Source : www.marianne.net
Jeudi 12 Février 2015 à 5:00
Marianne : Les révélations du Monde et d’autres journaux étrangers sur les pratiques de la HSBC relancent les controverses sur le rôle des paradis fiscaux. A quel niveau évaluez vous le montant de cette fraude ?
Gabriel Zucman : Au niveau mondial, d'après mes calculs, les paradis fiscaux abritent 8 % de la richesse financière globale, soit 7 600 milliards de dollars. Toutes ces fortunes n'échappent pas au fisc et depuis la crise financière il y a d'ailleurs eu des progrès : en 2007, on peut estimer que 90% des avoirs offshore échappaient à l'impôt ; aujourd'hui sans doute environ 80%. Ce qui reste considérable et se traduit par des pertes de recettes fiscales de l'ordre de 200 milliards de dollars par an au niveau mondial. L'Europe en est la première victime avec 75 milliards de dollars de manque à gagner chaque année. Et je ne parle ici que de la fraude pure et simple via des comptes dissimulés, pas de l'optimisation fiscale des multinationales qui représente des sommes plus importantes, mais se fait en général dans le respect de la loi, ou du moins de sa lettre si ce n'est de son esprit.
Les fraudes attribuées la HSBC remontent à 2006 et 2007. Depuis lors, les gouvernements ne sont pas restés totalement inactifs. On se souvient que le G20 avait notamment déclaré « la guerre aux paradis fiscaux », selon Nicolas Sarkozy. Est-ce que cela a eu des effets ?
L'échange automatique d'informations bancaires, qui pourrait devenir une réalité à horizon 2017-2018, est un grand pas en avant. Mais il ne suffit pas : comme le montre l'affaire HSBC, on ne peut tout simplement pas faire confiance aux banquiers offshore pour s'assurer que leurs clients payent bien leurs impôts. Le plupart des banquiers sont honnêtes, mais une minorité ne l'est pas. Et si cette minorité trouve avantage à continuer à aider les fraudeurs, elle le fera. C'est pourquoi, au-delà de l'échange automatique d'informations, il faut se donner les moyens de mesurer les fortunes indépendamment du bon vouloir des banquiers. Concrètement, cela signifie créer un cadastre financier, idéalement à l'échelle mondiale, pour enregistrer la richesse financière comme l'on enregistre la propriété immobilière depuis des siècles. Il faut ensuite définir des sanctions précises et proportionnées pour les pays et les établissements bancaires qui refuseraient l'échange automatique d'informations ou l'appliqueraient mal en pratique. Avec un cadastre financier et des pénalités bien définies pour les paradis fiscaux, la fraude offshore pourrait être éradiquée.
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