C'est au petit garage sur l'avenue Olof Palme, près de la cité universitaire d'Athènes, que Monsieur Thanassis, un client, vient de déposer sa voiture, une Toyota Carinna II de 1992, ce mercredi matin.
« Aidez-moi à descendre de mon véhicule, j'ai soixante douze ans, vous, vous êtes encore jeunes. Mais arriverez-vous vraiment sains et saufs à mon âge ? Juste une vidange, sans changer le filtre... » Georges, le garagiste, lui a répondu, mais après un bref moment de silence :
« Nous n'y arriverons pas je pense, mais le plus grave est réservé à nos enfants. Ils n'ont pas de travail et ils n'en auront pas à l'avenir non plus. » Thanassis, enfin sorti de sa voiture, a levé son regard vers le ciel :
« C'est un effondrement global qui se prépare. Nos voleurs venus du PASOK et de la Nouvelle démocratie se sont bien nourris de cette chute, mais sa vraie cause est ailleurs. Où allons-nous ? Personne ne peut nous le dire. Tout le monde se déclare étonné et impuissant, que l'on pose la question à un garagiste ou à un prix Nobel, les gens ne savent plus quoi dire. Et alors, quelle démocratie et quelles élections ? Les décisions ont été déjà prises il y a trente ans, mais nous étions endormis sur nos... cartes de crédit. En fait Georges, mettez-en de l'huile ordinaire, minérale... » Hier soir, au centre-ville on manifestait contre la xénophobie. La police ne nous laissait pas nous déplacer dans une partie du centre-ville, à pied comme en voiture ou en moto. Certains photographiaient les splendeurs de la prochaine collection devant la Bibliothèque nationale, effet de mode ? Dans une salle au centre culturel de la mairie d'Athènes, des universitaires débattaient sur les responsabilités économiques endogènes, à l'origine de notre crise. Gerasimos a conclu que c'est désormais très difficile, mais il faut pourtant trouver une solution sans quitter le cadre européen.
Pour Cornélius Castoriadis, notre société n’est pas une démocratie, mais une oligarchie dominée par la bureaucratie des partis. Et suivant ce même motif, les élections sont une illusion de choix, car nous sommes tellement loin de la
parrhèsia, cette obligation de dire franchement ce que l’on pense à propos des affaires publiques. Mais en 2012, nous sommes plutôt dominés par la bureaucratie des
« guichets automatiques ». Est-ce un vrai changement déjà ?
Les élections relèveraient de la mascarade, sauf que pour une (dernière ?) fois, le personnel politique des pays de l'Union européenne finira par faire preuve de
parrhèsia, car il n'aura guère le choix, et c'est pour bientôt. Et nous tous désormais, sachant que « nos » élections auront enfin un ultime sens avant leur probable suppression, une fois n'est pas coutume, agissons aussi en votant. Je ne commenterai pas directement le dernier scrutin en France, ce n'est pas de mon ressort je pense, publiquement en tout cas. J'ai lu avec la plus grande attention les analyses de la presse française, ainsi que les contributions sur le blog de Paul Jorion, et ainsi je peux me permettre une petite réflexion sur l'air du temps européen, ressenti, depuis les collines d'Attique. À travers les rencontres dans les cafés, les retrouvailles lors des manifestations politiques, les nouvelles depuis les îles de l'archipel Égéen, celles aussi tout autant contrastées, nous voilà enfin témoins des plus belles incertitudes jamais pressenties en Grèce, depuis la fin de la Guerre civile. Elles courent déjà sur les plages, ou dans le métro. Elles sont partout si on prend soin d'observer et surtout d'écouter les gens. Ainsi, le contraste devient saisissant, lorsqu'on passe d'un milieu social à un autre, et cette « baignade sociale » fait alors subir bien des écarts dans les températures. Comment par exemple, faire comprendre à certaines personnes au parti de gauche SYRIZA, rencontrées samedi soir lors d'un
diner politique, que leur perception du syllogisme (par définition) commun, ne risque pas de rencontrer celui des jeunes gens, à l'assaut des plages et des guinguettes dimanche midi, sous une « musique » d'ailleurs assez abrutissante, à mon goût, y compris pour le sens politique.
Pourtant, ces écarts dans les « températures », vont se croiser dans les urnes le 6 mai prochain, lors des législatives. Et il en sortira du « chaud », du « froid » ou du « tiède », et de toute manière, il y aura parousie des sables mouvants et autres démons et merveilles, vents et marées (pour paraphraser le poète), balayant sans doute un certain constructivisme du fait politique. Les analystes sur ce
blog de Paul Jorion ont pu comprendre, ce dont de nombreux « politiques » font encore semblant d'ignorer. À savoir, le questionnement sur l'Union européenne désormais posé, celui concernant les nations européennes aussi, par la même occasion. Comme l'extrême droite occupe ce terrain pratiquement seule (sur cette question), elle suit ainsi le sens dans l'opportunité créatrice du moment historique. Si, de surcroît, elle demeure encore longtemps seule sur ce « modernisme », elle finira par saisir cette opportunité, car je ne pense pas que le vide structurel de ce que je nomme « la bancocratie » (pour aller vite) va tenir encore trop longtemps, à moins sous une forme de dictature « ouverte », celle des technocrates des banques, ce qui ne me paraît pas impossible non plus, nous y sommes presque en Grèce.
Bien que brouillée depuis Athènes, nous avons désormais une assez belle vue sur les matériaux du passé, à défaut d'en avoir une autre, plus claire sur ceux de notre avenir. C'est ainsi que nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir nous détacher complétement de l'Union européenne, et pas seulement de l'euro. Je sais que pour le moment cette idée rencontre, outre la propagande ambiante, les vraies peurs chez les gens, mais après tout, on préfère croire au chaos, plutôt qu'à Bruxelles. Alors, après avoir consommé un café sous le temple de Poséidon au Cap Sounion, et avec le recul généré par le « chronotopisme » de l'endroit, nous nous disions entre nous, Grecs en âge de voter depuis un moment déjà, que la question du jour d'après (pas encore celle des élections du 6 mai), sera pratiquement « simple » (en apparence en tout cas) : qui organisera ce chaos en premier, l'extrême méta-droite, ou une forme de méta-gauche ? En attendant, nous avons la « dette totale » qui nous occupe.