Un nombre record de sanctions a été infligé aux demandeurs d’emploi en 2012. L'économie allemande va mieux, mais à quel prix pour les chômeurs !
JobCenter, le pôle emploi allemand, à Berlin. (Sipa)
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L'économie allemande va mieux, et les chômeurs en paient le prix fort. Selon le dernier rapport statistique de l’Agence fédérale pour l’emploi, un nombre record de sanctions a été infligé aux demandeurs d’emploi en 2012 : plus d’un million, soit une augmentation de près de 11% en un an. La raison avancée par l’Agence fédérale pour l’emploi peut en faire rêver certains : l’augmentation du nombre d’emplois disponibles due à une bonne conjoncture, ainsi qu’un meilleur accompagnement des chômeurs, seraient responsables de ce pic sans précédent. Pourtant, à y regarder de plus près, la réalité est moins rose.
Selon le porte-parole du Pôle Emploi allemand, le nombre de propositions faites par les agents aux chômeurs augmente en raison de la bonne santé du marché du travail. "Nous avons eu une année relativement bonne en ce qui concerne le marché du travail, analyse Paul Ebsen. Les secteurs où l’offre d’emplois a le plus progressé sont la construction mécanique, l’automobile et le secteur de la santé, avec notamment les services aux personnes âgées."
Plus d’emplois disponibles, donc plus d’opportunités pour les demandeurs. Mécaniquement, le nombre de rendez-vous organisés pour les demandeurs d’emploi augmente, ainsi que le nombre de rendez-vous manqués. Il en va de même pour les sanctions. Géographiquement, l’Est allemand est plus touché que l’Ouest, et c’est Berlin – dont la devise est "pauvre mais sexy" – qui arrive en tête avec 4,8% de ses chômeurs affectés. Et les sanctions peuvent faire mal : en cas de rendez-vous manqué, 10% de coupe, et ce taux monte à 30% en cas de refus d’emploi ou de formation.
En moyenne, les sanctionnés ont vu leur aide diminuer de 110 euros par mois, sachant que l’allocation Hartz-IV pour les chômeurs de longue durée s’élève au départ à 374 euros. "C’est comme lorsque vous circulez en voiture, continue le porte-parole de l’Agence fédérale, il y a des règles auxquelles il faut se tenir. Si vous ne les respectez pas, vous encourrez des sanctions." "Sauf qu’une contravention ne vous met pas en danger, lui rétorque Ralph Boes, qui milite contre ce système à coups de grèves de la faim. Car il vous reste toujours de quoi vivre." De plus, les bénéficiaires de l’allocation chômage ne sont pas plus fainéants qu’en 2011. Le nombre de "clients" du JobCenter qui ont refusé un emploi ou une formation a paradoxalement reculé l’année passée.
Au-delà des chiffres, ce nombre record de sanctions met en lumière un système allemand très dur à l’égard des demandeurs d’emploi. Depuis la réforme du marché du travail et du modèle social par Schröder en 2003, l’Etat allemand compte ses sous. Il peut même contraindre certains chômeurs à travailler pour 1 euro de l’heure, dans des domaines d’intérêt public tels que la voirie, afin de ne pas perdre les allocations. Ce sont les redoutés "1-Euro-Jobs". Le postulat étant que le système doit surveiller le chômeur tout autant – sinon plus – qu’il doit l’aider. Dans ces JobCenter gérés pour certains par des communes et pour d’autres par l’Agence fédérale, les conseillers sont d’ailleurs des "managers de cas" et non des "conseillers" comme en France, gérant en moyenne 150 chômeurs chacun.
Dans cette ambiance résolument libérale, l’Agence allemande pour l’emploi vient d’annoncer un renforcement du contrôle des chômeurs malades à partir du mois d’avril. Ceux qui rateraient un rendez-vous pour raisons de santé seront contrôlés plus systématiquement, et les sanctions seront plus fortes. La consigne a même été diffusée de se montrer plus "méfiant " à l’égard des chômeurs malades en début ou en fin de semaine, ou bien "juste après les vacances".
Les libéraux de la FDP soutiennent cette ligne de sanctions renforcées. Dans un entretien à la radio Deutschland Funk, un membre de la fraction parlementaire du parti s’est même félicité d’un "système bien construit" qui permet aux citoyens de "se relever". Un durcissement de ton qui passe mal. L’association allemande des chômeurs, le Erwerbslosen Forum, a dénoncé "une nouvelle campagne de haine contre les bénéficiaires des allocations chômage" sur son site. "Ces chiffres montrent quelle place occupe aujourd’hui la dignité humaine en Allemagne", déplore son porte-parole Martin Behrsing, qui voit dans cette politique répressive un avertissement, une manière de "mettre la pression sur tous les salariés, pas seulement les chômeurs".
Les Verts ont également tiré la sonnette d’alarme, en réclamant un moratoire sur les sanctions infligées aux chômeurs. "Il faut en finir avec cette culture de la méfiance vis-à-vis des chômeurs, insiste la députée verte Brigitte Pothmer. N’oublions pas que les sanctions ne touchent que 3% d’entre eux !" Pour autant, les Verts ne remettent pas tout le système en question, qui selon eux a eu le mérite de "fusionner l’aide sociale et les allocations chômage, permettant à un plus grand nombre d’y avoir accès."
Une statistique particulièrement intéressante permet de mieux appréhender l’état du marché du travail outre-Rhin : plus de 7 millions d’Allemands occupent ce qu’on appelle un "Mini-Job "(qui rapporte tout au plus 400 euros par mois) et un tiers d’entre eux le cumule avec un temps plein afin de s’en sortir. Le terme "Hartz-IV" résume à lui tout seul cette structure libérale - pensée sous Schröder dans le cadre de son "Agenda 2010" - et ses conséquences pour les Allemands. Il désigne l’allocation que reçoivent les chômeurs de longue durée, et tire son nom de l’un des penseurs de la réforme, Peter Hartz.
Ce mot est entré dans le langage courant, à tel point qu’il est devenu un verbe : "hartzen". Un verbe qui désigne le fait de vivre modestement de petits boulots ou d’allocations. Dans des villes pauvres comme Berlin, les "Hartzer" forment déjà une véritable communauté. "Les Français doivent savoir que Hartz-IV équivaut à un génocide, avertit Ralph Boes. Mais je suis sûr que ce système ne marcherait pas chez vous, ou alors les Français feraient la révolution !"
Alexander Abdelilah