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10 mars 2013 7 10 /03 /mars /2013 16:24

 

Le Monde.fr | 10.03.2013 à 18h14 Par Audrey Garric

 

 

Des ouvriers en tenue de protection à la centrale de Fukushima, le 12 novembre.

Ils sont environ 3 000 à se relayer jour et nuit sur le site de la centrale accidentée de Fukushima au Japon. On les surnomme les "liquidateurs", car ce sont eux qui gèrent la catastrophe nucléaire depuis le 11 mars 2011, à l'image de celle de Tchernobyl vingt-cinq ans plus tôt. Si la situation sur le site est maintenant considérée comme stable – tous les réacteurs et piscines étant continuellement refroidis – l'inquiétude et les effets sur la santé n'en ont pas moins disparu pour ces travailleurs de l'extrême.

Nombre d'entre eux, employés par des sous-traitants de l'exploitant du site Tokyo Electric Power (Tepco), se plaignent du stress du travail, de la peur, de la solitude et de l'inconfort des longues journées passées à étouffer dans des masques, gants et blouses de protection.

Un ouvrier déclarait ainsi à Reuters : "J'ai mal au ventre et je suis constamment stressé. Quand je reviens dans ma chambre, tout ce que je peux faire, c'est me soucier du lendemain. Ils devraient nous donner une médaille." "Qui peut accepter de travailler dans ces conditions ?", s'interroge un autre.

 

SENTIMENT DE CULPABILITÉ ET DE RESPONSABILITÉ

Cette tension, couplée avec la critique de l'opinion quant à la lenteur des opérations de décontamination, en aurait incité plusieurs à démissionner, livre le Guardian. D'autres confient leur manque de motivation, soulevant la perspective d'une pénurie de techniciens et d'experts lorsque le nettoyage de Fukushima atteindra son étape la plus critique – le retrait du combustible usagé des piscines de stockage.

"Les travailleurs sont les plus exposés aux radiations nucléaires et ils participent d'un processus qui va durer des décennies. Pourtant, ils sont critiqués car ils appartiennent à Tepco, explique Jun Shigemura, maître de conférences au département de psychiatrie du National Defense Medical College, cité par le Guardian. Ils ne dirigent pas l'entreprise ni ne sont responsables de la catastrophe , mais ils éprouvent un sentiment de culpabilité et de responsabilité. Ils méritent plus de respect, dans la mesure où ils font l'un des métiers les plus difficiles au monde."

"Les salariés de Tepco risquent de suivre la trajectoire des vétérans de la guerre du Vietnam, qui se sont vus rejetés par la société à leur retour, ont fini sans abri, ont sombré dans l'alcoolisme et les drogues ou se sont suicidés", prévient l'expert, qui a mené une étude sur 1 500 travailleurs japonais du nucléaire.

Surtout, ces difficiles conditions de travail ne sont pas compensées par un salaire avantageux. Selon un sondage mené par Tepco auprès de 3 200 travailleurs de septembre à octobre, plus de 70 % d'entre eux gagnaient 837 yen (6 euros) de l'heure, alors que les journaliers réguliers sur les chantiers de la région peuvent toucher jusqu'à 1 500 yens (12 euros). Le droit du travail n'était par ailleurs pas respecté dans la moitié des cas et un tiers de ces salariés ne possédaient même pas de contrat de travail.

 

 SCANDALES ET FRAUDES

Depuis deux ans, les opérations de décontamination ont été entachées de révélations sur les conditions de travail illégales et les violations des règlements sur la santé et la sécurité. Ce mois-ci, le ministère de la santé a ainsi divulgué qu'au moins 63 travailleurs de Fukushima avaient été exposés à des niveaux de radiation supérieurs à ceux enregistrés dans leurs dossiers personnels. Fin décembre dernier, 146 travailleurs Tepco et 21 sous-traitants avaient par ailleurs dépassé leur exposition maximale admissible de 100 millisieverts sur cinq ans.

Ce même mois, le quotidien Asahi Shimbun révélait que la société de construction Build-Up aurait demandé à une dizaine de ses ouvriers de recouvrir de plomb leurs dosimètres – instrument servant à évaluer le cumul de radiations auxquelles ils étaient exposés – lorsqu'ils intervenaient dans les zones les plus radioactives de la centrale accidentée afin de sous-déclarer leur exposition et permettre à la société de continuer à travailler sur le site.

 

Lire : Fukushima : des ouvriers contraints de mentir sur la radioactivité


Audrey Garric

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