Source : www.reporterre.net
Bruno Masse
jeudi 2 janvier 2014
Qu’est-ce que l’acceptabilité sociale ? Depuis quelques années, cette expression est invoquée autour des grands projets d’infrastructures. Mais ce concept managérial constitue un piège pour les citoyens-nes et l’environnement.
L’acceptabilité sociale a la cote. Cette nouvelle variable s’installe dans le discours et pèse de toute évidence dans le processus de décision. Il tient de se demander, au juste, de quoi il s’agit.
Anatomie d’un concept creux
Pour le secteur privé, et son partenaire gouvernemental, la résistance citoyenne aux projets de développement industriel est perçue comme un problème. C’est qu’on assiste souvent à des manifestations, à toutes sortes d’actions spectaculaires et médiatisées, à des conférences de presse et, parfois, comme dans le cas des gaz de schiste, à la menace d’actions directes. Cette dernière crée de l’incertitude chez les investisseurs - particulièrement dangereuse lorsque le projet est déjà risqué.
Le Conseil du patronat en environnement reconnaît cela dans son Guide de bonnes pratiques afin de favoriser l’acceptabilité sociale des projets que : « la dichotomie entre la croissance nécessaire [sic] et le développement contesté se manifeste de plus en plus ».
Dans un véritable chef-d’oeuvre de dissonance cognitive, le Conseil estime que « l’acceptabilité sociale émerge maintenant en tant qu’enjeu majeur du XXIe siècle car les promoteurs de projets, comme les gouvernements d’ailleurs, reconnaissent les répercussions qu’un problème d’acceptabilité sociale peut engendrer pour leur réputation, pour le succès des projets et le développement économique ».
LesAffaires.com renchérit en reconnaissant que « l’actualité nous fait prendre conscience que récemment, plusieurs grands projets ont fait les frais d’une forte mobilisation citoyenne ».
Formellement, il existe une pléthore de définitions de ce concept managérial. Je vous avertis, elles sont vagues, et selon moi trompeuses, mais j’arriverai à cela plus loin.
Au Québec, la plus populaire est celle de Caron-Malenfant et Thierry Conraud, dans leur Guide pratique de l’acceptabilité sociale : pistes de réflexion et d’action : « Le résultat d’un processus par lequel les parties concernées construisent ensemble les conditions minimales à mettre en place, pour qu’un projet, programme ou politique s’intègre de façon harmonieuse, et à un moment donné, dans son milieu naturel et humain ».
Fortin, Devanne et LeFloch affirment qu’il s’agit plutôt d’une « interprétation globalement positive d’un [projet] qui est partagée et affirmée par un ensemble d’acteurs et qui résulte d’une mise en perspective du projet et de ses impacts par rapport aux attendus et idéaux portés en matière de développement et d’aménagement durables du territoire concerné ».
Le géographe finlandais Wolsink a creusé profondément la question dans de nombreux ouvrages. Il pousse plus loin en spécifiant trois types d’acceptabilité sociale :
L’acceptabilité sociopolitique (quelles sont les conditions favorables ?)
L’acceptabilité communautaire (comment intégrer le projet au sein d’une communauté ?)
L’acceptabilité du marché (le marché est-il favorable sur le plan des investissements et de la demande ?)
Dans tous les cas, il s’agit d’implanter un projet d’exploitation de ressources naturelles dans une communauté, et de qualifier sa faisabilité en considérant la réaction de la communauté. Le terme « implantation » est clef, parce que l’objectif est vraiment de tester la résistance et d’obtenir une réaction positive. Le cas contraire, on pourra saborder le navire à temps pour minimiser les pertes.
"Les problèmes techniques n’existent pas. Le problème, c’est les gens".
Confusion en pratique
Contrairement aux principes des droits humains qui définissent très clairement les conditions de l’autodétermination d’une communauté (par exemple, la notion de consentement, libre et éclairé), l’acceptabilité sociale est un concept plutôt malléable.
Elle désigne simultanément deux choses radicalement différentes : d’une part, la perception du (non) consentement de la population (locale) sur un projet d’exploitation de ressources naturelles, et d’autre part, une démarche de relation publique visant à « manufacturer le consentement » et alimenter les divisions dans la communauté afin de désarmer l’opposition.
Tout n’est pas noir ou blanc. L’acceptabilité sociale peut servir à une communauté si son absence fait renverser la vapeur sur un projet néfaste. Mais la perméabilité du concept, et la façon arbitraire dont les médias, les élus et les corporations se le rapproprient, constituent un danger réel pour la démocratie.
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