Source : www.mediapart.fr
Syriza remporte haut la main les élections législatives en Grèce, avec un score de 36,34 % des voix, plus de huit points devant la droite de Nouvelle Démocratie (27,81 %). S’il rate à deux sièges près la majorité absolue à l’assemblée, il a annoncé dès ce lundi matin un accord avec le petit parti de droite Grec indépendant. Pour les Grecs qui fêtaient la victoire dimanche soir, c’est un tournant qui dépasse largement les frontières de leur pays.
Athènes, de notre envoyée spéciale.- « Un énorme espoir », « une lourde responsabilité », « la seule solution » : pour les électeurs de gauche rassemblés dans le centre d’Athènes ce dimanche soir, Syriza vainqueur du scrutin, c’est tout cela à la fois. La promesse de jours meilleurs, de difficiles négociations à venir au niveau européen, et la conséquence logique de l’impasse dans laquelle s’étaient fourvoyés le gouvernement Samaras et ses prédécesseurs.
Devant l’ancienne université de la capitale, à quelques encablures du parlement, une foule de plusieurs milliers de personnes s’est rassemblée dans l’attente du discours d’Alexis Tsipras, le chef de Syriza et désormais futur premier ministre de Grèce. Les explosions de joie fusent çà et là, les drapeaux dansent, on s’embrasse de tous côtés. Combien de fois a-t-on vu passer en ce même endroit des cortèges anti-austérité, des visages abattus, des personnes en colère ? Ce dimanche soir, c’est l’optimisme qui l’a emporté.
Fotini Marfariti, professeur d’université, est venue là avec quelques-uns de ses amis. « J’ai fait un choix tout à fait rationnel et conscient en votant Syriza. Je crois en sa capacité de négociation pour effacer une partie de la dette, car je crois aussi en la volonté de l’Europe de changer son modèle d’austérité. À part peut-être en Allemagne, j’ai plutôt l’impression que de nombreux partis européens, y compris conservateurs, cherchent à sortir de l’impasse. »

Pour Elli Leptourgou, « c’est un soulagement. On en a terminé avec ces dirigeants qui n’étaient vraiment pas sérieux. PASOK et Nouvelle Démocratie ont gaspillé énormément d’argent ! ». Retraitée, Elli a été particulièrement choquée par la manière dont Nouvelle Démocratie a mené campagne : « La droite a vraiment voulu faire peur aux personnes âgées, qui constituent une part prépondérante de l’électorat grec puisque nous sommes un pays vieux. C’était par ailleurs très hypocrite car les retraites risquaient de baisser encore avec de nouvelles mesures que Nouvelle Démocratie allait prendre si elle était restée au pouvoir... »
Maria Marmataki, elle, n’en a pas fermé l’œil la nuit précédente tant la victoire était proche. Cette étudiante en est convaincue : « Ce résultat peut provoquer une vague au niveau européen. » C’est bien ce qu’espèrent d'autres étudiants venus, eux, de l’autre côté de la mer Ionienne : Gian Luca Batzu et Matteo Dartagnan sont arrivés d’Italie la veille pour soutenir Syriza, avec une impressionnante délégation de la coalition « l’Altra Europa con Tsipras », une tentative de reconstitution d’une gauche alternative en Italie formée à l’occasion des élections européennes : « Ce soir, nous voyons ici l’Europe en marche. Un changement en Grèce, c’est un changement pour tout le continent. Le succès de Syriza va aider les gauches européennes à progresser, et particulièrement en Italie. » D’autres délégations sont présentes, notamment de France (Front de gauche et EELV), d’Espagne, du Portugal, mais aussi d’Europe du Nord et d’Allemagne en particulier (Die Linke).
Dans la foule, nous croisons une jeune élue Syriza à la mairie d’Athènes, Elthina Angelopoulou, conseillère municipale depuis mai dernier. « J’ai encore du mal à y croire. Après tant d’années de militantisme sur le terrain… On a vraiment réussi ces dernières années à conquérir les électeurs un à un. Je me rappelle encore, et ce n’est pas si loin, les scrutins où nous n’étions même pas sûrs d’entrer au parlement ! » C’est en 2004 que Syriza se forme comme une coalition rassemblant différents courants de la gauche grecque : eurocommunistes, radicaux, écologistes, trotskistes… Il obtient alors un petit 3,3 % des voix… et décroche six sièges de députés au parlement.
Onze ans plus tard, ce dimanche 25 janvier, le parti aura donc plus que décuplé son score : il a recueilli 36,34 % des suffrages, ce qui lui donne un total de 149 sièges sur 300 à l’assemblée, compte tenu de la prime de 50 députés accordée au parti vainqueur du scrutin. Il manque de deux sièges la majorité absolue. Une coalition avec un parti s’avérait donc nécessaire.

« Une victoire de tous les peuples européens »
De fait, dès ce lundi matin, Tsipras a annoncé, à l'issue d'une rencontre avec le leader du petit parti Grec indépendant (4,75 %, 13 députés), qu'un accord avait été trouvé. Ce parti nationaliste et anti-austérité, issu d’une scission avec Nouvelle Démocratie en 2012, partage avec Syriza la volonté de sortir du régime des « mémorandums ». Les deux partis sont pourtant aux antipodes en termes de politique d’immigration et de sécurité, mais cette coalition qui paraîtrait en d’autres circonstances contre nature est celle qui avait été avancée le plus sérieusement par les cadres de Syriza ces dernières semaines (lire notamment notre reportage sur la campagne électorale).
Un communiqué de Syriza tombé au milieu de la nuit évoquait déjà le « soutien » et la « collaboration probable dans un nouveau gouvernement » de ce parti, signifiant qu’il pourrait obtenir un ministère. Alexis Tsipras a également prévu de rencontrer rapidement les chefs du parti centriste La Rivière (6,05 %, 17 députés) et du Parti communiste (5,47 %, 15 députés). La formation du nouvel exécutif est attendue dès ce mardi ou mercredi au plus tard.

Mais dimanche soir, pour la foule, l’heure n’était pas aux tractations politiques. « Aujourd’hui le peuple a écrit l’histoire, a lancé Alexis Tsipras devant une foule compacte vers onze heures du soir devant l’ancienne université d’Athènes. « La Grèce laisse derrière elle l’austérité, la peur, l’autoritarisme. Elle laisse derrière elle cinq ans d’humiliation et de tristesse. »
Le peuple, a poursuivi le chef de Syriza, « nous a donné un mandat pour la renaissance nationale et la reconquête de la cohésion sociale de notre patrie (…) Notre victoire est en même temps la victoire de tous les peuples européens qui se battent contre l’austérité qui détruit notre avenir européen commun. (…) Je veux vous assurer que le nouveau gouvernement grec sera prêt à collaborer et à négocier pour la première fois avec nos partenaires pour une solution juste, profitable pour tous, et viable, afin que la Grèce sorte du cercle vicieux du surendettement, afin que l’Europe revienne vers la stabilité, la croissance, la cohésion sociale, les principes et les valeurs qui constituaient ses principes et valeurs fondateurs, tels que la démocratie et la solidarité. »
Sous les applaudissements et les cris de joie, Alexis Tsipras salue chaleureusement la foule. « People have the power » de Patti Smith résonne dans les haut-parleurs. Les résultats ne sont pas encore définitifs, quelque trois quarts des bulletins ont été dépouillés à ce moment-là, mais la tendance ne devrait plus bouger : victoire écrasante de Syriza, plus de huit points d’écart avec Nouvelle Démocratie.
Le chef de la droite Antonis Samaras s’était exprimé une demi-heure plus tôt depuis le palais Zappeion, le bâtiment officiel des événements électoraux grecs. Dans le kiosque électoral de Syriza, planté face à l’ancienne université et plein à craquer de militants depuis la fermeture des bureaux de vote, la retransmission à la télévision de l’allocution du premier ministre sortant est à peine audible sous les sifflements. « Nous avons commis des erreurs, s’est-il justifié, mais nous avons évité le pire. La Grèce est aujourd'hui un pays sérieux, sûr et sans déficit. Nous avons mis le pays sur le bon chemin pour sortir de la crise. J'ai dirigé le gouvernement d'un pays de l'Union européenne, nous l'avons maintenu au sein de l'Union européenne, et j'espère que le prochain gouvernement suivra le même chemin. »

Au même moment, l’agitation est à son comble au siège de Syriza, place Koumoundourou, à un quart d’heure à pied de là. Pour la première fois, ce parti qui, à l’exception de mandats locaux, n’avait jamais accédé au pouvoir, va diriger l’exécutif du pays. Dans le bureau de Tsipras, au septième étage, plusieurs personnes se pressent. Il y a notamment l’économiste Yannis Varoufakis (que Mediapart avait interviewé en décembre, article à retrouver ici), qui partira parmi les derniers, dans la foulée de Tsipras, signe qu’il est bien placé pour obtenir l’un des deux portefeuilles stratégiques du nouvel exécutif, finances ou économie et développement.
Il y a aussi Konstantin Tsoukalas, sociologue éminent, tête de liste du parti sur la liste « d’État » (une liste hors circonscription), et dont le nom circule pour le ministère de l’éducation. Comme beaucoup, il est surpris par l’avance de Syriza sur le parti de gouvernement : « C'est une victoire encore plus spectaculaire que celle que l'on imaginait, explique-t-il à Mediapart. On ne s'attendait pas à une différence si importante avec Nouvelle Démocratie. »
Mais passé l’euphorie de la victoire, il va falloir rapidement se mettre au travail : « Sur le front intérieur, il faut traiter une crise humanitaire en toute urgence, et au niveau européen, la lutte sera longue et difficile. Mais cette victoire de Syriza peut mener à un changement des équilibres au niveau européen. Les politiques à sens unique du système européen depuis quinze ans pourraient changer. Pour la première fois depuis des années, je suis optimiste. Cette victoire nous permet d'imaginer un moyen de pression et d'agir avec une opinion publique européenne qui me paraît prête à penser en d'autres termes que l'austérité. »
Ce dimanche soir, tout le monde semble oublier que le parti néonazi Aube dorée, dont plusieurs dizaines de membres sont actuellement poursuivis par la justice, arrive en troisième position. Il comptera 17 députés dans le prochain parlement. Mais ce n’est pas le moment de s’interroger sur le sens de ce vote ni de jouer les pessimistes ; dans la foule, on a plutôt envie de se tourner vers des lendemains qui chantent. Tel cet électeur croisé parmi les sympathisants rassemblés dans le centre d’Athènes, Thanos Likourias. « Cette victoire de Syriza, c’est un premier pas immense. Mais c’est un premier pas. D’autres arriveront, encore plus beaux. »
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