Régis Soubrouillard - Marianne
A l’époque, c’est aux Etats-Unis que les centres d'appels de prévention des suicides connaissaient un important regain d'activité au rythme des fermetures d’usines et menaces d’expulsions .
Selon une étude sur « le suicide en Italie en temps de crise » menée par l’association de recherches économiques et sociales (Eures), le nombre de suicides ne cesse d'augmenter depuis 2010. Les chômeurs sont les plus touchés, avec 362 suicides en 2010, ce qui représente une très forte augmentation par rapport aux chiffres des années précédentes : 270 suicides par an en moyenne.
Mais les chefs d'entreprise et les travailleurs indépendants sont eux aussi beaucoup plus nombreux à mettre fin à leurs jours. Globalement, les hommes entre 45 et 64 ans sont particulièrement touchés par ce phénomène.
Certaines affaires, dans le Nord-est ont fait grand bruit, Giovanni Schiavon s’est tiré une balle dans la tête le 12 décembre dernier dans son bureau, à 59 ans. Sa société Eurostrade 90 était certes endettée, mais l’Etat lui devait 250 000 euros.
Des suicides politiques ?
« La première est la dimension modeste, sinon minime, de leurs entreprises, qui en majorité exercent leur activité dans des secteurs établis tels que la construction, le petit artisanat et autres. Ensuite le fait que, dans un système où une PME du Nord-Est fait appel en moyenne à 274 fournisseurs, lesquels réalisent généralement à 80% le produit fini, toutes les PME sont étroitement liées les unes aux autres ».
L'étude de l’association de recherches économique et sociales juge « très élevé » le risque de suicide chez les italiens directement exposés aux conséquences de la crise.
Ving trois suicides ont été recensés depuis le 1er janvier 2012, dont neuf en Vénétie, la riche région du nord-est de l'Italie où se trouve le siège de la CGIA, un syndicat de petits entrepreneurs et d'artisan. « Ces suicides sont un véritable cri d'alarme lancé par ceux qui n'en peuvent plus. Les taxes, les impôts, la bureaucratie, l'absence de crédits, les retards dans les paiements ont créé un climat hostile qui pénalise les entrepreneurs », a déclaré Giuseppe Bortolussi, secrétaire de la CGIA, cité par les médias italiens.
Un réseau d’aide psychologique vient d’être mis en place à l’initiative d’un entrepreneur de la Vénétie, région qui concentre le plus de petites entreprises.
Le suicide en public d’un pharmacien retraité à Athènes au début du mois d’avril avait suscité une vive émotion dans tout le pays, Un suicide qualifié de « politique » par l’hebdomadaire To Ethnos (Le peuple) : « Politique, d’abord par le choix du lieu ou s’est déroulée la tragédie. La place Syntagma, un lieu hautement symbolique, en face du Parlement, où les représentants du peuple déterminent le sort du pays en votant des lois d’austérité qui détruisent la vie de millions de Grecs. Ensuite par la décision de faire de ce geste, qui habituellement s’accomplit dans la solitude d’un lieu privé, un acte public – presque un sacrifice devant la foule, pour que ce désespoir puisse toucher la société tout entière ». En Grèce le taux de suicides a bondi de 40%.
Des suicides individuels, la signature collective d'un malaise social
Si le suicide garde naturellement sa part d’ombre en tant que meurtre d’une identité individuelle, l’argumentation de Durkheim est encore d’actualité dans la crise financière qui frappe le monde entier, et l’Europe en particulier : « le chiffre des faillites est un baromètre qui reflète avec une suffisante sensibilité les variations par lesquelles passe la vie économique. Quand, d'une année à l'autre, elles deviennent brusquement plus nombreuses, on peut être assuré qu'il s'est produit une grave perturbation ».
C’est le versant autodestructeur des sociétés modernes incapables de répondre à la désespérance sociale qu’elles produisent. Une vague de suicides parmi les chômeurs renvoyant à « l'apparente détermination des dirigeants européens à commettre un suicide économique pour le continent entier » selon l'expression du chroniqueur du New-York Times, Paul Krugman.
Un symptôme social ou comment l’arme symbolique de centaines de suicides accomplis séparément par des personnes qui ne se connaissent pas finit par s’apparenter à une signature collective.