Il fait déjà plus de 36°C, ce qui, pour une fois, est vraiment de saison. Les médias mainstream nous annoncent que «les réservations repartent enfin à la hausse et les touristes arrivent, après la fin des incertitudes». Certes, il y a du monde, sauf que, lorsque je me suis rendu dans un complexe hôtelier d'Attique pour rencontrer un ami venu depuis la France, j'ai constaté que le taux de remplissage ne dépassait pas 40%. Des visiteurs issus également d'une certaine classe (très) moyenne européenne, économiquement cheap flights with low-cost et politiquement assez ignorante : «Je ne comprends pas vraiment la politique, l'Europe devrait être solidaire envers la Grèce car c'est notre projet à nous tous, en tout cas j'ai compris qu'en France nous devrions nous débarrasser de Sarkozy et voter Hollande. Je l'ai fait aussi, mais pour le reste, la politique, cette histoire des dettes souveraines, et la crise même... je n'y comprends absolument rien et cela ne m'intéresse pas», témoignage d'une vacancière française, séjournant avec la formule «tout compris».
Les employés de la branche hôtelière sont très inquiets. Soit ils seront remplacés par des travailleurs immigrés, soit ils devront accepter le travail au noir, lequel devient désormais la règle : dans certaines régions touristiques, 60% du personnel n'est plus déclaré. Pis encore, durant la saison 2010, et selon des données issus de l'organisme public d'assurance-maladie, dans certaines régions très touristiques du pays, il n'y aurait pas un seul employé de la branche dont les cotisations seraient versées, et la liste n'est pas exhaustive : Ithaque, Milos, Andros, Sérifos, Céphalonie, Mytilène, Leros, Patmos, Rhodes, Crète. En ce moment à Rhodes, et selon le syndicat de la branche, 2500 employés sur 15000 n'ont pas été réembauchés pour la saison 2012. Au même moment, les données officielles comptabilisent le nombre des travailleurs immigrés employés dans le secteur à 300 personnes, tandis que les syndicalistes évoquent le chiffre de 3000 personnes, auxquels s'y ajoutent encore 2000 attendus courant juillet. A Rhodes, un hôtel ouvert pour la saison 2012 en février vient d'enregistrer ses premières embauches en mai, selon le reportage du 23 juin de Panagiotis Yfantis, dans Elefterotypia.
Les syndicalistes de la branche appellent à la grève générale pour la journée du 27 juin. Les tinalistes tout secteur ont pourtant imposé leur calendrier et surtout leurs réalités. Destructuration du travail, usages «ingénieux» des flux migratoires, effondrement des dernières illusions ou presque, paupérisation accélérée, et voilà que notre stratification sociale peut ne plus se muer en cette historicité conflictuelle entre les dominants et les dominés, chère à la gauche. Et pour tout dire, le temps lui fait déjà défaut, chez Syriza on ne l'ignore pas. Gauche ou pas, la seule sortie de la crise imposera un autre paradigme. Pour ce qui est du tourisme aussi. D'où ma réaction parfois mal comprise, face à certains commentaires de bonne foi, mais erronés, laissés sur ce blog à propos du tourisme «qu'il ne faudrait pas trop effrayer car le pays vit de ses visiteurs». Au risque de mécontenter certains, j'insiste : le tourisme de masse qui relève déjà du non sens écologique, culturel et économique pour les régions réceptrices des flux, n'apporte plus grand chose aux populations locales, surtout en termes de perspectives, d'harmonie et de dignité. On sait aussi par exemple que les denrées alimentaires ou leur base, arrivées dans les grands complexes hôteliers de Crète ou de Rhodes, sont massivement importées. Et à force de se mordre la queue à Samos ou à Paros, on finira par l'avaler entière, comme le memorandum d'ailleurs.
Il serait également temps d'aller au-delà de l'anti-mémorandisme. Refuser le memorandum est un but tactique, mais réinventer la société, ses symboles, son imaginaire, et ses équilibres tout en répondant à l'épineuse question de la répartition des richesses et de l'économie-fiction du «funderisme intégral», relèvent de la stratégie. Mais avant de relever cette stratégie, on remplira les plages et les glacières cet été 2012, comme on peut. Un temps occupés par le match Grèce - Allemagne, l'opinion publique ne se remet plus vraiment, d'une fatigue immense. C'est plus que de la fatigue, c'est l'usure.