C’était jeudi soir, lors de l’émission « Des paroles et des actes », sur France 2, lors de l’intervention de Nathalie Arthaud. Cette dernière, par ailleurs professeur d’économie, développait les thèmes habituels de « Lutte Ouvrière », passablement caricaturaux il est vrai, devant les yeux ébahis de quatre journalistes guère habitués à ce que l’on entende quelqu’un proposer de traiter un patron voyou comme le serait n’importe quel autre voyou.
Soudain, sur un ton patelin, Nathalie Saint-Criq, de France 2, demanda à la candidate de Lutte Ouvrière si elle enseignait l’économie à ses élèves en développant de telles thèses. Nathalie Arthaud, qui n’est pas plus ébranlable que ne l’était Arlette Laguillier, en est restée quelques secondes interloquée.
Quoi que l’on pense de « Lutte Ouvrière » et de sa candidate, l’interrogation est pour le moins saugrenue. En somme, pour Nathalie Saint-Criq et ses trois compères de la soirée, qui n’ont pas moufté sur le sujet, il est inconcevable que la Nathalie Arthaud candidate cède la place à la Nathalie Arthaud enseignante, et que cette dernière puisse exercer sa mission comme n’importe quel autre professeur.
Ses cours d’économie sont forcément des appels voilés à l’insurrection en vue de l’instauration de la dictature du prolétariat. A la limite, on se demande même s’il est acceptable de confier un poste d’enseignante à une femme de cette engeance et si elle ne devrait pas être rayée d’office des rangs de l’éducation nationale.
Un tel procès d’intention fonctionne évidemment à sens unique. Jamais on ne posera une question semblable à un quelconque professeur adepte des thèses néolibérales ou ultralibérales ou à un membre de la caste des éditocrates cumulards. Eux, par définition, savent ne pas mélanger leurs engagements de citoyens et leur profession de journalistes. Jamais on ne demandera à l’un des « experts » de la pensée unique entourant Nicolas Sarkozy ou François Hollande (ils sont parfois interchangeables) et qui envahissent les plateaux télé, s’ils peuvent prétendre à l’objectivité alors qu’ils développent les dogmes en vigueur au Medef et qu’ils sont parfois largement rétribués par des groupes privés où ils ont des fonctions diverses et variées. Jamais on ne demandera à François Langlet s’il trouve normal d’officier sur le service public tout en reprenant les obsessions ultralibérales qui lui permettent de doubler allègrement Jean-Marc Sylvestre ou Dominique Seux sur la droite.
C’est ainsi : les membres de la caste médiatico-idéologique qui (dé)font l’opinion ont toujours du mal avec ceux qui ne respectent pas les codes de leur Eglise. Ils leur prêtent forcément des intentions masquées, des arrières-pensées inavouées, et des présupposés diaboliques transformant toute esquisse de débat en procès ad hominem.
D’un certain point de vue, c’est le sorte que réserve cette semaine « Le Nouvel Observateur » à Jean-Luc Mélenchon, passé à la moulinette idéologique comme s’il était l’équivalent d’un agent du KGB à l’époque de la guerre froide. L’hebdomadaire étant à la social-démocratie ce que la Pravda était à l’URSS, il faut croire que la gauche bon chic bon genre commence à avoir des chatouillements dans le cortex.
Dans son éditorial, Laurent Joffrin fait cet aveu incongru : « A l’Obs, on aime bien Jean-Luc Mélenchon ». La preuve, c’est que « L’Obs » châtie bien.
Mélenchon vu par « Le Nouvel Obs », c’est qui ? En gros: un allié de Sarkozy, un descendant des coupeurs de tête de 1793, un suppôt de Castro et un agent de la Chine, bref un personnage infréquentable passible du Tribunal Pénal International.
D’après « L’Obs », Mélenchon a « une sourde fascination » pour l’actuel président, et la social-démocratie est son « ennemi principal ». Et d’expliquer que le candidat du Front de Gauche a fréquenté Patrick Buisson, le conseiller de l’Elysée quand ils participaient ensemble à l’émission « Politiquement Show », sur LCI, avant 2007, époque à laquelle Mélenchon était encore membre du PS. Ce dernier était donc un ennemi de la social-démocratie de l’intérieur, comme quoi avec les anciens trotskystes, il faut toujours se méfier.
Dans ce même numéro, le candidat du Front de Gauche est également accusé de sympathie castriste et chavézienne par Cohn-Bendit, lequel n’oublie pas d’en faire également un espion idéologique de la Chine. Quant à l’ineffable Michel Onfray, philosophe libertaro-médiatique ayant déjà réglé son compte à Sartre, il publie un « réquisitoire » (c’est « L’Obs » qui le précise) de deux pages où l’on apprend qu’outre Chavez et Castro, Mélenchon est un admirateur de Robespierre et de Saint-Just, ce qui ne se pardonne pas. A croire que s’il s’était pâmé pour Marie-Antoinette, il serait respectable.
De plus, Mélenchon est toujours fasciné par Mitterrand. Il y aurait certes beaucoup à dire sur le sujet, mais aux yeux de Michel Onfray, c’est le crime suprême. En vertu de quoi ce dernier annonce qu’il glissera un vote blanc dans l’urne au premier comme au deuxième tour. Faire sonner la charge contre un Mélenchon accusé de crime anti social-démocrate par un penseur qui ne votera même pas Hollande au second tour, c’est le témoignage évident d’une rare perspicacité.