"Des affaires comme ça, il y en a des milliers. Ça arrive tous les jours que des Etats n’appliquent pas le droit communautaire", soupire au téléphone Carlo Corrazza, porte parole du Commissaire Andreo Tajani, chargé de l’entreprise et de l’industrie dans l’Union Européenne. La presse s’y intéresse rarement, mais Reporterre si.
L’offensive a commencé dès le 23 mars. Ce jour là le Daily mail annonçait que les Mercedes dernier cri risquaient l’interdiction sur les routes anglaises, parce qu’elles ne respectaient pas la directive 2006/40/EC dite MAC, pour Mobile Air Conditioning. En cause, le gaz utilisé dans les climatiseurs, qui exerce un effet de serre mille deux cents fois plus important que le CO2 (gaz carbonique). Or la directive n’admet pour les voitures récentes que des gaz ayant un effet de serre beaucoup plus faible, inférieur à 150 fois celui du CO2.
En conséquence, la France arrêtait en juin dernier l’immatriculation des deniers modèles Mercedes. Mais fin août, le Conseil d’Etat l’autorisait à nouveau, en attendant de statuer sur le fond comme Reporterre l’a raconté.
Mercedes arguait que le nouveau gaz - dont le nom barbare est R1234yF - employé sur la 305 Peugeot, par exemple, avec un effet de serre quatre fois seulement celui du CO2, s’enflammerait au contact du moteur en cas d’accident. Le fabricant du gaz, Honeywell, soutenu par les constructeurs américains, répliquait que c’était une question de conception de circuit. Des expériences de collision ont eu lieu des deux côtés pour établir la réalité des faits, et Mme Merkel aurait demandé à l’organisme d’Etat qui homologue les voitures en Allemagne, de les reprendre. Les résultats n’ont pas été publiés. Mais une chose reste certaine : le gaz aux vieilles normes (R 134) est très nuisible au climat.
Berlin a écrit à la Direction générale de l’entreprise et de l’industrie, qui a rédigé la directive, pour s’expliquer. La lettre date du 14 août. Bruxelles disposait de dix semaines, mais assure aujourd’hui à Reporterre qu’il s’agissait "seulement d’un délai indicatif". Début novembre, donc, les juristes de la Commission auront évalué la réponse allemande. Si celle ci contient "assez d’éléments pour éclairer la situation, il n’y aura pas de suivi". Dans le cas contraire, la Commission doit "poursuivre le dialogue avec l’Allemagne, avec l’objectif de corriger la situation". Ensuite seulement, le Collège des Commissaires de l’Union pourrait engager une procédure d’infraction. On attendait la première décision plus tôt, pour le 28 octobre, mais deux événements ont perturbé le cours des opérations.
Le 14 octobre, le Conseil des ministres de l’environnement s’est réuni pour voter l’accord avec la Commission et le Parlement Européen, obtenu en juin, par l’Irlande, alors présidente de l’Union, sur la limitation à 95 g de Co2 par km des gaz d’échappement en 2020. L’Allemagne a demandé son report à 2024. Sa position et le soutien de la Pologne et du Royaume Uni ont créé la minorité de blocage, qui l’a emporté. Au reste, la France n’a défendu l’accord que très mollement.
On peut s’en étonner, alors que les Renault, Peugeot et Citroën pouvaient appliquer ces normes avec aisance, davantage que les lourds engins allemands, et que Paris avait là une occasion de soutenir avec un bon argument son industrie automobile. Mais Paris a mis la pédale douce. Interrogés par Reporterre à ce propos, ni le ministèrere de l’Ecologie ni celui du Redressement productif n’ont répondu.
D’autres pays, parmi les vingt-huit, ont posé devant le Conseil, en termes poignants, la véritable question en jeu : l’impact sur le climat, dont l’Allemagne aussi devrait souffrir, moins toutefois que la Grèce et le Portugal, soumis aux feux de forêt, ou les Pays Bas, dont les deux tiers sont conquis sur la mer. En réalité, l’affaire était jouée d’avance, Mme Merkel ayant fait campagne sur la défense de l’automobile allemande pour sa réélection.
La surprise est venue de l’annonce, le lendemain, d’un don de 690 000 € à son parti, consenti par la famille Quandt, principal actionnaire de BMW, autre fabricant que cet accord dérangeait quelque peu. "Aucun rapport !" s’est récrié la chancelière, mais peu d’observateurs la croient. On l’appelle désormais "autochancelière" outre Rhin.
"Aucun rapport" insiste aussi Corrazza, le porte parole de la DG Entreprise et l’industrie. L’affaire Mercedes risque tout de même de déboucher sur une procédure à la Cour de justice de l’Europe. Si la Cour constate l’infraction, si l’Allemagne ne s’amende pas et persiste à ignorer la directive, un autre jugement pourrait fixer une amende, ce qui prendra encore des mois. Tout se passera tranquillement, tel est le message aux industriels. Le porte parole se montre confiant : "c’est comme l’Eglise catholique, explique-t- il dans un sourire : il y a toujours moyen de s’améliorer". Mais pas besoin de se presser…
Le commissaire européen… roule en Mercedes
On dira que c’est la faute au hasard. Mais le Commissaire européen à l’Entreprise et à l’Industrie, Antonio Tajani, roule en Mercedes Classe A - le modèle même qui utilise le gaz à fort effet de serre.
C’est ce que révèle sa déclaration d’intérêts, que l’on peut télécharger ici :