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Source : www.mediapart.fr
Protection des données personnelles, conservation des données pour lutter contre le terrorisme, surveillance de masse : le parlement européen a pris des positions offensives sur ces dossiers sensibles ces derniers mois. Mais les capitales ne l'entendent pas de cette oreille. L'eurodéputé allemand Jan Philipp Albrecht explique à Mediapart pourquoi le parlement n'a pas – encore ? – perdu la bataille.
De notre envoyé spécial à Bruxelles. Ce fut l'un des moments forts de la mandature du précédent parlement : en mars 2014, une très large majorité d'eurodéputés adoptait une batterie de textes plutôt offensifs sur la protection des données et l'espionnage de masse révélé par les documents d'Edward Snowden. Que sont devenus ces textes dans les méandres du circuit législatif bruxellois ? Alors que les capitales sont sur la défensive, face à un lobbying souvent féroce dans ce secteur, les députés ont-ils une chance d'être entendus ? Quels liens avec les négociations du traité de libre-échange avec les États-Unis ?
À 31 ans, Jan Philipp Albrecht entame cet été son second mandat d'eurodéputé. Cet Allemand, membre du groupe des Verts, est l'un des spécialistes des questions de plus en plus complexes posées par l'essor du numérique sur nos libertés civiles. Il fut rapporteur, l'an dernier, d'un texte révisant la législation sur la protection des données qui établit par exemple la règle du « consentement explicite » (qui obligerait un Google, par exemple, à demander plus explicitement aux utilisateurs s'ils acceptent de confier certaines données au moteur de recherche). Entretien.
Le texte dont vous étiez rapporteur, sur la protection des données, semble aujourd'hui bloqué : le conseil européen, qui représente les capitales, est divisé. Pourquoi ?
Le texte n'est pas vraiment bloqué. Disons que certains États membres ne veulent pas avancer très rapidement. Ils refusent le principe de règles spécifiques qui les encadreraient de manière trop précise. Nous, au parlement, depuis 2011, réclamons un standard unifié pour la protection des données, qui s'applique à l'ensemble de l'UE, et dans tous les secteurs. Quiconque traite des données devrait suivre ces règles. Le parlement l'a voté en mars avec une majorité très large, cela rend le processus irréversible. La seule question, c'est de savoir combien de temps ça prendra de convaincre les capitales.
Quels sont les États membres les plus réticents ?
Avant tout la Grande-Bretagne, le Danemark et la Hongrie. Ils rejettent le principe général d'une régulation.
L'Allemagne est aussi sur la défensive. C'est étrange, quand on observe l'ampleur des débats dans ce pays sur les questions de l'espionnage de masse – beaucoup plus vifs qu'en France (lire ici). Comment l'expliquez-vous ?
L'Allemagne a déjà adopté, pour ses 16 Länder, des régulations très précises en la matière, et Berlin ne souhaite pas donner de compétences à l'UE sur ce sujet. C'est effectivement une position étrange parce que, sur le fond, beaucoup d'Allemands sont favorables à durcir les règlements de protection des données. Au parlement européen, beaucoup d'élus allemands ne comprennent pas la position de Berlin.
À l'inverse, la France, la Pologne, l'Italie, et même l'Irlande (connue pour héberger les sièges européens de nombre de poids lourds américains, comme Facebook, ndlr), y sont, eux, favorables. S'ils décident d'aller au vote au conseil, ils sont majoritaires. C'est pour cela que je pense que le texte n'est pas bloqué.
Berlin redoute un abaissement des standards en matière de protection des données, si l'on confie cette compétence à Bruxelles. Que répondez-vous ?
C'est faux. Les fonctionnaires allemands sont incapables de dire précisément, à partir de la lecture des textes en débat, en quoi cela abaisserait leur législation. Nous leur avons demandé des dizaines de fois de nous dire sur quels documents reposaient leurs analyses, et ils ne répondent jamais.
En parallèle se déroulent, entre Bruxelles et Washington, des négociations pour un accord de libre-échange UE/États-Unis (TTIP – lire ici). Cela complique forcément les choses…
Depuis le début des discussions, la commission a affirmé à de nombreuses reprises qu'elle ne transigerait pas sur la protection des données personnelles. C'est l'une de leurs « lignes rouges ». Dont acte. Mais bien sûr, ils vont négocier dans certains secteurs sur les marchés numériques, et sur des services de traitement de données. Il faut donc que l'UE obtienne que n'importe quelle entreprise qui voudrait vendre ses biens et services en Europe, se plie au règlement sur la protection des données de l'UE.
De manière plus générale, je suis très sceptique sur le TTIP, et les Verts devraient voter contre. L'avenir de la coopération internationale, ce n'est pas de conclure ce type d'accords commerciaux. Ces accords fonctionnent sur la reconnaissance mutuelle de standards différents, et à chaque fois, c'est le standard le moins exigeant qui l'emporte. À l'inverse, il faut imaginer des accords pour définir, à l'échelle internationale, des normes en matière de protection des données, d'OGM ou de santé, selon des procédures transparentes et démocratiques. C'est un vaste chantier…
En avril, la cour de justice européenne a rendu un arrêt très remarqué, à propos de la directive sur la conservation des données utilisées pour lutter contre le terrorisme. Elle a invalidé ce texte de 2006, qui autorisait les opérateurs de télécommunications à archiver jusqu'à deux ans certaines données relatives au trafic et à la localisation des utilisateurs (lire ici). Vous avez commandé une étude auprès d'universitaires (à télécharger ici) qui décrypte cet arrêt. Pourquoi ?
L'arrêt de la cour de justice est une étape historique pour le développement des droits fondamentaux en Europe. Pour la première fois, à l'échelle européenne, ces droits sont très fortement protégés. Nous avons demandé à des experts quelles implications, théoriques et politiques, cela pouvait avoir. Jusqu'à présent, les États membres pensaient qu'ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient en la matière. C'est une très bonne nouvelle de voir que la cour de justice est montée au créneau pour dire le droit.
Concrètement, qu'est-ce qui peut changer ?
La conclusion de cette étude, c'est que les capitales, et les parlementaires, ont du travail devant eux pour rendre les législations conformes à cet arrêt (et en particulier les règlements nationaux qui transposaient cette directive, ndlr). Cela concerne à la fois les dossiers des passagers aériens, les échanges de données bancaires, etc., autant de secteurs qui ne respectent plus les droits fondamentaux. Jusqu'à présent, dire cela, c'était émettre une opinion politique. Désormais, c'est une réalité juridique.
Autre dossier important : la réaction de l'Union face à l'espionnage de masse dévoilé par Edward Snowden. Là encore, le parlement européen a adopté un rapport ambitieux sur la question (lire ici). Mais ce n'est qu'un rapport, sans effet certain. Le parlement européen a-t-il un pouvoir en la matière ?
Sur l'espionnage de masse, mené par la NSA américaine, mais aussi par d'autres services de renseignement, dont la France, le parlement est la seule institution qui a parlé de manière très forte sur ces questions. Nous avons mené une enquête en profondeur. Et nous avons adopté deux recommandations importantes : la suspension de l'accord SWIFT (l'accès aux données bancaires des Européens par les Américains, au nom de la lutte contre le terrorisme, ndlr) et de l'accord dit « safe harbor » (qui autorise les entreprises américaines travaillant en Europe à transférer leurs données aux États-Unis, à certaines conditions, ndlr).
Mais ce ne sont que des recommandations dans un rapport qui risque bien de rester lettre morte…
Ce texte n'est pas juridiquement contraignant, pour la commission européenne ou pour le conseil européen. En ce qui concerne le « safe harbor », il suffit d'une décision de la commission. Quant à SWIFT, il faudrait une proposition de la commission, puis un vote en conseil. Tout cela est possible. Mais ces deux institutions ont choisi de ne pas avancer. Ce n'est plus acceptable.
Le parlement semble impuissant face à ces deux accords internationaux.
Non. Par le passé, le parlement a déjà montré qu'il pouvait bloquer certains textes, lorsqu'une résolution qu'il a adoptée est totalement ignorée. On peut dire à la commission : nous ne voterons aucun autre texte tant que vous n'avancez pas sur SWIFT. Nous pouvons aussi faire pression sur la future commission : des auditions des commissaires vont commencer à l'automne (jusqu'à fin octobre, ndlr). Le parlement va demander à la future commission si elle s'engage à suspendre ces deux accords.
Un an après les premières révélations Snowden, pas un seul gouvernement de l'UE n'en a vraiment tiré les conséquences. Donc sans les citoyens, qui doivent faire pression sur leurs gouvernements et les appeler à prendre leurs responsabilités, rien ne va changer. Il faut accentuer la pression sur les capitales dans les mois à venir.