«Mettre le feu à la plaine.» L'expression revient souvent dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon quand on lui demande comment il envisage la campagne du Front de gauche autour de sa candidature. Lors de son entretien à Mediapart, au lendemain de la primaire socialiste, le candidat à la présidentielle nous disait: «A nous de faire la démonstration que le vote utile, c'est nous. C'est tout l'enjeu de la campagne! Si j'arrive à prouver que le vote utile est celui qui assume la confrontation avec le système financier, qui veut transformer les institutions et organiser le partage des richesses, j'ai gagné. Sinon, Hollande l'emportera.»
Depuis la rentrée, les représentants des forces politiques membres du rassemblement électoral de l'autre gauche ont planché sur le meilleur dispositif pour «souffler sur les braises» et faire converger les radicalités. «Le but, c'est de retrouver la dynamique des comités du non de 2005, avec un caractère ouvert et unitaire, à la fois sur des mobilisations précises et en gardant une dimension d'éducation populaire», explique Eric Coquerel, proche de Mélenchon. Le Front de gauche multiplie donc les formes d'initiatives.
Mardi 25 octobre, c'est l'ancienne patronne du PCF Marie-George Buffet qui a lancé les festivités, depuis la gare d'Austerlitz, où cheminots et pompiers sont en grève pour des revendications salariales. Elle est en charge du «Front des luttes», visant à ce que «l'ensemble des salariés s'approprient la démarche du Front de gauche». Concrètement, explique la députée de Seine-Saint-Denis, «il s'agit de venir en soutien des salariés en lutte, mais pas seulement, l'objectif est de faire entrer le débat politique à l'intérieur des entreprises, et ne plus s'arrêter à la porte des usines». A ses côtés, l'ancien secrétaire général de la CGT cheminots, Didier Le Reste, apporte son approbation à cette relative entaille à la charte d'Amiens.
«Le mouvement social s'est trop éloigné du politique, ce qui s'est avéré préjudiciable à terme pour le rapport de force, car le centre de gravité de la gauche de gouvernement a dérivé vers le centre, dit l'ancien meneur des grèves à la SNCF. Il faut respecter l'indépendance des syndicats, mais aussi recréer des passerelles entre le monde de l'entreprise et la gauche.» Pour Eric Coquerel, «on est obligé d'être unis dans les luttes et dans les urnes: il n'y aura pas d'issue politique sans être majoritaire dans les urnes, et il n'y aura pas de gouvernement de gauche sans pression des luttes!»
Pour l'heure, Buffet estime à «une bonne trentaine» le nombre d'assemblées citoyennes réunies dans le Front des luttes. «Au début, ça démarre forcément là où on a des relais politiques et/ou syndicaux, explique-t-elle. A la SNCF, ça se propage. Chez les Fralib, ça se développe. Dans le secteur de l'énergie, ça démarre...»
Initiatives tous azimuts
Le Front de gauche entend également occuper le terrain via des mobilisations «agit-prop», comme le récent rassemblement d'andouillettes devant le siège parisien de l'agence de notation Moody's, sous l'impulsion notamment de Leïla Chaibi (membre de l'association Jeudi noir et ancienne du NPA). Cette dernière a également participé à l'organisation de projections publiques de l'intervention de Jean-Luc Mélenchon sur TF1, le 21 octobre dernier. «Au début, certains n'étaient pas très chaud pour ce genre d'initiative, car ça faisait vraiment présidentialiste, explique-t-elle. Et puis le soir, dans un café du XIIIe, on a vu arrivé une soixantaine de personnes, dont deux tiers n'étaient pas des militants. Dès la fin de l'émission, tout le monde se battait pour prendre la parole.»
Mélenchon et les siens entendent enfin mobiliser autour de débats sur le programme du Front de gauche («L'humain d'abord»), édité aux éditions Librio et vendu 2 euros, notamment lors d'un «week-end de ventes militantes» qui aura lieu les 4 et 5 novembre («le vendredi à la sortie des usines et des transports en commun, le samedi sur les marchés», dit l'une des coordonnatrices nationales Danielle Obono). Quant aux assemblées citoyennes, unité militante de base de la mécanique du Front de gauche, elles seront réellement lancées à la mi-novembre, à l'occasion d'une «semaine spéciale, où le but sera d'en faire le maximum en même temps dans tout le pays», dit Coquerel. Une autre version de ces forums participatifs à la sauce Front de gauche prendra la forme d'«ateliers législatifs», supervisés par la députée et co-présidente du PG, Martine Billard, afin de «concrétiser matériellement les propositions du programme».
Outre ces dispositifs nationaux, mélenchonistes et communistes préparent également la mise en œuvre de «Fronts de gauche thématiques». Sa responsable, la militante féministe Clémentine Autain, en explique l'esprit: «Démultiplier les portes d'entrée de la campagne, et reconstituer des réseaux dormants, ou les faire vivre davantage encore. L'idée, c'est d'en faire à l'infini, selon les viviers militants au début, puis partout sur le territoire, avec l'objectif de produire de l'événement politique, sous des formes différentes appartenant à ceux qui sont sur le terrain: manif, colloque, tribune dans la presse...» Selon la responsable de la Fédération pour une alternative sociale et écologiste (FASE), «il n'y a pas de méthode, pas de chef, mais une liberté totale d'initiative. Comme lors du référendum, il faut accepter que les choses nous échappent, du moment que cela crée de la convergence. Charge à nous, depuis Paris, de rassembler toutes les actions, de mettre en contact des gens, d'aider à l'outillage, voire financièrement, certains événements. Et de voir où est-ce que le candidat peut venir donner un coup de main médiatique». Autre objectif, moins affiché: la possibilité d'attirer à soi les déçus du PS après la primaire, et notamment les partisans d'Arnaud Montebourg ou de Benoît Hamon, qui ne se satisferaient pas de la candidature de François Hollande. «Ce sont des lieux de débats et d'engagement, où il n'y a pas besoin de prendre une carte», dit Autain.
Les Fronts de gauche de la culture, des migrants, de la recherche, de l'éducation, de l'agriculture, de l'économie sociale et solidaire, ou de l'égalité homme/femme, ont déjà été créés. D'autres vont être lancés sur l'eau ou les questions LGBT. «Mais il y en aura aussi qui partiront de la base, poursuit-elle, comme le Front de gauche des professeurs d'histoire-géographie qui est en train de se créer à partir d'enseignants du Vaucluse, où celui autour des quartiers populaires en train de s'élargir depuis Montpellier.»
Les quartiers populaires, cible de reconquête de l’électorat FN
Lancé depuis la fin de l'été, sur les bases d'une association déjà existante et labellisée «Front de gauche» lors des dernières cantonales (lire notre article), le Front de gauche des quartiers populaires (FGQP) se réunit ce week-end à Montpellier pour préparer des rencontres nationales en mars prochain. L'un de ses fers de lance, Mohamed Bouklit, a été intégré dans le conseil politique national du Front de gauche, et assure avoir eu «beaucoup de retours, d'associations de quartier ou d'élus de terrain», pour l'instant surtout dans le sud de la France (Perpignan, Avignon, Nîmes, Millau). «On a aussi entamé des contacts avec des associations moins politiques, comme "Banlieue+", pour réfléchir notamment à une semaine d'inscriptions sur les listes. Il nous faut faire du temps électoral un moment de repolitisation des quartiers populaires.»
Des contacts ont aussi été pris avec le Forum social des quartiers populaires (FSQP), qui se réunit le week-end du 12 novembre à Saint-Denis, mais l'indépendance affichée de ce réseau vis-à-vis du monde politique rend peu probable une convergence (lire notre article de septembre 2009). «Nous, on tend la main à tout le monde, en respectant les spécificités de chacun, dans une démarche d'unité et de diversité, dit Bouklit. Mais si certains veulent rester dans une autonomie exclusiviste, on ne pourra rien faire ensemble, hélas.» D'autres discussions ont également lieu avec le Parti des Indigènes de la République (PIR). «La question est de savoir s'ils veulent dépasser la seule grille d'analyse coloniale, comme d'autres dépassent leur seul credo marxiste.»
Ce qui rapproche le «Front des luttes» de Marie-George Buffet et le Front de gauche des quartiers populaires de Mohamed Bouklit, c'est aussi le souhait de ne pas laisser le champ libre au FN. Ainsi, comme l'estime le syndicaliste Sud-Energie Yann Cochin (également ex-NPA), devant la gare d'Austerlitz: «Il nous faut maintenir l'unité syndicale pour affirmer que la politique est notre affaire, car c'est aussi le moyen de lutter contre les idées racistes qui s'imposent de plus en plus dans nos entreprises.»
Un souci qui partage Mohamed Bouklit, effrayé de voir des initiatives comme celle de l'Alliance éthique républicaine (ARE) d'un conseiller régional Front national, Stéphane Durbec, noir et protégé de Jean-Marie Le Pen, avec un militant associatif et secrétaire général de la plus ancienne mosquée de Marseille, Omar Djellil (lire un article de La Provence). «Il est hors de question de laisser se développer et se structurer ce genre de dynamique, s'alarme Mohamed Bouklit. Ce type d'initiative n'est possible que dans des endroits où la gauche n'est pas la vraie gauche.»