Il y a deux mois, Romain Mauger n'était pas adhérent au Parti pirate. D'ailleurs, il en connaissait à peine l'existence. Aujourd'hui, à 24 ans, il porte les couleurs de ce jeune parti pour les législatives à Montpellier, dans la deuxième circonscription. "J'étais un citoyen qui s'informait et j'ai ressenti le besoin d'aller plus loin, de m'engager", raconte ce jeune chef de projet dans l'éolien.
Le déclic lui est venu à la lecture d'un article de presse traitant des ambitions du Parti pirate qui entendait se faire connaître lors des législatives. Dans un parti tout neuf, sans argent, sans ancrage, sans structure, il y avait de la place pour les nouveaux venus. On pourrait croire que c'est de l'empressement, que le Parti pirate a envoyé au charbon - ou au casse-pipe - toute bonne volonté qui se manifestait, mais Romain Mauger s'en défend. Mieux, il revendique cet amateurisme, vantant un parti ouvert à toutes les bonnes idées, à toutes les énergies, un parti au fonctionnement collégial, un parti à mille lieues des formations politiques traditionnelles qui sont les pierres angulaires d'une "démocratie devenue obsolète".
Fonctionnement collégial, donc. Quand nous lui avons proposé un rendez-vous, Romain Mauger a, au préalable, proposé à ses compagnons de route de participer à l'entretien. Ils sont donc venus à cinq. Il y a Guillaume Tisserant, qui a fondé la section du parti dans le Languedoc-Roussillon et qui supplée James Clément, candidat dans le Gard voisin ; Pauline Fontan, une "simple membre", Lucas Botelin, le secrétaire de la section. Et puis Christine - appelons-là ainsi puisqu'elle ne souhaite pas être citée -, une "vieille militante des droits de l'homme". Elle"a pris beaucoup de recul par rapport aux partis traditionnels après des trahisons multiples" et se réjouit que "des jeunes puissent penser comme ça".
La campagne se fait a minima, selon les disponibilités de chacun. Romain Mauger porte la parole du Parti pirate une fois la journée de travail terminée. Il n'a aucun budget alloué par le Parti qui n'a pas un sou. Ils ont tout de même réuni 200 euros pour imprimer quelques affiches et seulement 20 000 bulletins de vote. Soit moins d'un bulletin pour cinq électeurs inscrits sur les listes électorales de la circonscription. "De facto, c'est un problème démocratique : les petits partis n'ont pas accès aux élections alors que tout citoyen devrait pouvoir se présenter", déplore Romain Mauger.
Historiquement, si l'on peut dire, le Parti pirate est né dans le Nord de l'Europe et s'est fondé sur les problématiques liées à la liberté sur Internet et à la lutte contre les textes jugés liberticides - ACTA pour n'en citer qu'un. "La question du piratage est avant tout une question de liberté d'expression. Si on arrive à gagner sur ce point, on arrivera à se faire entendre sur d'autres questions", veut croire Guillaume Tisserant.
"Internet est totalement entré dans nos vies. C'est le lieu le plus démocratique qui soit, où chacun peut prendre la parole. C'est une démocratie horizontale et nous voudrions transposer cette horizontalité à la vie réelle. Ce n'est plus seulement un parti de geeks !", résume Romain Mauger. D'ailleurs lui-même se définit comme un internaute lambda. "Je ne saurais pas hacker un site", lance-t-il à l'adresse de ceux qui voudraient l'enfermer dans la caricature du petit génie de l'informatique qui passe le plus clair de son existence devant un écran noir blanchi par des lignes de code.
Les points centraux de son engagement personnel concernent la transparence de la vie politique, l'indépendance de la justice et l'énergie... Quand on lui fait remarquer que ces points sont très proches de ceux défendus par un autre parti bien mieux représenté, il opine. "On pirate les bonnes idées des autres partis pour en faire une synthèse. Certaines idées que je mets en avant sont en effet proches de celles d'Europe Ecologie - Les Verts, mais c'est devenu un parti classique" qui n'a plus la fraîcheur de ses débuts en matière de démocratie interne. Et si le Parti prenait le même chemin, en s'institutionnalisant, ils en sont certains, la plupart de ses membres se feraient la belle pour créer autre chose...
Pour Romain Mauger et sa troupe, l'image de doux idéalistes qu'on leur renvoie est au mieux caricaturale. Ils en sont certains, les principes égalitaires du Net franchiront les frontières du virtuel pour coloniser le système démocratique dans son ensemble. "La révolution Internet a déjà eu lieu. Le logiciel, libre existe, les forums existent, etc. On n'est pas des idéalistes ! On a un modèle qui fonctionne, notre but est de le transposer à la vie réelle", résume Guillaume Tisserrant. Ils en veulent pour preuve l'Allemagne où le Parti pirate est devenu une force politique incontournable.
Le Parti pirate français aura-t-il le même destin que son homologue outre-Rhin ? Pour les législatives des prochaines semaines, il est peu probable qu'un candidat puisse atteindre le second tour ; ils en conviennent. "Le premier pirate à l'Assemblée nationale, ce sera pour 2017. Et il ne sera pas seul !", promet Guillaume Tisserrant.