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6 avril 2012 5 06 /04 /avril /2012 16:43
Marianne - Vendredi 6 Avril 2012 à 05:00

 

Greek Crisis
Historien et ethnologue, ancien correspondant en France pour la revue grecque Nemecis, Panagiotis... En savoir plus sur cet auteur

 

Au lendemain du suicide d'un homme de 77 ans à Athènes, Panagiotis Grigoriou décrit l'atmosphère qui règne dans les rues de la ville. Selon notre blogueur associé, l'indignation a laissé place à l'envie de se venger.

 

(Sur la place de la Constitution, à Athènes, où un septuagénaire s'est suicidé mercredi - Thanassis Stavrakis/AP/SIPA)
(Sur la place de la Constitution, à Athènes, où un septuagénaire s'est suicidé mercredi - Thanassis Stavrakis/AP/SIPA)
« Le gouvernement d’occupation de Tsolakoglou [1] a littéralement anéanti tous mes moyens de subsistance, qui consistaient en une retraite digne, pour laquelle j’ai cotisé pendant trente-cinq ans (sans aucune contribution de l'Etat). Mon âge ne me permet plus d’entreprendre une action individuelle plus radicale (même si je n’exclus pas que si un grec prenait une kalachnikov, je n’aurais pas été le dernier à suivre), je ne trouve plus d’autres solutions qu’une mort digne, ou sinon, faire les poubelles pour me nourrir. Je crois qu’un jour les jeunes sans avenir prendront les armes et iront pendre les traîtres du peuple, sur la place Syntagma, comme l’ont fait en 1945 les Italiens pour Mussolini, sur la Piazzale Loreto, à Milan », a écrit le pharmacien âgé de 77 ans, avant de mettre fin à ses jours sur une pelouse de la place Syntagma, mercredi.

 

Rapidement, durant toute la journée du 4 avril, la nouvelle du suicide sur la place de la Constitution a fait son chemin. Hormis les médias, la rue fut un vecteur essentiel de la nouvelle et surtout de sa portée. Car c'est précisément ce vecteur essentiel qui est créateur de lien politique.

De bouches à oreilles et en mouvement perpétuel. Dans la rue et en plein air, fertilisant les idées et formant les consciences. C'est ainsi que nous avons pris connaissance de sa dernière lettre, tout comme nous avons appris que ces dernières vingt-quatre heures, cinq autres personnes ont « opté » pour le suicide en Grèce. Inlassablement, et de la même manière, « virements automatiques définitifs », imposés par le régime bancocrate. Le dernier suicide connu, tard dans la soirée de ce 4 avril, fut celui d'un homme de 38 ans en Crète, un albanais vivant et travaillant chez nous depuis longtemps, père de deux enfants, chômeur de longue durée. Il s'est jeté du balcon de son domicile.

A Athènes, c'est à partir de midi que le suicide du matin a pris de l'ampleur dans le syllogisme collectif. Dans un bistrot du centre ville, un jeune homme s'est montré gêné, car « le malheureux aurait pu se suicider chez lui ». Aussitôt, une femme a répliqué en rappelant « que cet acte, est d'abord un acte politique, au-delà de son aspect tragique, car cet homme s'est suicidé pour nous et pour nous faire réagir, sur cette même place des manifestations, devant le Parlement ». Le jeune homme a compris.

 

J'ai senti la portée de cet acte se transformer en fait politique majeur au fil des heures. A midi déjà, des gens étaient sur place. Puis, dans l'après midi et vers le soir, des centaines de personnes redevenaient des témoins actifs du temps présent. Des manifestants lycéens et étudiants se sont rendus devant le monument du soldat inconnu (entre la place et le Parlement), tandis qu'au même moment, les premières compagnies de MAT (CRS) se précipitèrent sur la place.

Au pied du cyprès, des anonymes ont déposé des bouquets de fleurs, des cierges et des dizaines de messages manuscrits appelant notamment « au soulèvement du peuple » : « soulevez-vous, son sort sera le sort de nous tous », « salopards gouvernants, un jour nous vous suiciderons » , « le sang du peuple va vous noyer », «  la liberté ou la mort », « vengeance » , pouvait-on lire sur ces messages écrits, le maître-mot n'étant plus « l'indignation » mais « la vengeance ».

Le soir la place s'est remplie davantage. Notre police prétorienne, œuvrant pour les occupants, intérieurs et extérieurs, a chargé comme d'habitude. Parmi les citoyens passés à tabac par les policiers, il y avait une jeune journaliste de la chaine ANT-1. Puis, il y a eu des interpellations, et tout cet usage de la chimie habituelle. Alchimies encore, du régime bancocrate. Les politiciens ont peur de la rue et nous le savons. Dans l'air du temps, il y a aussi les élections, d'ailleurs toujours hypothétiques, enfermant pourtant les représentations des partis de gauche dans un carcan tristement étriqué. Un vieil homme que j'ai rencontré sur la place vers 21 heures, alors très ému, les larmes aux yeux, s'est adressé à un groupe de jeunes ainsi : « Pour une révolution, il faut du sang, prenez les armes et tuez-les.»

Ce jeudi matin sur la place Syntagma, il y avait encore l'odeur de la chimie policière mais aussi celle de la vie, la nôtre. Nous étions là, autour du cyprès, porteur désormais de nos messages et surtout du sien : « Ce n'est pas un suicide, c'est un assassinat politique. » Puis ce nouveau graffiti sur le marbre : « Le nom du mort devait être Papandréou, le nom du mort devait être Samaras, le nom du mort devait être Karatzaferis... »

 

Par la radio (real-FM), on apprend qu'hier également une retraitée a mis fin à ses jours en Italie. « Je ne pouvais plus vivre d'une retraite ainsi amputée », fut son ultime message.

Décidément, les messages ultimes de ce genre se multiplient à travers la zone euro. Notre pharmacien étant un enfant des temps de l'occupation et de la famine de 1941, il a bien détecté l'odeur de l'époque et le mauvais vent. L'occupation revient, et pas seulement dans les stéréotypes. Peu importe si c'est autrement. L'éditorialiste Trangas (real-FM) tient Madame Merkel pour responsable de cette nouvelle mauvaise Europe. Mais sur la place Syntagma, on pense que c'est plutôt l'Union européenne qu'il faut briser. « Eh Grecs, l'UE est en train de nous tuer », a crié un homme devant le cyprès.

Les membres d'une équipe de documentaristes venus d'Allemagne se sont confié, il y a quelques jours, à un de mes amis : « Cette Europe est morte, elle fait du mal à tout le monde. » C'est dommage, je n'ai pas pu les rencontrer.

Jeudi midi, Athènes sous une pluie fine, douceur.

[1] Le général Georgios Tsolakoglou, signataire de l'armistice avec les forces allemandes, fut le premier chef du gouvernement grec sous l’Occupation, nommé par les nazis. Un poste occupé du 30 avril 1941 au 2 décembre 1942. Son nom en Grèce est synonyme de « collaborateur ».

 

« Grecs, l'UE est en train de nous tuer ! »
Retrouvez Panagiotis Grigoriou sur son blog
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