologue, ancien correspondant en France pour la revue grecque Nemecis, Panagiotis... En savoir plus sur cet auteur

 

En ce « lundi pur », jour férié en Grèce, on ne sait plus si on assiste à un carnaval festif ou à un carnaval politique. Les Grecs ont les poches vides, alors les célébrations traditionnelles laissent place aux revendications politiques. Drôle de façon de fêter l'entrée dans le carême, mais le jeûne a peut-être déjà commencé...

 

Au fil des mois, le Mémorandum impose sa nouvelle temporalité. Implacable. Sa main, désormais si visible, transforme nos habitudes et nos gestes à jamais. Ce n'est pas seulement notre vie dite encore active qui se transforme. C’est aussi le temps libre révolu, et ses coupures supposées festives. On avait déjà pu voir ça à Noël. Une période si lointaine maintenant ; car nous avons aussi le sentiment que notre existence événementielle s'accélère souvent sans nous prévenir. D'où l'impression d'une exclusion supplémentaire. Car perdre ses repères dans le temps n'aide pas à s'organiser paraît-il.

Purification

Le week-end dernier fut également long et significatif de la nouvelle temporalité. Hier lundi, appelé aussi « lundi pur » [Kathari deftera], jour férié en Grèce, on marque le début du grand carême orthodoxe. Autrement dit, la préparation à une période de jeûne qui durera 40 jours et se prolongera le temps de la Semaine sainte.
 
Comme son nom l'indique, il s'agissait traditionnellement d'un moment de purification. Ainsi, à cette date, les femmes lavaient les maisons pour les purifier de toute souillure. Dans les villages, les églises et les habitations étaient repeintes à la chaux. Une purification en somme des corps et des esprits, après avoir festoyé pendant toute la période du carnaval.
 
Ce lundi pur était l'occasion d'un déjeuner composé de plats traditionnels, excluant toute viande. Partout dans le pays s'organisaient alors des banquets et des pique-niques au cours desquels on dégustait une sorte de pain traditionnel sans levain. Tandis que parents et enfants faisaient voler des cerfs-volants multicolores. Voilà pour le vieux cadre désuet.
 
Depuis des années déjà, comme pour le reste des coupures calendaires, le « lundi pur » s'est transformé en l’opportunité d’avoir un long week-end. Le premier du beau temps, bien qu’encore précaire. Nos couches moyennes avaient alors acquis l'habitude de prendre d'assaut les hôtels et les tavernes et de purifier ainsi leur porte monnaie, finalement pas si résistant qu'il n'y paraît !
 
De la tradition, nous avions gardé la partie la mieux arrangeante avec la modernité de l'ostentatoire ; à savoir les banquets, mais en taverne, le carnaval du dimanche et les cerfs-volants, si appréciés des enfants.

Précarité du temps

Et nous voilà en 2012 rattrapés par la nouvelle précarité du temps. Me rendant dans une partie du Péloponnèse chez des alliés - comme on dit en terminologie de la parenté, j'ai remarqué qu’il y avait moins de monde sur les routes. Et surtout, toujours la même proportion grandissante de grosses cylindrés, et pas seulement sur la file de gauche. La classe encore aisée voyage, certes, mais moins loin, moins cher et moins vite.
 
Au même moment, certaines municipalités ou associations offraient des repas festifs. Le succès fut énorme, comme à Salonique, pendant la distribution d'une chaude assiette de soupe aux haricots blancs.

Festivités politiques

Sans oublier l'hostilité rencontrée par les politiciens mémorandistes à chaque fois qu'ils se montrent publiquement. La toute dernière tonalité de notre Zeitgeist fut l'agression commise par un retraité sur le député PASOK (P.S. grec) Giorgos Dolios durant le carnaval à Feres, en Thrace. Pour la force des symbolismes, le reportage retiendra que le vieillard a frappé le député usant... ses béquilles et devant les cameras. Plus au sud, au légendaire carnaval de Patras, déjà moins fréquenté, les indignés ont pris la tête du cortège derrière une grande banderole : « Résistance  du peuple ».
 
Également à Patras et selon une autre banderole : « les porteurs de cloches de la ville martyre de Distomo, ainsi que de toutes les villes d'Europe qui ont connu le massacre par les Allemands nazis, nous faisons sonner nos cloches sur le sang de leurs victimes pour ainsi réveiller ceux qui parmi leurs descendants demeurent encore non repentants ». Du jamais vu jusque à présent à travers nos festivités carnavalesques.
 
Notre dérision devient grave. Et ce n'est pas parce que la presse populaire ou populiste caricature - supposons avec exagération - le personnel politique de l'Allemagne actuelle que les représentations collectives deviennent alors suivistes. Non, le sentiment anti-allemand semble de plus en plus radical en Grèce.

Du carnaval au carême

Pour le reste aussi l'expression festive se transforme. Ainsi, les discussions, entre ceux qui peuvent encore se permettre une escapade, sont prisonnières d’un économisme d'urgence, encore plus néfaste et tout aussi triste que le reste.
 
« - Je ne comprends plus ; ma collègue Niki, enceinte, sera licenciée, si son patron le souhaite, aussitôt qu’elle sera de retour au travail. Il n'y a plus de période protectrice. Ce n'est pas possible, ce n'est pas juste. Bien que mauvais, le Mémorendum II comporte tout de même certaines limites... 
- Non ma chère, effectivement il faut que tu le comprennes, les limites c'est au mieux la Bulgarie et au pire la Chine, en plus en payant le café plus cher à Nauplie qu'à Berlin ».
 
Les deux amies, autour d'une table voisine, ont discuté plus d'une heure. Leurs compagnons sont alors intervenus dans la discussion pour rappeler que la souveraineté est dissoute : ainsi, il devient désormais inutile de se lamenter ou de s'illusionner sur telle ou telle « injustice ». La collègue de Niki ne voulait plus croire mais elle en était déjà à ses derniers retranchements.
 
« Nous avons trente ans et c'est fichu alors que faire ? Quitter le pays... Je travaille déjà pour six cent euros par mois, vous le savez bien, mes parents ont donné de l'argent pour que je parte durant ce week-end, car nous en avions tous si besoin... J'en ai assez... Levons-nous faire un tour avant la pluie ».
 
Aussitôt les deux couples partis, trois femmes âgées ont pris la table et la relève.
 
« - Je n'accepte pas que mon fils, diplômé d’un master, travaille pour sept cent euros par mois lui aussi… On tourne en rond non ? 
- Tu l’accepteras Lina. Notre temps est mort. T'as pris ta retraite à 55 ans, mille six cent euros et tu ne touches que mille deux cent actuellement, c'était bien le carnaval avant et depuis... c'est le carême permanent qui nous attend.
- Laisse tomber, j'assure aussi mon fils et sa copine, ils sont au chômage comme tu sais ».
 
Les visages crispés d'incertitude. Comme à Nauplie, où les cafés étaient pleins mais les boutiques restaient sans clients. Ville historique, seconde capitale de l'État grec libre (1828-1834) après Égine, dont le port est gardé par une forteresse. La nuit, les lumières ont disparu. Manque de moyens ?
 
En tous cas, le carnaval rappelait les années de l'avant Mémorandum car les autorités locales ont certainement gratté les fonds de tiroir pour un feu d'artifice relativement bref mais correct. Avant d’à nouveau subir la pluie et la neige, il a fait beau et chaud, permettant la baignade aux connaisseurs qui savouraient comme si de rien n'était : « Tiens vas-y Antonis tu peux entrer, elle est superbe » Et elle l'était effectivement notre mer à douze degrés Celsius. Sur la plage, des touristes venus d'Asie photographiaient les galets avec insistance tandis que les chats errants attendaient comme ils pouvaient l'ouverture des guinguettes. Mais cette saison 2012 tardera, je le sens.

Mascarade

De retour et sur l'autoroute il neigeait ou sinon c'était de la pluie fondue, mais toujours sans bouchons. Comme la circulation était pourtant assez dense, certains automobilistes inconscients roulaient sur la bande d'arrêt d'urgence. Voilà que la Troïka a pratiquement tout supprimé sauf une certaine inconscience. « Lundi pur » fut aussi un temps de tempête en mer Égée, le Super Ferry 2 en provenance d'Andros a mis plus de trois heures avant de pouvoir amarrer dans le port de Rafina à l'Est de l'agglomération athénienne par un vent de force 9.
 
En attendant, c'est durant le carnaval que la police a découvert une sorte de colis piégé dans le métro athénien. La charge était puissante « mais un mauvais branchement a empêché son explosion » selon les autorités. Une mystérieuse organisation a revendiqué l'acte, mais il n'y a jamais eu d'attentat dans les transports en commun en Grèce, alors carnaval ou encore une redoutable mascarade mémorandienne ?
 
Sur la ligne du métro, ce mardi matin tôt, les usagers visiblement moins nombreux commentaient cette nouveauté à leur manière : « C'est pour nous faire peur. Quel terrorisme ? Je n'y crois pas, ils veulent nous terroriser. Mais encore eux, les mêmes, les banquiers » dit un homme d’une cinquantaine d’années. « C'est possible... nous ne savons plus qui croire » répond une autre personne assise en face. Puis le silence. Temps de carême ?

Retrouvez Panagiotis Grigoriou sur son blog.

 

 

 

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