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3 février 2012 5 03 /02 /février /2012 17:03
| Par Mathieu Magnaudeix
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Le 7 février, les inspecteurs du travail seront en grève dans toute la France et manifesteront à Paris, en souvenir de leur collègue Romain Lecoustre. Ce jeune inspecteur du travail de 32 ans (photo) s'est pendu chez lui, à Bauvin (Nord), le 18 janvier 2011. Dans la journée, il était passé dire bonjour à sa famille, avant de se rendre au magasin de bricolage pour acheter le matériel nécessaire à son geste fatal. « Ce n'était pas un suicide sur un coup de tête », explique son frère Pierre, 44 ans.

 

 
© DR

Fin juillet 2011, Romain, alors en poste à Arras (Pas-de-Calais), avait déjà tenté de mettre fin à ses jours. Le jeune fonctionnaire, par ailleurs militant syndical Sud, n'était pas un garçon à problèmes. « Il avait une vie normale, il sortait beaucoup, faisait énormément de voyages », raconte son frère. Pour sa famille comme pour les syndicats, pas de doute : bien qu'il ait été muté à Lille (Nord) en fin d'année dernière, le geste est lié à ses conditions de travail à Arras. « Selon les éléments dont nous disposons, nous pouvons dire que ses conditions de travail et son environnement étaient difficiles », admet Joël Blondel, le DRH du ministère du travail interrogé par Mediapart, qui refuse « à ce stade » de se prononcer sur la responsabilité de l'administration dans cette mort.

Lors de ses obsèques, mardi 24 janvier, les collègues se sont déplacés en masse. Deux jours plus tard, ils ont manifesté leur colère devant les locaux de la Direction régionale du travail (Direccte) du Nord. « Romain est quelqu'un de perfectionniste et volontaire (…), solide », « toujours disponible et à l'écoute », « mais son découragement, les contrariétés emmagasinées au travail ont eu raison de sa résistance », avait témoigné en septembre 2011 une de ses collègues dans une lettre adressée à la Direction générale du travail. Elle qui le côtoyait tous les jours à Arras le décrivait alors « désemparé », « profondément blessé ».
 

« Il n'y a de doute pour personne sur la nature professionnelle de son mal-être, ni sur les causes de son suicide, explique un tract intersyndical daté du 20 janvier. C'est bien le travail, ses conditions d'exercice et l'environnement hiérarchique qui sont ici clairement responsables de la dégradation profonde de son état de santé, qui l'a conduit à la mort. » Depuis sa tentative de suicide, Romain se battait pour la faire reconnaître comme un accident de service, l'équivalent de l'accident du travail dans la fonction publique.

Cruelle ironie toute bureaucratique : sa demande est examinée ce vendredi 3 février. A titre posthume.

Le 4 mai 2011, un inspecteur du travail, Luc Beal Rainaldy avait mis fin à ses jours dans les bureaux de la direction générale du travail, Quai de Javel, à Paris. Ses camarades du SNU-TEF-FSU, dont il était le secrétaire national, avaient alors pointé le « rythme effréné des réformes, qui broient les services de l’Etat et leurs agents et détruisent les valeurs du service public », et « l’incessant simulacre de dialogue social » ayant « conduit Luc à l’épuisement et à une impasse ». Dans ce dossier, une commission d'enquête doit rendre ses conclusions mardi 7 février lors d'un comité hygiène et sécurité au ministère. Y sera également évoqué le suicide de Romain Lecoustre.

Selon le ministère du travail, sept agents (dont trois inspecteurs du travail) ont mis fin à leurs jours depuis 2007. Deux se sont tués sur leur lieu de travail. A Arras, Romain Lecoustre avait lui-même repris les dossiers d'un inspecteur qui s'était suicidé en décembre 2009.

Aucun de ces suicides n'a été reconnu comme accident de service, confirme le ministère.

« Politique du chiffre »

« Il y a urgence, s'inquiète Lise Rueflin, membre du secrétariat national SNU-TEF-FSU au ministère du travail. C'est le quatrième suicide en trois ans lié de près ou de loin à un problème au travail, et l'on voit partout des gens en situation de mal-être. »

Dans chaque région, les agents ont rédigé une quarantaine de cahiers de doléances transmis à la direction régionale, qui décrivent longuement la souffrance des agents, le sentiment d'une perte de sens de leur métier. Outre les agressions dans les entreprises (en 2004, deux agents de contrôle avaient été tués par un exploitant agricole de Dordogne), l'inspection du travail vit de profonds changements depuis 2006 sur fond de RGPP et de « modernisation ». En 2009, les inspections du travail ont été fusionnées, des directions régionales (les Direccte) ont été créées l'année suivante. Parallèlement, le contrôle hiérarchique a été renforcé, restreignant parfois l'autonomie au travail. Une « politique du chiffre » vécue bien souvent comme une « reprise en main », selon Lise Rueflin.

« Les contradictions deviennent majeures entre l'injonction à faire du chiffre de la hiérarchie, et la multitude de courriers, d'appels et de mails que nous recevons chaque jour », explique Jérôme, un collègue de Romain qui militait avec lui à Sud. « Il faut de plus en plus mettre des bâtons, rendre compte de son activité et pendant ce temps les dossiers s'accumulent. Du coup, on est en conflit dans l'entreprise avec les employeurs qui ne respectent pas le droit du travail, et on est aussi en conflit dans notre propre administration avec la hiérarchie. »

Romain Lecoustre était un inspecteur du travail prometteur. Entré dans l'administration depuis 2002, il avait réussi haut la main le concours d'inspecteur du travail, était sorti major de sa promotion. Début 2010, il est envoyé à Arras. Depuis des années, le service marche très mal. L'arrivée d'un nouveau directeur a encore aggravé la situation. En juin 2010, un médecin du travail alerte sur la « souffrance au travail » parmi le personnel. Il évoque déjà des « modifications organisationnelles et structurelles profondes, posant question sur le sens du travail et affectant le collectif », une « importante charge mentale », l'impression de « ne pas être assez soutenus et/ou reconnus dans leur travail ».

Sur demande du CHSCT régional, composé de représentants du personnel et de représentants de la hiérarchie, une enquête sur les conditions de travail est alors lancée sur les sites d'Arras, Maubeuge et Dunkerque. Rendue en septembre 2011, l'expertise décrit un manque cruel de moyens et d'appuis, « la rupture du dialogue avec la hiérarchie » qui, bien souvent, ne reconnaît pas le « travail réel » des agents.

Au sein du (petit) service inspection d'Arras, les experts comptent quatre départs en un peu plus d'un an. Ils détectent une « situation de tension avec le supérieur hiérarchique, de mal-être, de stress, sources de souffrance au travail », pointent « une perte d'autonomie et un contrôle accru », « l'absence de soutien du supérieur hiérarchique voire des désaveux publics », « des désaccords sur le sens des missions du service et sur la façon dont on les conduit ». Autant de signes d'une « situation pathogène », concluent-ils.

De mars 2010 à octobre 2011, Romain Lecoustre vit un enfer. Dans un long document de six pages retrouvé dans ses affaires personnelles, il a relaté avec précision son parcours à Arras. Il raconte les premiers incidents avec son supérieur, dès octobre 2010, et les premières crises d'angoisse. La direction lui reproche de ne pas faire « assez de procès-verbaux ». Il fait état de plusieurs incidents avec la hiérarchie, de « propos dégradants » émanant de plusieurs supérieurs. «Vos chiffres à Arras sont mauvais, les plus mauvais du Pas-de-Calais. Ah ah c'est mieux de râler plutôt que de travailler», lui dit une responsable, qui lui reproche un «excès de zèle», Romain ayant alerté un jour sur l'existence d'amiante dans un bâtiment. En réalité, Romain n'avait pas été formé à l'outil logiciel qui permettait de rentrer ses résultats. Deux comptes informatiques avaient été ouverts à son nom, une situation qui n'avait jamais été réglée et empoisonnait son quotidien.

La surcharge de travail devient ingérable : entre manque d'effectifs, collègues assurant des formations ou absents, il n'est pas rare que Romain, « submergé », s'occupe au printemps 2011 de plusieurs autres secteurs géographiques que le sien. Il dit avoir dépensé sur ses propres deniers « plus de 300 euros de documentation », utile pour son activité, que l'administration ne lui a pas fournie. Ses journées s'allongent, il prend l'habitude de ramener à la maison des dossiers le soir et le week-end.

Premier « burn-out » en mai, suivi d'une période de congé pour décompresser. Les tensions avec le supérieur hiérarchique, qui lui reproche de ne pas tenir ses objectifs, s'accumulent. «Lorsque je lui parlais de mes dossiers, je n'obtenais que critiques, remarques qui m'ont progressivement fait perdre confiance en mes qualités professionnelles», écrit-il. Le 27 juillet, Romain est agressé par un employeur pendant un contrôle. «Dans la nuit du 28 au 29 juin, j'ai tenté de mettre fin à mes jours étant complètement épuisé, déprimé et dégoûté.» La direction locale ne l'entoure guère. «Personne, excepté madame G., ne prend de mes nouvelles», écrit-il.

« Psychologiquement, il était resté à Arras »

Sa tentative de suicide crée un choc parmi les personnels. Sud et la CGT dénoncent alors dans une lettre à la directrice régionale la «dégradation de ses conditions de travail qu'il subit depuis plus d'une année», situation dont «la hiérarchie locale n'a jamais pris la mesure et dont elle a au contraire aggravé l'impact sur la santé mentale par ses remarques dégradantes (…) et son obsession maladive pour les remontées chiffrées», des «vexations, déstabilisations», et l'absence de mesures de la direction régionale malgré les alertes. «Le risque grave de voir se reproduire les choses est réel», écrivent, prémonitoires, les syndicalistes.

D'après ses proches, Romain Lecoustre n'a alors plus qu'une idée en tête : faire reconnaître la souffrance vécue à Arras. Il espère pendant de longs mois que sa tentative de suicide va être requalifiée en accident de service. Dans le même temps, il demande sa mutation à Lille. Mais il vit mal l'absence de sanctions envers son chef à Arras, «exfiltré» en décembre au ministère du travail à Paris – en dehors des mouvements de mutation, selon un syndicaliste.

Le 4 octobre au soir, Romain Lecoustre envoie un e-mail à plusieurs collègues, que nous avons pu consulter. Il vient d'apprendre sa mutation à Lille. «Je suis content mais c'est largement en dessous de ma tristesse (…). Moi j'y pense tous les jours, j'en rêve la nuit plutôt je fais des cauchemars de [le nom de son supérieur], de ma hiérarchie. Depuis mars 2010 c'est comme ça. Vous trouvez ça normal que c'est l'agent qui vit ça, qui doit se casser ? (…) On bouge le pion et on passe à une nouvelle partie (…) Depuis ma titularisation à Arras j'ai plongé dans un stress réactionnel de plus en plus violent.» Il dénonce à nouveau la «politique du chiffre»dit aussi son sentiment d'être «montré du doigt» à cause de son appartenance syndicale.

A sa famille, Romain parle peu de ses problèmes au travail mais «il répétait à notre mère que jamais il n'oublierait ce qu'ils lui avaient fait à Arras», raconte son frère Pierre. «Depuis sa mutation, le 1er novembre, ça se passait super bien, on pensait que ça allait mieux. En fait, il avait quitté Arras physiquement, mais psychologiquement il y était encore.»

Selon plusieurs collègues de Romain Lecoustre, la direction régionale n'a pas pris assez tôt la mesure du problème. «Il y avait un déni», explique un militant syndical. Une vision contestée par Joël Blondel, directeur de l'administration générale et de la modernisation des services (DAGEMO), autrement dit le DRH du ministère du travail. «La directrice régionale avait pris des dispositions : elle avait entamé une démarche de prévention des risques psycho-sociaux et donné son aval au CHSCT régional pour le rapport d'expertise.»

Le DRH, qui vient d'être nommé en septembre 2011 quand il reçoit le dossier de Romain Lecoustre, admet toutefois avoir découvert une «situation difficile, plus difficile que je ne l'aurais imaginé». Le ministère du travail confie alors une enquête à l'inspection générale des affaires sociales (IGAS). La commission de réforme, qui examine les dossiers d'accidents de service, est saisie.

Romain Lecoustre vit mal cette période, à commencer par les longs délais administratifs. «Je peux comprendre le ressenti exprimé par M. Lecoustre, mais il n'y avait aucune volonté de la part de l'administration de retarder les échéances, répond Joël Blondel. La commission de réforme ne pouvait statuer qu'en ayant connaissance du rapport de l'IGAS.» Le DRH reconnaît toutefois que les délais auraient pu être plus courts : «Il a obtenu sa mutation à partir du 1er novembre, sans doute aurions-nous pu gagner quinze jours ou un mois

Rendu en décembre, le rapport de l'IGAS, dont nous avons pu prendre connaissance, est implacable. Huit pages sont consacrées à la situation personnelle du jeune inspecteur du travail. «M. Lecoustre a vécu une situation de souffrance au travail que sa hiérarchie n'a pas su éviter, voire a renforcée», conclut-il. Son supérieur de l'époque est directement mis en cause. 

Le rapport de l'IGAS, dont Romain avait eu connaissance, n'a pas vocation à être rendu public, explique-t-on au ministère.

Le ministère du travail n'exclut pas des sanctions personnelles. «Nous verrons, il faut faire une appréciation objective de la situation, explique Joël Blondel. Le rapport IGAS n'a pas caractérisé de faute qui justifierait une sanction disciplinaire individuelle.»

Le DRH promet des mesures. «L'organisation et les méthodes de travail ont connu des modifications importantes ces dernières années. Elles avaient pour objectif de rendre plus efficace l'action de l'inspection du travail notamment par le développement d'actions collectives. ll faut qu'avec les représentants du personnels nous réfléchissions à ne pas créer de difficultés et de situations inacceptables pour les agents. Mais je ne partage pas le point de vue selon lequel les objectifs fixés relèvent d'une logique purement quantitative et de comptage aveugle.» Selon le ministère, les agents n'ont pas d'objectifs individuels mais «une moyenne de référence». «Il est possible que cela ait été mal compris par des agents ou par la hiérarchie dans certains cas», admet Joël Blondel.

De son côté, la famille de Romain Lecoustre a déjà pris rendez-vous avec un avocat. «Je ne sais pas encore si on va attaquer une personne en particulier, l'institution ou les deux. En tout cas, nous n'en resterons pas là. Si nous le pouvons, nous irons au pénal», promet le frère de Romain.

 

 

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