Pas de panique mais une attente inquiète. Dimanche, l’Elysée aura les yeux rivés sur deux scrutins : les législatives françaises, dont dépend l’application du programme de François Hollande, et les élections grecques, dont dépend l’avenir de la zone euro. En cas de victoire de Syriza, le parti de gauche radicale hostile aux plans d’austérité, plusieurs pays européens pourraient décider de lâcher la Grèce.
Or le chef de l’Etat l’a dit et répété jeudi à Rome, à l’occasion de sa rencontre avec le président du conseil Mario Monti : il juge dangereuse une sortie de la Grèce de la zone euro. Mais il assortit systématiquement ce souhait d’un « mais ». « Je suis pour que la Grèce reste dans la zone euro mais les Grecs doivent savoir que cela suppose qu’il y ait une relation de confiance », a affirmé François Hollande mercredi soir dans un entretien accordé à la chaîne de télévision grecque Mega Channel (lire la retranscription de l’interview sous l’onglet Prolonger).
En clair : la Grèce peut, et doit, rester dans la zone euro à condition qu’elle respecte ses engagements, c’est-à-dire le “memorandum” qui regroupe les plans d’austérité adoptés en échange de l’aide négociée avec la “Troika” composée de la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI.
C’est le message que François Hollande a voulu envoyer directement aux Grecs en acceptant une interview à seulement quatre jours du scrutin. Bien qu’il répète à plusieurs reprises être « l’ami des Grecs » et vouloir « respecter le peuple grec », ses propos sonnent comme un avertissement (et une consigne de vote) : « J’ai conscience que les électeurs doivent avoir la pleine souveraineté mais je dois les prévenir parce que c’est mon devoir, parce que je suis un ami de la Grèce, que si l’impression est donnée que les Grecs veulent s’éloigner des engagements qui ont été pris et abandonner toute la perspective de redressement alors il y aura des pays dans la zone Euro qui préféreront en terminer avec la présence de la Grèce dans la zone euro. »
D’après ses conseillers, le président français veut à tout prix éviter de donner le sentiment de lancer un diktat aux Grecs, conscient que de tels propos risquent de renforcer « les partis populistes », mais ne peut s’empêcher d’espérer, à haute voix, la victoire des partis favorables au “memorandum”. Soit, implicitement, celle des socialistes du Pasok et des conservateurs de Nouvelle démocratie.
« Les Grecs sont totalement maîtres de leur choix. Mais s’ils votent majoritairement contre l’Europe, on sera obligés d’en tenir compte. S’ils élisent des anti-plans d’austérité, on aura des problèmes », dit-on au quai d’Orsay. Parmi ces « problèmes », la France craint une attaque des marchés financiers sur les autres dettes déjà fragilisées (Espagne, Italie etc.) « Le gouvernement français préfère la victoire des gens qui ont tout assumé jusqu’ici », confirme-t-on à Matignon. Un choix vivement critiqué jeudi par le Front de gauche, proche de Syriza. « La France ne doit pas appuyer le chantage de Mme Merkel et des tenants du consensus libéral. La question n'est pas la sortie de la zone euro ou non, mais sa refonte », a dénoncé Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF.
Mais en Europe, le “tout sauf Syriza” est largement partagé, notamment en Allemagne où la chancelière Angela Merkel a en horreur le parti de gauche radicale. Même les sociaux-démocrates allemands du SPD, en visite à Paris mercredi où ils ont rencontré le premier ministre Jean-Marc Ayrault et le président de la République, lui sont hostiles. « Si Alexis Tsipras (le chef de Syriza) gagne le scrutin dimanche, Merkel sera très dure. Déjà l’idée de devoir remettre au pot traumatise les Allemands, mais alors si c’est avec l’extrême-gauche… Même le SPD pense qu’une victoire de Syriza signifie la fin de l’Europe », explique un conseiller français qui a assisté aux entretiens. Avant d’ajouter, dans un sourire : « C’était étonnant : ils nous ont beaucoup questionnés sur Mélenchon. On avait beau leur dire qu’il était un démocrate, ils restent dans la tradition d’anticommunisme très forte dans la gauche allemande. »
Ces derniers jours, l’idée d’une coalition entre le Pasok et Syriza a pourtant fait son chemin (lire notre entretien avec Liêm Hoang Ngoc) : le patron des socialistes européens, d’ordinaire très prudent, Hannes Swoboda, s’y est dit favorable. L’Elysée aussi a (un peu) changé de ton: alors que François Hollande avait refusé de recevoir Alexis Tsipras en mai dernier, ses conseillers rappellent désormais que le leader grec défend le maintien de son pays dans la zone euro. Une ligne qu’il a pourtant toujours tenue. « L’idée d’une telle alliance commence à passer dans les têtes de la gauche européenne, si les principaux postes ministériels sont détenus par le Pasok », décrypte un conseiller de Matignon.
Surtout, Paris ne veut pas croire à un raz-de-marée de Syriza dimanche soir. L’Elysée mise sur de longues négociations à l’issue du scrutin pour aboutir à une coalition gouvernementale. « Ce ne sera ni un soleil radieux ni une catastrophe le 18 au matin. Il faudra attendre que la situation se décante dans les semaines qui viennent », explique-t-on.
Côté français, il est désormais acquis qu’après les élections, l’Europe sera prête à des concessions sur le “memorandum” : le calendrier d’application des mesures d’austérité pourrait être assoupli. « Une réflexion s’ébauche sur la façon de ne pas briser la Grèce. L’Allemagne ne veut pas céder sur les grandes mesures du plan mais on peut discuter du calendrier », explique un conseiller.
Les principaux dirigeants de la zone euro ont prévu d’échanger dès dimanche soir sur le résultat des élections, avant de se retrouver dès lundi à Los Cabos au Mexique pour le sommet du G20. Hollande, Merkel, Monti et l’Espagnol Mariano Rajoy se retrouveront ensuite dès le vendredi 22 pour une rencontre à quatre à Rome pour discuter de leurs propositions pour le sommet européen des 28 et 29 juin. La France a préparé une contribution écrite, qu’elle remettra au président du conseil Herman Van Rompuy. « Elle est quasiment prête », dit-on à Paris.