La sociométrie et les dynamiques de la Place ont beaucoup intrigué déjà, les participants eux-mêmes, et comme c'était attendu, les nombreux analystes qui se sont aussitôt penchés sur le phénomène. Car en réalité, ce pluri-mouvement des indignés a été une école inachevée, enseignant le nouveau sens (bon et mauvais), dans la conduite des affaires publiques mais sans aller jusqu'au bout de l'invention. C'était je crois impossible. Je pensais alors en observateur participant à ces faits et gestes politiques que pour une fois, et ceci depuis si longtemps dans la capitale, mais aussi ailleurs dans le pays, nous avions retrouvé un peu de cette réflexivité abandonnée depuis les années 1960, abandonnant par la même occasion également tout questionnement sur soi, créateur à la fois des institutions et de la démocratie, dans la mesure où les citoyens, (jusqu'à un certain seuil en tout cas), devraient être conscients de ce qu'ils font. Mais d'habitude ils ne le sont pas. La preuve, les élections législatives de juin 2012. À travers les messages portés et les visages alors multiples de la place de la Constitution de l'été 2011, d'emblée on a distingué le rassemblement dit de la « haute place », et celui de la « place basse ». Le premier, situé près du monument du soldat inconnu, était d'habitude composé d'individus plutôt jeunes, visiblement issus des quartiers populaires et pratiquant la sociabilité et la culture des stades de football. Colériques, ces jeunes usaient des slogans issus de leur seul univers politique connu, à peu de choses près, sauf sur la certitude que notre pays sombre « sous le complot des banques et le côté obscur de la force, de surcroît planétaire ». Souvent considérés comme apparentés à l'extrême droite par les autres manifestants (et l'Aube dorée avait déjà pénétré la « place haute »), sauf que cette appartenance concernait une partie seulement des manifestants, alors indéterminée. Ces jeunes, les cranes rasés, tatoués aux bras, portant des drapeaux grecs, ont été la composante déjà « populiste » des indignés, et il est vrai qu'ils se sont montrés aussi critiques et hostiles vis-à-vis du « reste populaire » de la place. Surtout vis-à-vis de celle située plus à gauche de « la place basse », qualifiée même par eux comme résultant d'un « carnaval des progressistes ». Les slogans de la « haute place » étaient alors simplistes et radicaux comme notamment, « la Grèce appartient aux Grecs », un slogan tout de même introduit en Grèce dans les années 1970, par les socialistes d'Andréas Papandréou et du PASOK, par la suite slogan officiel de l'Aube dorée. Ces jeunes criaient aussi souvent que possible « voleurs - voleurs », en direction de l'édifice du Parlement, mais chantaient également certaines chansons de Mikis Theodorakis, issues du patrimoine et des représentations politiques de hémisphère gauche des indignés. C'est ainsi que tout étiquetage trop hâtif des composantes de ce mouvement m'a semblé délicat à l'époque. Les Indignés ont été délogés de la Place Syntagma et par vagues successives dans la répression entre juillet et août 2011. C'était déjà en plus l'été grec, encore un. Par analogie, je dirais qu'une certaine idée de la protestation a été autant délogée de l'espace symbolique et politique en juin dernier aux élections. Et durant ce troisième été mémorandaire, tout laisse croire qu'un nouveau cycle du chaos est sur le point d'être entamé.