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Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

Grèce : un système en décomposition

Marianne - Greek crisis - Blogueur associé | Mardi 31 Janvier 2012 à 05:01

 

Panagiotis Grigoriou, historien et ethnologue, décrit le quotidien de la Grèce et de ses habitants en pleine crise économique. Le blogueur rapporte les événements marquants de ce week-end, des petits incidents aux grands discours.



Nous attendions jadis la fin de la semaine pour se reposer et pour sortir de la routine, si possible. Désormais c'est chose faite et nous n'attendons plus rien comme avant. De la routine bien entendu. Nos histoires, suspendues entre défaites et pénaltys ne connaissent plus de week-end. Tout comme les « négociations » avec les émissaires de la Troïka. Ces gens sont là, samedi, dimanche et fêtes, avant et entre les repas, pour nous administrer les dernières mesures accompagnées d'une sorte de sauce … toujours plus fouettée et fouettarde ; licencier dans la fonction publique, anéantir les salaires dans le privé, diminuer le nombre de militaires et les jours d'hospitalisation des malades, recenser et … encadrer enfin les chiens et les chats errants (loi du 25/01/2012).

Nos histoires ne connaissent plus de week-end

Notre Angelopoulos enterré vendredi, ce week-end, on tourne encore, mais autour de la dette. Restructurer, brader le pays, transférer son cadre juridique vers le droit britannique « pour ainsi ouvrir la porte à une intervention même armée contre nous, si les exigences des créanciers ne sont pas satisfaites », comme certains analystes prétendent déjà. Flottements et incertitudes. Mais au moins il y a du concret du côté allemand, « On doit faire comprendre [aux Grecs] qu'il ne peut y avoir de l'argent que si le pays est dirigé de manière rigoureuse, au besoin par un commissaire mis en place par l'UE ou les pays de la zone euro », a déclaré Volker Kauder, chef du groupe parlementaire des Unions chrétiennes (CDU-CSU, parti de la chancelière Angela Merkel) dans un entretien jeudi à l'édition en ligne du magazine Der Spiegel . Commissaire ou alors administrateur d'un Gau, subdivision territoriale de l'Euroland allemand ?
 
Dans la rue et dans la blogosphère grecque on se dit qu'il s'agit sans doute de nous imposer un nouveau Gauleiter et que cette déclaration de Volker Kauder (traité de tous les noms d'oiseaux), équivaut à une déclaration de guerre. Ultimatum donc ? Et les hedge funds outre Atlantique ? Les Papadémiens de la cohabitation gouvernementale s'agitent dans leur bocal, pensant sans doute que seul le présent est érigé en norme en dépit de son (et de leur) caractère périmé. Piégés ainsi, ministres minables et députés artificiellement gonflables se disputent la pomme désormais pourrie de la discorde. Ceux du P.S. notamment, qui découvrent maintenant prétendument, la fausse route, dès le premier Mémorandum. « Nous ne pouvions pas ... ne pas donner notre accord au Parlement, nous avions le pistolet braqué contre la tempe » (Ministre P.S. Papadémien Chrisochoidis – journal Proto Thema 26/01/2012). Ayant parait-il déjà mangé toute notre feta blanche, nous attendons le fauve, piégés dans notre souricière, oui ou non ?
 
Comme par hasard, on découvre ces jours-ci, des centaines de milliers d'euros sur les comptes de certains fonctionnaires, appartenant à la justice ou à la santé par exemple. Serafin Fyndanidis, un journaliste très connu - presse écrite et télévision, fut arrêté pour dettes envers le Trésor Public, s'élevant à 150.000 euros, TVA non reversée. Il a aussitôt déclaré être au chômage depuis quatre ans, a choisi un avocat célèbre et a été relâché en attendant le jugement. « Mais comment se fait-il que ses émissions se poursuivaient sur une chaine publique, et finalement, il y en a bien d'autres qui doivent davantage au fisc non ? », peut-on entendre dans les cafés, avant de passer à autre chose.
 
Deux décrets viennent de sortir ces derniers jours, selon le premier, être « sans abri » devient désormais statut juridique, puis, seuls les organismes « autorisés et reconnus » peuvent distribuer les repas gratuits, donc la philanthropie doit être également contrôlée. La semaine dernière, la police avait violemment interrompu la soupe populaire, organisée par une association anti-Mémorandum. Sur le coup, nous n'en avions pas bien saisi le signifiant. Cette même police, qui dans un premier temps s'est déclarée « non informée » des attaques des membres de l'organisation d'extrême droite Xrysi Avgi (« l'Aube en Or ») lorsque ces derniers ont tabassé des immigrés, les jetant hors des wagons, ainsi que tous ceux qui ont tenté de s’opposer à eux. Pour finalement intervenir dans un second temps, à la station d'Omonia pour la même raison.
 
Dans la nuit du 27 janvier, un incendie a détruit sept bateaux (« luxueux » comme le précise la presse), amarrés au principal port de plaisance de l'agglomération athénienne, Alimos. Les pompiers pensent que l'origine de cet incendie est criminelle. Règlement de comptes, racket, ou sinon, cet acte serait en lien avec le fait que de nombreux plaisanciers sont sur le point de se voir saisir leurs bateaux pour dettes. D'autres ayant déclaré leurs yachts comme étant professionnels, évitant ainsi taxes et TVA. Certains se sont déjà faits épinglés.

En tout cas, il y a de cette fluidité partout comme dans du sable mouvant. Le sol granuleux de la méta-démocratie saturé par une eau très saumâtre remontant du sous-sol culturel. D'où l'énervement de tous contre tous, devenant un fait social total, tel un climat moral, donnant la tonalité de la vie collective (ou de la mort ?). Comme au centre ville d'Athènes lorsque l'incivilité d'un conducteur, ayant garé sa voiture en double file, fut immédiatement sanctionnée par les passants et les autres conducteurs, sans attendre la police de la route. Le conducteur d'un autre véhicule, un gros 4X4, interpellé déjà à Patras car il transportait des plaques en métaux précieux sans documents légaux, 490 kilos en tout, trésor obtenu, après avoir fait fondre les bijoux déposés et vendus à un de ces innombrables nouvelles boutiques, « Or et Argent – dépôt – Vente – Expertise ». Le conducteur de ce véhicule s'apprêtait à prendre le ferry entre Patras et l'Italie en direction de l'Allemagne. L'affaire n'est pas encore démêlée, ayant éclaté il y a trois mois.
 
Heureusement que notre vraie médaille d'argent est celle de l'équipe féminine de water-polo, devenue vice championne d'Europe, après l'Italie. C'était Samedi, lorsque les Italiennes sont devenues ainsi championnes à Eindhoven, en dominant les Grecques (13-10). Ce qui est nouveau pourtant, tient aux déclarations des athlètes: « Nous comprenons que notre pays est dans une situation très difficile et il n'y a plus d'argent ... Peut-être que les gens se disent « le monde est en feu, nous ne pouvons pas nous intéresser aux problèmes de cette discipline sportive ». Cependant, c'est une honte parce que nous sommes des athlètes se sentant totalement seules dans cet effort et nous souhaitons une aide, disons certaine ... Il y en a assez, nous ne voulons plus les faux espoirs, c'est à dire, encore entendre les compliments des politiciens et puis rien, si c'est ainsi, ils feraient mieux de ne pas venir à l'aéroport pour nous accueillir ... Nous sommes fatiguées maintenant de toutes ces promesses vaines, de la bouche de tous ceux qui viennent après chaque succès nous féliciter, se faire photographier avec nous et puis disparaître ...» (Alexandra Asimaki ).

Un système politique en pleine décomposition

Ce dimanche matin encore, nous apprenons par la presse que Markos Karaberis, le principal accusé, suspect présumé à la tête du réseau des usuriers de Salonique, en détention avec une cinquantaine d'autres suspects, menace de « faire volatiliser le Parlement », lorsqu'il montrera en public ses enregistrement vidéo, contenant selon ses affirmations « des preuves sur le financement des politiciens, ainsi que certains éléments concernant le scandale politico-financier du monastère Vatopedi au Mont Athos » (journal To Vima – 29/01/2012). 
 
Tout le monde le constate. « Notre système politique dans son ensemble est en pleine décomposition. Donc rien de bon n'est à attendre à travers lui, même si il se transforme par lui même. Nous sommes face à un abcès sur la chair du pays, ce système produit du poison au quotidien. Avec le Mémorandum nous nous trouvons pieds et poings liés. Donc, ce système doit être défait, comme le nœud gordien avec l'épée, pour avoir assumé les dettes, les prêts et les intérêts, indépendamment et contre la volonté et l'intérêt de notre peuple. Nous nous préparons maintenant pour le combat final et pour le lendemain, c'est à dire, la mise en place d'une nouvelle Constitution et inventer les nouvelles institutions », a déclaré Mikis Theodorakis dans une interview au journal Proto Thema (29/01/2012).
 
Ce grand nœud gordien s'accompagne de toute une variante de petits nœuds, qui réduisent petit à petit notre quotidien immédiat. Ainsi, et depuis un moment déjà, l'accès aux quais de la gare ferroviaire de la capitale est interdit à toute personne n'ayant pas de billet pour un départ imminent, agents et vigiles établissent des contrôles, interdisant par la même occasion la prise de photos. Sans pour autant toucher aux politiciens escrocs, on resserre apparemment la vis, sur certaines micro-libertés jadis évidentes. Donc la méfiance devient de mise. C'est ainsi que dans les wagons pratiquement vides en ce moment, les passagers se rendant au centre et au nord du pays, discutent politique, avec parfois une certaine prudence. Telle une jeune femme, originaire de Lamia qui étudie le théâtre, sans savoir pourquoi finalement. Dans sa région natale, le décor montagnard de l'autoroute E65, inachevée comme il se doit, nous fait penser à un rideau tombé, la pièce semble donc terminée.

Où allons-nous finalement ?

Déjà qu'en province, tout le monde se connait et s'écoute. Le soir dans ces villes au centre de la Grèce, on sent davantage la fumée des cheminées tandis que les rocades sont beaucoup moins fréquentées qu'il y a quelques mois. Le prix du SP 95 frôle le 1,70 euros, Miltiade le pompiste, n'ouvre plus durant le week end et lorsqu'il le peut, il fait monter sa petite famille sur des vélos. Il y a encore du monde dans les cafés, et à part les explications monotones sur les commerces fermés encore récemment, on commente les nouvelles de la prochaine étape globale. Où allons-nous finalement ? Tels, deux fonctionnaires territoriaux dans un café d'une ville Thessalienne : « As-tu entendu, les agents à la fonction publique de l'État, aux ministères par exemple, ils seront évalués par des conseillers venus de France,  nous par contre et dans toute la fonction publique territoriale, nous serons parait-il évalués, par des Allemands … Finalement c'est pour nous mettre à la porte. Qui-sait combien et qui parmi les confrères, iront se faire les espions et les calomniateurs des autres, pour espérer rester en place... Dans les écoles déjà, les chefs d'établissement poussent les portes des classes pour visiter leurs enseignants de manière inopinée. Tout le monde a peur. Le climat est délétère, ma vie contre ta mort, ni politique, ni syndicalisme, ni rien, garder sa place de prof et les huit cents euros par mois ...».
 
Consommant un seul café à la fois, les clients rentrent chez eux à pied pour s'occuper de la cheminée et de leurs familles par ce mauvais temps. Car on nous annonce des températures dignes de la Bavière en plus de la nécessitée d'un Gauleiter pour nous diriger, intempéries en perspective.
 
Mais tout n'est pas dénué de sens dans ce pays. Tandis qu'au souk d'Athènes, un jeune homme collectionneur, photographie un vieux amplificateur hifi, les chats errants autour de l'ancienne Agora, pas encore répertoriés par les autorités, gardent la forme, nourris et souvent soignés par les riverains. Au même moment dans nos montagnes les paysages imperturbables, demeurent rythmés par le brouillard, la boue et la neige, comme dans les films de Theo Angelopoulos.
 
Entre la Crète et Santorin les secousses se poursuivent et le volcan est suivi de près par les scientifiques, « mais nous ne pouvons pas dire que le magma monte », se déclarent-ils, (journal To Ethnos, 29/01/2012). Bonne nouvelle ?

Retrouvez Panagiotis Grigoriou sur son blog.

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