LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 01.02.12 | 09h33 • Mis à jour le 01.02.12 | 10h36
Dans son dix-septième rapport annuel, publié mercredi 1er février, la Fondation Abbé-Pierre évalue à plus de 3,6 millions le nombre de personnes mal logées ou sans abri, et plus largement à 8 millions celles concernées par la crise du logement. Le mal-logement s'est "profondément enraciné" en France, dénonce la Fondation Abbé-Pierre, qui demande aux candidats à la présidentielle un "véritable changement d'orientation des politiques". "Le logement est devenu une vraie machine à exclure et à produire des inégalités", résume Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation.
Selon la Fondation, les difficultés concernent plus que les sept cent mille personnes dépourvues de logement personnel, dont cent trente-trois mille sans domicile fixe, selon l'Insee : "3,6 millions de personnes [sont] non ou très mal logées, et plus de 5 millions de personnes supplémentaires [sont] en situation de réelle fragilité de logement à court ou à moyen terme." La crise a joué un rôle d'accélérateur, avec "la fragilisation des ressources des ménages", doublée de "l'augmentation considérable du coût du logement".
PLUS DE 4 MILLIONS DE MÉNAGES VIVENT AVEC MOINS DE 500 EUROS MENSUELS
Trouver un logement, en changer ou le garder devient "source de préoccupation majeure" pour les plus démunis, mais également pour les revenus modestes (salariés pauvres, familles monoparentales, etc.). Pour Christophe Robert, "les frontières de l'inacceptable sont dépassées", certains trouvant refuge dans des cabanes, des bidonvilles, des caves, des campings, les autres acceptant des logements plus petits, plus loin, plus détériorés.
Le logement accentue ainsi la précarité : selon une étude menée à partir d'une enquête de l'Insee (2006), plus de 4,2 millions de ménages vivraient une fois le logement payé avec moins de 500 euros mensuels. Les ménages s'adaptent au prix de "renoncements importants" et en recourant à des mécanismes de solidarité qui "ne tiendront qu'un temps", souligne Christophe Robert.
La Fondation constate l'enracinement du mal-logement et la diversification de ses visages, avec de plus en plus de personnes touchées jusque dans les classes moyennes. Elle impute ce phénomène à la flambée des prix de l'immobilier et des loyers, aux effets de la crise, mais aussi à une politique du logement jugée "excessivement faible" et parfois "injuste". "La ligne générale des politiques a été de soutenir de façon inconsidérée les marchés immobiliers", explique Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation, selon qui "il manque entre sept cent mille et huit cent mille logements en France".
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| 01.02.12 | 11h12 • Mis à jour le 01.02.12 | 11h29
Avec son "contrat social pour une nouvelle politique du logement", établi sur le modèle du "pacte écologique" de Nicolas Hulot en 2007, la Fondation Abbé Pierre voulait amener les politiques à prendre des engagements précis sur le logement. Son délégué général adjoint, Christophe Robert, estime qu'elle a déjà remporté une partie de son pari: "Le logement est entré dans la campagne. Nous sommes déjà assurés que le désintérêt de 2007 ne se reproduira pas."
Les candidats à l'élection présidentielle dont les partis sont représentés au Parlement ont été invités à signer le texte, mercredi 1er février, devant près de 3000 invités, à Paris, à l'occasion de la présentation du 17e rapport annuel sur "l'état du mal-logement en France". A l'issue d'une prise de parole de 25 minutes, Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou et François Hollande pourront engager, ou pas, leur signature. Henri Guaino, le conseiller spécial du président, représente Nicolas Sarkozy.
DIX PROPOSITIONS
Concis, le pacte énumère dix propositions, rassemblées autour de quatre grands thèmes: la construction de logements, la régulation des prix, la protection des plus faibles et le développement d'une ville équitable et durable. Certaines des propositions sont de véritables mesures, d'autres correspondent plus à des ouvertures de chantiers: construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux, durant le quinquennat; lancement d'un plan de conventionnement visant 100 000 logements à loyer accessible par an dans le parc privé; encadrement des loyers du parc privé; éradication des 600 000 logements indignes; augmentation du seuil de 25% de logements sociaux dans le cadre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU).
Si le pacte paraît "hollando-compatible", et, d'une manière générale, dans la ligne de la plupart des candidats de gauche ou écologiste, il est en décalage avec les positions défendues par la droite. "C'est effectivement un contrat très ambitieux, qui comporte des éléments de rupture avec la politique menée depuis de nombreuses années, reconnaît Christophe Robert, le délégué général de la Fondation. Nous ne l'avons pas configuré pour qu'il soit signé par tout le monde. Le but n'était pas de tomber dans le consensuel."
C'est la première fois que l'organisation caritative, au logo représentant la silhouette du célèbre ecclésiastique, s'engage de cette manière sur le terrain politique. "Le décalage entre le peu de place accordée au logement dans le débat public et l'importance que ce thème a pris dans la vie des Français, nous a obligés à agir", explique Christophe Robert.
25,7 % DU BUDGET DES FRANÇAIS
L'urgence sociale est là. Les experts estiment à 10 millions le nombre de ceux qui, à des degrés divers, sont frappés par la crise du logement. En France, il manque entre 600 000 et 900 000 logements; 1,2 million de ménages sont en attente d'une HLM. En vingt-cinq ans, le logement est devenu le premier poste de dépenses des ménages, qui y consacrent parfois jusqu'à la moitié de leurs ressources (25,7% en moyenne pour l'ensemble des ménages, contre 13% dans les années 1980). Selon une récente étude de la Sofres, près d'un Français sur cinq déclare avoir des difficultés à faire face au paiement de son loyer ou au remboursement de son emprunt immobilier.
Si les causes sont connues – pénurie massive d'une offre abordable, envolée irrationnelle des prix à la location comme à l'achat, absence de pilotage au niveau national… –, il faut bien constater que les réponses politiques n'ont pas été à la hauteur. Le gouvernement actuel a beau faire valoir les efforts de rattrapage réalisés ces cinq dernières années – 124 028 logements sociaux ont été financés en 2011, soit un total de 600 000 sur l'ensemble du quinquennat –, les résultats sont encore insuffisants.
Selon les spécialistes, il faudrait une production annuelle de 150 000 logements réellement sociaux pour répondre efficacement à la crise du mal-logement. "Seule l'interpellation publique pouvait obliger les politiques à se positionner sur un véritable changement de cap, même si ce n'était pas obligatoirement de notre responsabilité d'endosser ce rôle", considère Christophe Robert.
120 000 SIGNATURES
Le "contrat social" est le fruit d'un long cheminement qui a commencé à l'automne 2011 par un appel à la mobilisation citoyenne. Au fil des semaines, la pétition a recueilli plus de 120 000 signatures. Une trentaine d'associations aussi diverses que le Secours catholique, l'Association des élus de banlieue ou encore l'organisation syndicale CFDT ont répondu à l'appel.
Le 10 janvier, pour "booster" le mouvement selon les mots de Patrick Doutreligne, le délégué général de la Fondation, l'organisation de solidarité fait jouer une de ses cartes maîtresses en la personne de l'ancien footballeur Eric Cantona, compagnon de route depuis plusieurs années. Dans une lettre publiée par le quotidien Libération, l'ancienne star de Manchester United explique être un "citoyen engagé" et que son objectif est de "recueillir 500 signatures de maires" pour mettre le logement au cœur de la campagne. L'interpellation fait son effet. En quelques semaines, 350 élus apposent leur nom en bas de la pétition.
Une fois élus, les candidats signataires respecteront-ils leur engagement? "Nous avons prévenu les candidats signataires que nous assurerons un suivi, notamment en publiant annuellement dans notre rapport le bilan de l'adoption des réformes et de leur application sur le terrain. C'est en toute connaissance de cause que les candidats décideront d'approuver le document, poursuit Christophe Robert. Ils connaissent notre pugnacité et notre capacité d'interpellation." Et de rappeler la devise de la Fondation: "Ne lâchons rien".
>>> Lire aussi : Logement : les positions des différents candidats"
Catherine Rollot