| 26.10.11 | 11h22 • Mis à jour le 26.10.11 | 11h58
Les difficultés se sont accumulées pour Claude Guéant depuis son arrivée au ministère de l'intérieur, en février. L'homme connaît bien la maison, après avoir été directeur général de la police nationale (1994-1998) et directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy lorsqu'il occupait la Place Beauvau (2002-2004, 2005-2007). A l'occasion de la présentation du Livre blanc sur la sécurité publique, mercredi 26 octobre, il affiche sa continuité sur les questions de sécurité, et une volonté de ne pas heurter l'institution.
Le Livre blanc arrive à la veille de la campagne présidentielle; peut-il préfigurer un programme du candidat Sarkozy ?
Son objectif n'était pas de nourrir un programme présidentiel ! Il n'en reste pas moins riche de propositions. Il confirme notamment les choix faits en matière de sécurité par le président de la République lorsqu'il était encore Place Beauvau, choix que je poursuis depuis mon arrivée ici.
Quelle place aura la sécurité en 2012 ?
Je pense qu'il y aura beaucoup d'enjeux au cœur de cette campagne : l'emploi, la régulation financière internationale, la gestion de la dette… Mais la sécurité reste une préoccupation centrale des Français. D'autant plus que, à mon sens, c'est un thème qui reste très clivant. Droite et gauche n'ont pas du tout les mêmes approches.
Malgré la conversion des socialistes à ce sujet, marquante lors de la primaire ?
Quand vous écoutez les responsables socialistes parler de sécurité, il y a toujours l'idée d'une responsabilité de la société. Martine Aubry, qui s'est exprimée sur la sécurité, à la différence de François Hollande d'ailleurs, l'a fait de la façon la plus claire en affirmant que "si toutes les violences sont condamnables, c'est la société qui génère les violences". Je ne partage pas cette vision des choses.
La conclusion logique, c'est de vouloir supprimer les peines planchers pour donner une nouvelle chance aux récidivistes. Pendant les primaires, tous les candidats sont tombés d'accord pour dire qu'il y avait un problème d'effectivité des peines prononcées. Pourtant, au même moment, Marylise Lebranchu, ancienne garde des sceaux, largement investie dans la conception du projet, annonce qu'elle veut réduire le nombre de places en prison. Cela n'a aucun sens ! Les socialistes affirment également vouloir rétablir la police de proximité. Il faut rappeler le triste bilan de cette expérience: de 1997 à 2002, la délinquance a augmenté de 17 %. C'est un échec patent.
Quelle est la différence avec vos patrouilleurs ?
Les patrouilleurs répondent aux attentes des Français en matière de sécurité : ils sont particulièrement présents aux heures sensibles, dans les moments où le public a besoin d'être rassuré. Mais la grande différence entre les patrouilleurs que nous mettons en place et la police de proximité tient dans la définition de leurs missions.
Les policiers de proximité négligeaient une des fonctions majeures de la police : la répression, en clair l'interpellation et la mise à disposition de la justice des délinquants arrêtés. Les policiers doivent avoir de bonnes relations avec la population, mais ce n'est pas leur rôle premier. Ils doivent avant tout assurer la sécurité des citoyens, selon trois piliers : prévention, dissuasion et répression. Nous n'en négligeons aucun.
Le Livre blanc prône pourtant un rapprochement entre les forces de sécurité et la population…
Je suis ravi si la police a de bons rapports avec la population. Récemment, j'étais à Villeparisis [Seine-et-Marne], j'ai discuté avec des patrouilleurs qui me disaient qu'ils nouaient avec la population des rapports d'un autre genre, plus confiants. Et très productifs pour l'action policière : les habitants leur parlent, se confient sur la délinquance dans leur quartier. C'est un nouveau gage d'efficacité.
Comment la droite peut-elle se renouveler dans le domaine de la lutte contre l'insécurité ?
Nous avons déjà largement amélioré les choses, même si je suis conscient que ce n'est jamais suffisant. La délinquance peut encore baisser, le sentiment de sécurité peut sensiblement augmenter chez les Français, la présence de la police et de la gendarmerie les rassurera. Pour l'avenir, il y a le problème de l'effectivité des peines. Il y a aussi matière à poursuivre dans le développement de peines planchers que l'on peut appliquer à d'autres cas que ceux qui sont actuellement prévus.
L'un des points noirs, dans les quartiers sensibles, c'est l'occupation du territoire par certains jeunes, pas forcément pénalement répréhensible.
Le sujet des mineurs, et notamment des jeunes mineurs, est un sujet qui est difficile et douloureux, mais cette délinquance est de plus en plus importante et de plus en plus violente. Se trouve posée la question de la réforme de l'ordonnance de 1945. Une réforme profonde de ce texte est nécessaire, j'en suis persuadé.
Actuellement, la justice ne répond pas de façon suffisamment rapide à des actes commis par des mineurs qui doivent être remis dans le droit chemin le plus tôt possible, avant qu'ils aillent trop loin. Le délai moyen entre un acte et la sanction de l'acte est de l'ordre de 18 mois. Dans la vie d'un mineur, c'est considérable. Il faut conserver des procédures très protectrices, conformes à nos principes et à nos engagements internationaux, mais avec des délais plus courts pour permettre la mise en garde.
Et la prévention ?
Compte tenu de l'incapacité de certains parents à prendre convenablement en charge l'éducation de leurs enfants, il faut que nous réfléchissions avec l'éducation nationale à un dispositif de prévention plus approfondie. Mais il faut également davantage responsabiliser les parents. Eux seuls peuvent éduquer et surveiller leurs enfants, c'est de leur responsabilité. Et ils ne peuvent rejeter cette responsabilité sur la société.
C'est pourquoi je souhaite créer une contravention à l'égard des parents qui laissent leurs enfants de moins de 13 ans seuls dans la rue la nuit après 23 heures. Le montant doit être dissuasif : 150 euros par exemple. Si cela ne suffit pas à provoquer une prise de conscience des parents, je souhaite qu'ils s'engagent par la signature d'un contrat de responsabilité parentale, avec suspension possible des allocations familiales en cas de non-respect des termes de ce contrat. Ce sera une incitation pour les parents à veiller sur la sécurité et la santé de leurs enfants. Cela permettra aussi de leur faire comprendre qu'il y a des normes minimales à respecter, qu'il est de leur devoir de veiller sur leurs enfants pour éviter l'engrenage de la délinquance.
Dans son rapport de juillet, la Cour des comptes a estimé que la lutte contre le trafic de stupéfiants avait été négligée…
Nous avons affaire à un problème gigantesque. Il faut, de la part des policiers et des gendarmes, un enthousiasme sans bornes pour toujours continuer à interpeller, à déférer et à lutter contre les trafics. Nous ne lâchons rien. Notre action parvient à contenir le phénomène. La consommation de drogue en France n'augmente pas.
Vous avez dit devant les députés qu'en termes d'économies, on arrivait "à la corde"…
J'ai dit que, après 2012, et la réduction de 3000 postes de policiers et de gendarmes, il deviendrait difficile de réduire encore les effectifs. La preuve a été faite ces dernières années, qu'avec une baisse d'effectifs, on pouvait continuer à faire reculer la délinquance. Mais il sera difficile d'aller plus loin sans risquer de dégrader le service.
Vous avez relancé la commission consultative sur les polices municipales. Qu'en attendez-vous ?
Il y a un problème de doctrine. Ce serait bien d'avoir la possibilité d'afficher quelques principes d'action: certains types de délinquance, la tranquillité, la sécurité de voisinage. Et l'assistance à la police nationale ou à la gendarmerie. Autour de ça, on doit parvenir à définir les fonctions prioritaires des polices municipales. Ce qui est toujours complexe, puisqu'elles dépendent des maires.
Il existe un certain malaise chez les policiers, renforcé depuis septembre par la mort d'une policière à Bourges, une série de suicides le même jour en région parisienne et les affaires de Lyon et de Lille…
Les suicides, cela a été démontré par l'Inserm, sont, sauf exceptions rares, liés à la vie personnelles des fonctionnaires. Cela étant, ils ont beaucoup de travail. Il y a aussi un certain désenchantement parce qu'une partie de ce travail, faute de suites judiciaires, ou faute d'effectivité de la sanction, est perçue comme étant inutile. Nous travaillons à l'amélioration des conditions d'exercice du métier.
Propos recueillis par Laurent Borredon