Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
L'air du monde | | 03.01.12 | 13h31 • Mis à jour le 03.01.12 | 16h12
par Sylvie Kauffmann (L'air du monde)
La mondialisation ? D'une certaine manière, oui. Si ces noms se sont retrouvés mêlés dans vos lectures ces derniers temps, c'est parce que l'Inde, la Corée du Sud, le Brésil ou la Chine sont aujourd'hui plus proches, à la fois de nous et les uns des autres. Aujourd'hui, tout ce qui s'y passe nous concerne et tout ce que nous faisons les affecte.
Mais ce qui relie vraiment ces trois personnes et ces deux lieux, le point commun entre le nouveau héros de Moscou, le gréviste de la faim de New Delhi et le nouveau maire de Séoul, entre le village du sud de la Chine qui a réussi à se révolter sans être écrasé et la capitale brésilienne où valsent les ministres, c'est un fléau auquel, précisément, la mondialisation a donné une nouvelle dimension : la corruption. Pour l'économie du pot-de-vin, la mondialisation est à la fois une mauvaise et une bonne nouvelle. Ou une bonne et une mauvaise nouvelle, selon le point de vue duquel on se place.
Une mauvaise nouvelle, parce que les taux de croissance économique effrénés, l'afflux d'investissements, la course aux matières premières, la libre circulation des capitaux et l'intégration dans l'économie mondiale sont autant de facteurs qui, en multipliant l'offre et les occasions, ont exacerbé la corruption. La Banque mondiale chiffre entre 20 et 40 milliards de dollars (15,4 et 30,9 milliards d'euros) par an le montant des ressources soustrait aux aides diverses par cette forme de vol organisé : c'est énorme.
La bonne nouvelle, c'est Alexeï Navalny, c'est Anna Hazare, c'est Park Won-soon. C'est le/la protestataire arabe que le magazine Time a proclamé(e) personnalité de l'année 2011. Ce sont les paysans de Wukan, village de 20 000 habitants dans la province de Canton, qui se sont soulevés contre les fonctionnaires locaux véreux. Ceux-ci vendaient leurs terres aux promoteurs immobiliers en empochant, au passage, les dédommagements. C'est la présidente Dilma Rousseff contrainte de faire le ménage (une tâche qui incombe souvent aux femmes) dans son gouvernement par un puissant mouvement citoyen saturé de décennies de corruption au Brésil. Plus énergique, sur ce point, que son prédécesseur Lula, elle n'a pas reculé : en moins d'un an, elle s'est séparée de six de ses ministres.
Le blond avocat blogueur russe Alexeï Navalny, que la police a eu la très mauvaise idée de jeter en prison pendant quinze jours, s'était rendu célèbre sur Internet en qualifiant le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, de "parti des escrocs et des voleurs". Il a mis dans le mille : "voleurs" est un mot omniprésent dans le vocabulaire russe actuel. Cette formule assassine est devenue le slogan de la vague de protestation qui s'est emparée de la Russie depuis le scrutin frauduleux de décembre.
En Inde, c'est un vieux monsieur de 74 ans aux accents gandhiens, Anna Hazare, qui ébranle la classe politique depuis le mois d'avril par sa croisade pour la création d'une agence anticorruption indépendante. Rien de bien nouveau sous le soleil du sous-continent, direz-vous. Sauf que cette fois-ci, les classes moyennes de Delhi et de Bombay, elles aussi saturées de ces pratiques qui leur empoisonnent la vie, lui ont emboîté le pas. Sentant le vent du boulet, le parti au pouvoir a vite déposé un projet de loi - que la Chambre haute du Parlement vient de rejeter.
Pendant ce temps, les habitants de Séoul élisaient, fin octobre, hors du système des partis, un maire indépendant connu pour son engagement en faveur des droits de l'homme et de la lutte contre la corruption.
Partout, cette réaction civique de fond est relayée et amplifiée par Internet et les médias sociaux.
La morale de l'histoire, c'est Cobus de Swardt, directeur général de Transparency International, qui la tire. Dans son bureau clair et moderne, au siège de l'organisation à Berlin, ce sociologue sud-africain, ancien militant anti-apartheid, constate qu'une tendance de fond s'est dégagée à la faveur du "printemps arabe" : "On a dépassé la revendication purement droit-de-l'hommiste de 1989, dit-il. Maintenant, on attend du pouvoir qu'il soit comptable de ses actions et qu'il dise la vérité. C'est un mouvement qui ira au-delà du "printemps arabe"." Sur le terrain, ses équipes ont observé l'évolution. "Il y a dix ans, un soulèvement contre la corruption était inimaginable. C'était un sujet technique, pas une cause populaire."
Les choses ont bougé ces deux ou trois dernières années. La victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes en 2006 pouvait être perçue comme un signe avant-coureur. Fermant les yeux sur les accusations de corruption portées contre le Fatah et l'Autorité palestinienne, les Occidentaux ne l'avaient pas vue venir. Transparency International a, depuis, adapté sa stratégie de lutte contre la corruption : l'ONG, désormais, se concentre sur la société civile.
Les Etats, eux aussi, voient le vent tourner. La Russie cherche à rejoindre l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, le club des pays riches et propres, et veut bien tout signer. Soudain, en Arabie saoudite, en Chine, en Indonésie, naissent des agences anticorruption. Il ne reste plus qu'à appliquer les règles...
Et en France ?
En France, la corruption existe aussi. Elle est même punie. Simplement, ça prend du temps. Ici, ce n'est pas la pression populaire qui traque les malversations. Il faut le travail minutieux et obstiné d'un juge, Renaud Van Ruymbeke, et la pression du combat électoral proche, pour que le public découvre, dix-sept ans plus tard, les modalités du financement de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur, en 1995. Il faut la lente hâte de la justice pour condamner, deux décennies plus tard, l'ex-maire de Paris, Jacques Chirac, longtemps protégé par l'immunité présidentielle, à deux ans de prison avec sursis pour prise illégale d'intérêt, détournement de fonds publics et abus de confiance. Et encore le mot de "corruption" n'aura-t-il pas été prononcé. Il s'agissait, tout bêtement, d'une "affaire d'emplois fictifs". Selon l'expression consacrée.
kauffmann@lemonde.fr
A noter : la chronique Ecologie d'Hervé Kempf sera désormais publiée dans le "Monde" daté dimanche-lundi.