LEMONDE.FR | 09.02.12 | 08h35
La préfecture du Rhône l'avait pourtant assuré : "personne ne reste à la rue". Mais en réalité, dans la nuit du 6 au 7 février à Lyon, cent treize personnes ont composé le 115, le numéro d'urgence sociale, sans recevoir de solution d'hébergement. La nuit suivante, ce chiffre s'est stabilisé à cent cinq personnes, affirme Baptiste Meneghin, administrateur dans le Réseau des professionnels de l'urgence sociale. "Dans l'impossibilité, faute de solutions d'hébergement, de prendre en charge toutes les personnes à la rue à Lyon, inquiets pour la survie des hommes, femmes et enfants demeurant à la rue, nous, professionnels de l'urgence sociale, lançons un cri d'alarme. Va-t-on attendre le premier mort de froid à Lyon pour daigner s'émouvoir de cette situation ?", s'inquiète l'association.
Pour Baptiste Meneghin, depuis que Benoist Apparu a prié les préfectures de satisfaire 100 % des demandes d'hébergement d'urgence le 3 février, "les préfets sont entrés dans un déni de la réalité". A Lyon, la préfecture a finalement confirmé cette centaine de demandes non pourvues, alors que la chute des températures justifiait le déclenchement du niveau 2 du plan grand froid. Elle a expliqué à l'Agence France Presse que ces personnes "avaient une solution, même précaire, en logeant dans de la famille ou chez des amis, par exemple". Impossible, réagit le travailleur social : elles n'auraient pu être comptabilisées comme "sans solution" si elles avaient signalé, justement, une solution alternative. "A moins qu'une cage d'escalier ou une voiture soient considérées comme des solutions alternatives...", raille-t-il.
La préfecture du Rhône a également argué que "certaines personnes sont orientées vers les places disponibles et ne s'y présentent pas, ou alors elles visitent les lieux et repartent". Là encore, Baptiste Meneghin tique. Selon lui, si des places sont parfois laissées vacantes dans les lieux d'accueil ouverts en urgence, c'est, sauf cas marginaux, à cause de problèmes d'organisation : un gymnase qui ouvre dans un quartier difficile à trouver, le signalement trop tardif de personnes qui ne se sont pas présentées...
TRÈS PEU DE REFUS À PARIS
S'il est difficile de vérifier le nombre réel de demandes d'hébergement non pourvues dans le reste de la France, la situation semble avoir été mieux anticipée à Paris. Car la capitale dispose d'un grand réservoir de places qu'elle ouvre uniquement en situation d'urgence, note Baptiste Meneghin. Selon ses informations, une dizaine de personnes sont toutefois restées sans solution d'hébergement malgré leur appel à l'aide, chaque nuit depuis le début du plan grand froid. La préfecture affirme elle que toutes les demandes ont pu être pourvues, depuis que 1 512 places ont été ouvertes spécialement pour ce volet 2 du plan grand froid.
"Nous n'avons aucune remontée de personnes qui voudraient être logées et qui ne le peuvent pas, affirme Didier Piard, directeur de l'action sociale à la Croix-Rouge. Le seul souci c'est, au contraire, notre capacité à aller vers les gens qui ne demandent rien, et même qui ne veulent pas quitter leur abri dans des campings, des endroits isolés, ou par exemple les tentes au bois de Vincennes."
DES MISES À L'ABRI TRÈS PRÉCAIRES ET TEMPORAIRES
Comment expliquer, alors, que chacun – ou presque – trouve un toit en ces nuits glaciales quand le manque criant de places d'hébergement d'urgence a été récemment relevé par divers rapports ? Pour mémoire, après un dossier de la Cour des comptes qui préconisait, mi-décembre, d'augmenter les moyens dans l'hébergement d'urgence, un rapport du député UMP Arnaud Richard avançait, fin janvier, le chiffre d'un déficit de 70 000 places. En janvier aussi, le baromètre sur le 115 (PDF) de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale montrait que cet hiver "près de la moitié des appels [au 115] se sont soldés par une réponse négative". Dans certains départements, les non-attributions de places en foyers d'hébergement peuvent même atteindre 65 %, jusqu'à 88 % dans le Rhône et 91 % dans la Loire, selon la Fnars. Le premier motif de ces refus est l'absence de places disponibles.
Car il ne faut pas confondre les places d'hébergement d'urgence et les "mises à l'abri", qui entrent en jeu dans le cadre du plan grand froid. Ici, il s'agit de lits dans des gymnases, des salles municipales, des locaux d'association... Bref, un dispositif précaire et temporaire, souvent improvisé, et qui disparaîtra dès la fin du dispositif d'urgence. A Toulouse, Pierre Cabanne, infirmier de rue dans l'équipe mobile sociale et de santé, note que le plan a permis de "caser 122 personnes" – même si c'est "plusieurs familles dans un bungalow, sans intimité, ou des lits de camp dans un gymnase qu'il a fallu quitter car il y faisait 10 °C". Mais il n'oublie pas la suite : "ce sont 122 personnes qui seront à la rue dès que la température remontera au-dessus de zéro, et qui correspondent à peu près au taux de refus du 115 en temps normal".
>> Lire le reportage : "L'hébergement d'urgence, une affaire de saison"
Angela Bolis