Source : www.reporterre.net
Entretien avec Thomas Coutrot
mardi 19 août 2014
Attac a quinze ans. Mouvement au coeur de l’altermondialisme, son histoire en reflète les échecs et les succès. Son porte-parole, Thomas Coutrot, raconte comment l’écologie est entrée dans le logiciel du mouvement, et évoque l’explosion du système du fait du blocage du capitalisme.
Née en 1998, l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) a fêté son quinzième anniversaire. L’occasion de remonter l’histoire trépidante du début du XXIe siècle, et de s’interroger sur la situation présente : la force des alternatives s’imposera-t-elle à un système figé, ou la seule issue est-elle l’explosion ? On en discute, avec Thomas Coutrot, économiste et porte-parole d’Attac.
Reporterre - Quelle est l’histoire d’Attac ?
Thomas Coutrot - Attac est né en même temps que le mouvement altermondialiste, dont la première grande date marquante a été 1999, avec le sommet de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) à Seattle : de grandes manifestations s’y sont déroulées, manifestant l’émergence du mouvement. C’est le moment où l’on commence, à la suite des crises financières en Asie et en Amérique Latine dans les années 1990, à s’apercevoir des pouvoirs exorbitants dont dispose l’industrie financière et des ravages qu’elle fait subir aux sociétés. Donc, le mouvement inter mondialiste se développe contre le libre échange, contre l’OMC, contre l‘AMI (Accord multilatéral sur l’investissement). Et puis, l’idée a été avancée par Ignacio Ramonet, du Monde diplomatique, d’appliquer la taxe Tobin, une taxe sur les mouvements de capitaux : cette idée a fédéré plein d’acteurs associatifs ou intellectuels qui se rendaient compte qui fallait faire cause commune, parce que les combats des différentes causes - syndicale, écologique, féministe, des droits de l’homme, de solidarité internationale -, ces combats séparés se heurtaient à un adversaire extrêmement puissant. Isolé, aucun ne pouvait plus obtenir d’avancée.
Attac en France est rapidement devenue une association de masse. En 2002, elle y comptait trente mille adhérents et plusieurs dizaines de comités locaux, avec un essaimage dans des pays européens, africains, latino-américains et même asiatiques. Le Forum social mondial a été créé en 2001 à Porto Alegre, au Brésil, et Attac y a joué un rôle important.
- A Porto Alegre, le 25 janvier 2001 -
Mais les attentats du World Trade Center en septembre 2001 ont cassé la dynamique du mouvement. La contre-offensive des néo-conservateurs américains a été extrêmement forte et a coupé les ailes des mouvements sociaux aux Etats Unis et du mouvement altermondialiste. Ensuite, Attac a vécu une crise qui a éclaté en 2006.
Découlait-elle de la contre offensive des néo conservateurs ?
Le mouvement altermondialiste n’était plus dans une phase ascendante. Cela a pu convaincre certains que ce mouvement n’était pas aussi important que cela et qu’il fallait revenir à des méthodes classiques de conquête du pouvoir politique : partis et candidatures aux élections. En 2004, la direction d’Attac a tenté de lancer des listes aux élections européennes. Cette tentation s’est renforcée par le succès de la campagne contre le traité constitutionnel en 2005, où Attac a joué un rôle important.
Mais une grande partie de l’association s’y est opposée. Beaucoup d’adhérents étaient venus par dépit du jeu des rivalités de pouvoir, des batailles d’écuries parlementaires ou présidentielles, et ne voulaient pas retrouver dans Attac ce type de compétitions. Ainsi, malgré le prestige et le capital symbolique dont disposait Bernard Cassen et la direction du fait de leur rôle dans la création d’Attac, ils n’ont pas réussi à convaincre la majorité des adhérents d’en faire un proto parti politique qui aurait été le cœur de la recomposition politique à la gauche du parti socialiste.
La direction sortante s’est retrouvée minoritaire. Mais Attac était déjà sur le déclin. Entre 2003 et 2006, l’association avait déjà perdu dix mille adhérents et était retombée à vingt mille adhérents Entre 2006 et 2009, l’association a de nouveau perdu dix mille adhérents. Depuis, elle s’est stabilisée autour de dix mille.
Comment Attac s’est-elle relevée de cette crise ?
Il est quasiment miraculeux de mon point de vue qu’on ait réussi à conserver dix mille adhérents dans une association aussi traumatisée. Mais il y avait, au-delà de l’équipe fondatrice et de la direction, un collectif vivant et pluraliste qui a pu, avec l’apport de jeunes militants, la stabiliser. En particulier grâce à la question écologique : c’est après la crise de 2006 qu’Attac s’est ouvert à l’écologie et a commencé à considérer qu’une de ses missions était de construire des synergies entre le mouvement ouvrier traditionnel et le mouvement écologique.
Une mutation difficile : quand les idées de la décroissance sont apparues au début des années 2000, beaucoup chez Attac se sont braqués contre cette idée.
Oui. Au conseil scientifique et dans la culture historique des fondateurs, on avait une alliance de keynésiens et de marxistes chez qui la tradition écologique est marginale. Le centre de gravité était le keynésiano-marxisme qui pensait donner un autre contenu social à la croissance, une croissance axée sur la satisfaction des besoins et non pas sur la rentabilité financière, mais une croissance. Et quand sont arrivées les thèses de la décroissance, beaucoup de militants y ont vu le danger de l’apologie de l’austérité, la négation du fait que les besoins humains non satisfaits existent à profusion, notamment au Sud.
Ces crispations étaient encouragées par le fait que, du côté du discours de la décroissance - Paul Ariès le dit très bien aujourd’hui -, il y a eu une alliance ambiguë entre des courants progressistes et des courants plus douteux sur le plan idéologique. Ce fait qu’il y avait des réactionnaires du côté de la décroissance était monté en épingle par les opposants à ces thèses de façon convaincante. Ces incompréhensions se sont largement dissipées après 2006. Mais cela n’est pas seulement lié à la crise d’Attac, où le courant le plus étatiste et archaïque s’est marginalisé, c’est aussi lié à l’évolution du mouvement de la décroissance lui-même : il a clarifié son idéologie.
Il reste aujourd’hui dans Attac une forte réticence à utiliser le terme de décroissance qui est perçu comme aussi vide de sens que le mot de croissance. La décroissance n’est pas perçue comme un terme permettant de figurer une alternative. Le mot lui même n’est pas repris par Attac - à juste titre selon moi.
Refusez-vous explicitement le terme de croissance ?
Depuis 2008-2009, le terme de « croissance » n’apparaît plus positivement dans les textes d’Attac. On considère que la croissance n’est pas la solution. On est pour une économie sans croissance, pour ce qu’on appelle la décroissance sélective. Il y a des secteurs qui doivent décroître, d’autres qui doivent croître.
Et pourquoi l’avez-vous abandonnée ?
A cause de la prise de conscience qu’on ne peut pas découpler la croissance du PIB (produit intérieur brut) et l’émission de CO2. Le découplage absolu est une impossibilité et il faut en tirer les conséquences. Intellectuellement, c’est l’argument décisif. On ne peut pas découpler la croissance économique de la progression des émissions de gaz à effet de serre, donc il faut y renoncer.
Comment définirais-tu le projet économique d’Attac ?
C’est un projet de démocratie économique. Même une économie stationnaire connaîtra du changement. L’histoire de l’humanité ne sera pas figée une fois pour toutes. Il y aura du développement de certaines productions et des abandons d’autres. Donc la trajectoire de développement doit résulter de la délibération démocratique articulée à tous les niveaux. C’est ce que certains appellent la planification participative avec l’idée qu’il y aura toujours une économie marchande. Le marché est un outil économique beaucoup plus ancien que le capitalisme et lui survivra. Mais les forces du marché ne doivent pas déterminer les trajectoires du développement économique des sociétés. Ceci doit être fait par les délibérations démocratiques articulées au niveau local, régional et international.
Attac, c’est quoi : un mouvement d’éducation populaire ? un mouvement de production d’idées alternatives ? Un mouvement militant ?
Notre définition du début est toujours valide : Attac est un mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action. On est parti sur une conception d’éducation populaire para-universitaire, dont les membres du conseil scientifique vont donner des conférences dans les comités locaux devant les adhérents et les sympathisants, qui viennent s’instruire au contact de la Science. Cela a beaucoup marqué le début de l’association et continue à structurer le fonctionnement de pas mal de comités locaux. On finit par s’apercevoir que ce n’est pas très efficace. Donc on diversifie : les projections de films suivies d’un débat ouvert constituent aujourd’hui la forme d’animation la plus utilisée.
Par ailleurs, on réfléchit sur l’interpellation des pouvoirs. Attac concevait son rôle comme étant d’interpeller les politiques : « Il faut mettre en place une taxe Tobin, il faut faire une réforme fiscale, il faut faire une réduction du temps de travail, il faut faire mener une politique de transition écologique, etc. ».
Avec la crise de représentation, de légitimité du système politique, et avec le diagnostic de la cooptation des hautes sphères de l’appareil d’Etat par les intérêts financiers et économiques qui fait qu’on a maintenant affaire à une oligarchie et que les politiques publiques reflètent de façon systématique les intérêts de cette oligarchie, « interpeller » devient largement inutile. On s’oriente vers le soutien, la mise en visibilité des initiatives concrètes dans la société, sur l’énergie, l’agriculture, l’écologie, etc. Les alternatives concrètes locales deviennent un des outils principaux de la transformation sociale. Aussi, on s’oriente de plus en plus vers la mobilisation citoyenne sur des cibles précises, telles que les multinationales ou la Banque centrale européenne. On a par exemple lancé un mouvement de boycott d’Unilever pour soutenir Fralib.
Pourquoi ce choix ?
Fralib est un des trop rares exemples de lutte sociale – il s’agit de sauver les emplois – avec une démarche écologique pensée avec la relocalisation des circuits courts. Ce projet est emblématique de pleins de choses. La CGT locale – pas nationale ! - se bat durement depuis trois ans avec peu de soutien extérieur, alors qu’ils sont vraiment dans un projet écologique.
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