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De bouches à oreilles et en mouvement perpétuel. Dans la rue et en plein air, fertilisant les idées et formant les consciences. C'est ainsi que nous avons pris connaissance de sa dernière lettre, tout comme nous avons appris que ces dernières vingt-quatre heures, cinq autres personnes ont « opté » pour le suicide en Grèce. Inlassablement, et de la même manière, « virements automatiques définitifs », imposés par le régime bancocrate. Le dernier suicide connu, tard dans la soirée de ce 4 avril, fut celui d'un homme de 38 ans en Crète, un albanais vivant et travaillant chez nous depuis longtemps, père de deux enfants, chômeur de longue durée. Il s'est jeté du balcon de son domicile.
A Athènes, c'est à partir de midi que le suicide du matin a pris de l'ampleur dans le syllogisme collectif. Dans un bistrot du centre ville, un jeune homme s'est montré gêné, car « le malheureux aurait pu se suicider chez lui ». Aussitôt, une femme a répliqué en rappelant « que cet acte, est d'abord un acte politique, au-delà de son aspect tragique, car cet homme s'est suicidé pour nous et pour nous faire réagir, sur cette même place des manifestations, devant le Parlement ». Le jeune homme a compris.
Au pied du cyprès, des anonymes ont déposé des bouquets de fleurs, des cierges et des dizaines de messages manuscrits appelant notamment « au soulèvement du peuple » : « soulevez-vous, son sort sera le sort de nous tous », « salopards gouvernants, un jour nous vous suiciderons » , « le sang du peuple va vous noyer », « la liberté ou la mort », « vengeance » , pouvait-on lire sur ces messages écrits, le maître-mot n'étant plus « l'indignation » mais « la vengeance ».
Le soir la place s'est remplie davantage. Notre police prétorienne, œuvrant pour les occupants, intérieurs et extérieurs, a chargé comme d'habitude. Parmi les citoyens passés à tabac par les policiers, il y avait une jeune journaliste de la chaine ANT-1. Puis, il y a eu des interpellations, et tout cet usage de la chimie habituelle. Alchimies encore, du régime bancocrate. Les politiciens ont peur de la rue et nous le savons. Dans l'air du temps, il y a aussi les élections, d'ailleurs toujours hypothétiques, enfermant pourtant les représentations des partis de gauche dans un carcan tristement étriqué. Un vieil homme que j'ai rencontré sur la place vers 21 heures, alors très ému, les larmes aux yeux, s'est adressé à un groupe de jeunes ainsi : « Pour une révolution, il faut du sang, prenez les armes et tuez-les.»
Ce jeudi matin sur la place Syntagma, il y avait encore l'odeur de la chimie policière mais aussi celle de la vie, la nôtre. Nous étions là, autour du cyprès, porteur désormais de nos messages et surtout du sien : « Ce n'est pas un suicide, c'est un assassinat politique. » Puis ce nouveau graffiti sur le marbre : « Le nom du mort devait être Papandréou, le nom du mort devait être Samaras, le nom du mort devait être Karatzaferis... »
Décidément, les messages ultimes de ce genre se multiplient à travers la zone euro. Notre pharmacien étant un enfant des temps de l'occupation et de la famine de 1941, il a bien détecté l'odeur de l'époque et le mauvais vent. L'occupation revient, et pas seulement dans les stéréotypes. Peu importe si c'est autrement. L'éditorialiste Trangas (real-FM) tient Madame Merkel pour responsable de cette nouvelle mauvaise Europe. Mais sur la place Syntagma, on pense que c'est plutôt l'Union européenne qu'il faut briser. « Eh Grecs, l'UE est en train de nous tuer », a crié un homme devant le cyprès.
Les membres d'une équipe de documentaristes venus d'Allemagne se sont confié, il y a quelques jours, à un de mes amis : « Cette Europe est morte, elle fait du mal à tout le monde. » C'est dommage, je n'ai pas pu les rencontrer.
Jeudi midi, Athènes sous une pluie fine, douceur.
[1] Le général Georgios Tsolakoglou, signataire de l'armistice avec les forces allemandes, fut le premier chef du gouvernement grec sous l’Occupation, nommé par les nazis. Un poste occupé du 30 avril 1941 au 2 décembre 1942. Son nom en Grèce est synonyme de « collaborateur ».