Dimanche matin, dans un hôtel parisien. Le co-président des Grünen allemands, Cem Özdemir, plaisante sur les derniers amendements en discussion au congrès du Parti vert européen, réuni depuis vendredi. «On a demandé à rajouter une phrase sur notre soutien à l'obstination d'Angela Merkel à lutter contre la crise...», dit-il, avant d'éclater de rire. Une manière d'ironiser sur les préjugés –et les différences culturelles– entre les Verts français et allemands, qui se sont longtemps divisés sur leur analyse de la crise.
Cette fois, ils sont parvenus à un accord avec leurs homologues européens en votant dimanche à la quasi-unanimité une «Déclaration de Paris», qui décline douze propositions contre la crise et pour relancer le projet européen. Les écologistes veulent renforcer le Fonds européen de solidarité financière, pour en faire à terme un Trésor européen, annuler au moins 60% de la dette grecque, recapitaliser les banques, «rééquilibrer l'approche unique d'austérité», réguler la finance, et une nouvelle convention européenne, assortie d'un référendum pour davantage de fédéralisme.
«Les Allemands ont fait adopter un amendement qui précise qu'il faut faire attention à la soutenabilité des finances publiques, précise Stéphane Sitbon, codirecteur de campagne d'Eva Joly et membre de la direction du Parti vert européen. Mais c'est la première fois qu'on parvient, au niveau européen, à se mettre d'accord sur autant de mesures précises avec une orientation à gauche. C'est vraiment une politique commune contre les plans d'austérité.»
«Au départ, les Verts allemands nous ressortaient les clichés de Merkel sur la Grèce. Ils nous disaient: "Mais on peut même pas avoir une facture quand on prend le taxi à Athènes!"», se souvient un eurodéputé français. En septembre, lors d'un séminaire franco-allemand, les écologistes se sont encore «engueulés», raconte Alain Lipietz. «Les Grünen voulaient obtenir de nous qu'on dise qu'il fallait revenir à un déficit de 3% en 2013 (l'objectif fixé par Nicolas Sarkozy à Bruxelles)... On s'est un peu fâché. On leur a expliqué que c'était irréaliste et que la stratégie pour y parvenir allait conduire à une récession... Finalement, ils ont lâché beaucoup de choses», détaille l'ancien porte-parole des Verts français.
Au terme de longues semaines de discussion, et grâce au travail commun du groupe vert au parlement européen, les Allemands ont accepté une condamnation claire des plans d'austérité en Europe et les Français ont intégré la nécessité d'un contrôle budgétaire en échange de la solidarité européenne. «Les Grünen se sont gauchis et Europe Ecologie-Les Verts ne peuvent plus dire "y'a qu'à, faut qu'on"», résume l'eurodéputé français Pascal Canfin. Le tout sur fond de quasi-unanimisme sur l'attachement à la construction européenne, qui fait, plus que dans d'autres familles politiques, partie du code génétique des écologistes.
«Pas deux fois la tartine sans beurre»
Les Verts ont ainsi trouvé un compromis sur le rôle que doit endosser la Banque centrale européenne. Le sujet cristallisait les désaccords: en Allemagne, remettre en cause l'indépendance de la BCE en lui permettant de prêter directement aux Etats-membres est un véritable tabou. En cause: la crainte d'une inflation non maîtrisée en faisant tourner à plein la planche à billets. Au bout du compte, les écologistes proposent que ce soit le Fonds de soutien (FESF) qui puisse emprunter, tout en étant garanti par la BCE. «Quand on rentre en Allemagne, on doit pouvoir expliquer qu'on a des propositions efficaces, mais sans jeter l'argent par les fenêtres», explique Cem Özdemir, le co-président des Grünen. Son camarade français, Alain Lipietz, compatit: «Dire qu'on va monétiser les dettes des pays du Sud sonne hyperinflation pour certains. L'Allemagne et l'Autriche sont les seuls à l'avoir vécue... Nous, on ne sait pas ce que c'est!»
Sans compter que plusieurs partis écologistes européens sont déjà en campagne électorale. C'est bien sûr le cas d'EELV et de sa candidate Eva Joly. Les Verts allemands, eux, se préparent pour 2013. «Les Allemands nous expliquent qu'ils ont assez payé, y compris électoralement, pour s'être mis dans les clous européens... Ils ne veulent pas deux fois la tartine sans beurre!», témoigne Lipietz. Les Grünen avaient été sanctionnés dans les urnes après leur coalition avec le SPD de Gerhard Schröder jusqu'en 2005, qui avait mis en place d'importantes réformes (connues sous le nom de Hartz IV) de démantèlement du système de protection sociale. Aller de nouveau (cette fois en sens inverse) contre une opinion publique massivement opposée aux plans d'aide aux pays du sud de l'Europe est un choix particulièrement risqué.
Eva Joly, à l'inverse, axe son discours économique sur la dénonciation des plans d'austérité et de la mainmise de la finance, y compris face à un François Hollande qui prône la «crédibilité» au sens de la rigueur budgétaire, depuis qu'il a repris à son compte l'engagement de Sarkozy de revenir à un déficit de 3% dès 2013. Samedi, devant plusieurs centaines de délégués européens, réunis à Paris, l'ancienne magistrate a de nouveau appelé à la révision du plan d'austérité imposé à la Grèce, «avec des objectifs et un échéancier plus réalistes, et une meilleure répartition des efforts, en particulier de la part du plus grand propriétaire terrien de ce pays, l'Eglise orthodoxe», et a défendu un «grand emprunt européen» pour engager la transition écologique.
Mais, veulent croire les écologistes, il n'est plus de désaccord majeur entre eux, juste une question de hiérarchie. Exemple avec la BCE: si tous sont donc tombés d'accord, «dans le débat allemand, ce n'est pas la première revendication que les Grünen mettront en avant», explique le Français Pascal Canfin. «Il y a un apprentissage, une approche verte européenne qui n'est pas la somme des sensibilités nationales, abonde Monica Frassoni, la co-présidente italienne du groupe vert au parlement européen. La question de la nécessité d'avoir des finances publiques plus saines est devenue une valeur pour nous. Après, on la module selon des hiérarchies différentes en fonction d'où l'on vient.»
Il n'empêche, si les écologistes ont fait «leur saut fédéral à eux», selon leur expression, la réalité militante des partis nationaux diverge encore. «C'est plus facile avec les Grünen au parlement européen... Avec le groupe vert au parlement allemand, il y a encore des différences», admet Michael Scharfschwerdt, un des collaborateurs d'Özdemir. Mais, plaide le Belge Philippe Lamberts, «je défie n'importe quelle autre famille politique européenne de se mettre d'accord comme nous le faisons aujourd'hui, avec un discours à la fois convergent et précis».