La mauvaise nouvelle était attendue, elle n’en est pas moins douloureuse. Le bilan de l’année 2012 est catastrophique pour l’industrie automobile française. Mercredi 2 janvier, le comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA) a présenté les chiffres des douze derniers mois, et il est peu de dire qu’ils sont mauvais. En un an, les immatriculations de voitures neuves se sont effondrées de 13,9 % dans l’Hexagone. Elles sont passées sous la barre de 1,9 million, soit le plus bas niveau depuis 1997. Sur la même période, le marché anglais a progressé de 5 % et l’Allemagne a limité la casse avec une baisse de moins de 2 %. En France, la chute est particulièrement brutale pour les champions nationaux : Renault accuse une dégringolade de 22,1 % (marques Renault et Dacia confondues), et PSA Peugeot Citroën une baisse de 17,5 %.
Lire ici les chiffres complets des constructeurs :
Automobile : les chiffres 2012 du CCAF
*visibles sur le site de Médiapart ou en suivant ce "link"
Conséquence logique de ce coup de massue : les groupes français ont vu leur part de marché en France baisser de 56,1 % à 52,5 % en un an. Les marques étrangères, elles, chutent aussi sur le territoire, mais de façon beaucoup moins marquée : - 6,7 % en moyenne, dont seulement - 5,1 % pour le numéro un européen, l’allemand Volkswagen. Du côté de la Bourse, les résultats sont tout aussi mauvais pour les Français. En cinq ans, la capitalisation de PSA a été divisée par 6, et celle de Renault, « sauvée » par les 43 % de Nissan détenus par le groupe, a tout de même été réduite de moitié.
Comment expliquer ces chiffres ? Bien sûr, les constructeurs français font face à la crise qui frappe l’Europe depuis 2008. Elle est généralisée : cela fait six ans que le nombre de voitures neuves vendues baisse dans l’Union européenne, tombant à son plus bas niveau depuis 1993 (12 millions de ventes, selon Fitch Ratings). Et puis, ils subissent le contrecoup de la prime à la casse, qui, de décembre 2008 à mars 2011, a boosté les ventes, mais a aussi poussé les consommateurs à anticiper le renouvellement de leur véhicule. Mais ces explications sont loin d’être suffisantes. Et les causes de fond de cet écroulement laissent entrevoir peu de portes de sortie pour les années à venir. Les professionnels eux-mêmes le disent. Le CCFA a indiqué à l’AFP s’attendre « à un marché 2013 au mieux comme celui de 2012 ». Et il y a un mois, le président du comité, Patrick Blain, prévoyait déjà une dégradation pour l’an prochain, tout en tentant de tempérer le pessimisme : « On ne voit pas le marché se redresser mais on ne le voit pas s'enfoncer de la même façon. »
Autant dire que la solution n’est pas à portée de main. Car les constructeurs français pâtissent avant tout de leur positionnement « généraliste », centré sur les voitures de gamme moyenne, du type « compactes » pour reprendre le jargon du milieu. Un créneau qui représente certes les trois quarts du marché, mais qui est aussi de loin le plus encombré, et le moins rentable. Les constructeurs généralistes sont « pris en tenailles entre les véhicules d’entrée de gamme fabriqués dans des pays à coûts salariaux plus faibles (Europe centrale et orientale, Espagne, Portugal, Afrique du Nord) et la domination de constructeurs allemands positionnés sur le haut de gamme », constatait fin octobre dans un rapport sans fard sur le secteur automobile le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Autrement dit, les voitures françaises sont chères. Mais si leur prix reste inférieur à leurs concurrentes haut de gamme, notamment allemandes, la qualité perçue par les acheteurs ne suit pas. « Toutes les marques généralistes reculent, tandis que celles haut de gamme se maintiennent », constate le CCFA. Et ce qui vaut pour les Français vaut pour les autres : les marques américaine Ford, allemande Opel (propriété de l'américain General Motors), espagnole Seat (groupe Volkswagen) et italienne Fiat, toutes sur le même créneau que Renault et Peugeot, baissent fortement, de 18 % à 23 % sur le marché français. En regard, les performances de Mercedes (+ 5,3 %), Audi (+ 4,7 %) et BMW (+ 2,3 %) sont exceptionnelles.
Face à ces chiffres, la tentation pour les Français est forte de suivre leurs homologues allemands. Interrogé sur la baisse des ventes dans Le Monde le 20 décembre, Philippe Varin, le président de PSA, indiquait qu’il comptait malgré tout maintenir les revenus du groupe. Façon détournée de dire qu’il compte sur une élévation des prix pour compenser les mauvaises performances commerciales. « Dans la tempête, le groupe continue à avancer en montant en gamme », déclarait-il, un rien cryptique. Cette stratégie est sans doute la seule que le groupe puisse suivre dans l’immédiat, mais elle est risquée. Pour une raison simple : vu leur prix, les Français achètent de moins en moins de voitures neuves ! Comme le rappelle sur son blog Stéphane Lauer, du Monde, il y a trente ans, plus de 55 % des voitures étaient achetées neuves. Aujourd’hui, on dépasse difficilement les 41 %. Tous les ans, il se vend environ 5 millions d’occasions en France. Largement deux fois plus que de véhicules neufs…
Il existe donc une autre voie, évidente au vu des performances du groupe coréen Hyundai-Kia cette année : celle de la baisse des prix. Avec ses tarifs très serrés et ses longues garanties (5 à 7 ans), les deux marques du Coréen s'envolent de 28,2 %. Sa part de marché a quasiment triplé en un an. Évidemment, les ventes sont encore très modestes : un peu plus de 52 000 voitures en 2012, alors que le modèle le plus populaire en France, la Clio de Renault, s’est vendu presque 119 000 fois ! Mais l’engouement est évident, et probablement durable. C’est d’ailleurs un des paris de Renault, qui a lourdement investi dans sa filiale low cost Dacia. Un choix qui lui a permis de limiter la casse : alors que les ventes de voitures Renault ont chuté de 24,7 % en 2012, les Dacia ont baissé de « seulement » 9,2 %. Et le groupe bichonne ce secteur d’entrée de gamme : après le lancement récent d’une voiture familiale, Dacia commercialisera cette année deux modèles rénovés. Renault, pour sa part, n’a lancé sous sa marque qu’une seule nouveauté depuis 2009, la Clio IV.
Mais le succès de Dacia est aussi un problème pour le groupe Renault. Ces voitures low cost, construites hors du territoire, étaient censées irriguer principalement le marché international, des pays en développement ou au pouvoir d’achat plus faible que la France. C’est notamment dans cette logique que Renault a investi dans nombre d’usines à l’étranger : Roumanie, Maroc, Brésil, Russie, et une toute nouvelle implantation en Algérie, inaugurée lors du voyage de François Hollande en décembre. Problème, selon le CESE : les voitures construites à l’étranger se vendent assez mal… et sont finalement « exportées » vers la France ! « Là où les sites slovaques, polonais ou slovènes étaient initialement prévus pour répondre à la croissance locale des marchés, force est de constater l’insuffisance de leur développement aboutissant à des exportations vers les marchés d’origine des constructeurs européens, souligne le Conseil. Ces choix stratégiques, contestés par les organisations syndicales, comportaient selon elles un risque de réimportations susceptibles de cannibaliser la production nationale. Ceci s’est produit. »
Dit autrement, et brutalement, les usines françaises de Renault et Peugeot font de plus en plus « doublon » avec leurs cousines à bas coût. Résultat, la production hexagonale baisse inexorablement. Selon Le Monde, le nombre de véhicules produits sur le territoire a été divisé par deux en dix ans : 1,6 million en 2012, contre 3,2 millions en 2003... Les taux d’utilisation des douze usines françaises tourneraient désormais entre 50 et 60 %, alors qu’on estime généralement le seuil de rentabilité à 70-80 %. On comprend mieux les difficultés récurrentes de l’industrie. Difficultés qui ont un lourd retentissement dans le pays. Selon le CESE, la filière automobile représente 700 000 emplois directs en France. Et les perspectives sont moroses. Les équipementiers automobiles, après avoir selon eux supprimé 10 000 emplois par an en France entre 2008 et 2010, avaient bénéficié d’une légère accalmie en 2011, avec « seulement » 3 000 postes en moins. Mais l’hécatombe a repris en 2012, avec au moins 6 000 suppressions de postes.
Et le symbole des mauvaises nouvelles qui s’accumulent est bien sûr à chercher chez PSA. En juillet, le groupe a annoncé un plan de suppression de 8 000 postes, incluant la fermeture de son site d’Aulnay-sous-Bois en 2014. Le groupe est très mal en point. Cherchant désespérément à se sortir de la nasse et à trouver un partenaire à l’international, il a annoncé début 2012 un projet ambitieux de coopération avec General Motors. Mais les points d’accord présentés le 20 décembre sont finalement assez maigres : d’ici 2016, Peugeot, Citroën et Opel (la marque allemande de GM) vendront cinq véhicules construits sur les mêmes plates-formes. Mais la coopération ne se fera pas pour un véhicule haut de gamme, comme l’espérait le Français. Et surtout, GM le laisse à la porte des marchés internationaux où il est très bien implanté, notamment au Brésil, mais surtout en Chine, où le constructeur américain domine la concurrence (Renault y est plutôt bien présent, grâce à son partenaire Nissan, mais PSA en est quasiment absent).
L’entrée dans les pays émergents, où il est à la peine, est pourtant un point crucial pour PSA, comme pour tous les constructeurs. En effet, si le marché auto européen plonge (- 25 % entre 2007 et 2012), les ventes mondiales, elles, battent record sur record. Désormais, tout se joue loin du vieux continent. Le Brésil absorbe 5 % des ventes mondiales, autant que l’Allemagne. Et la Chine représente désormais presque 25 % du marché mondial ! Pour la première fois, en 2013, les usines automobiles installées en Chine devraient produire plus de véhicules que celles installées en Europe, selon le Financial Times. Et la tendance risque de s'accélérer : de nouvelles usines doivent ouvrir en Chine, alors que l'Europe doit en fermer au moins cinq d'ici 2016. La chute des constructeurs français n’est malheureusement pas terminée.