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25 juin 2012 1 25 /06 /juin /2012 14:43
Marianne - Lundi 25 Juin 2012 à 12:00
Greek Crisis
Historien et ethnologue, ancien correspondant en France pour la revue grecque Nemecis, Panagiotis...

 

Alors que le déplacement de la Troïka en Grèce a été reporté à une date ultérieure, notre blogueur associé Panagioris Grigoriou décrit l'ambiance qui règne dans le pays. Il souligne la nécessité de réinventer la société et ses symboles pour dépasser l'anti-mémorandisme pur.

 

(Angela Merkel a assisté au match qui opposait l'Allemagne à la Grèce, vendredi 22 juin, en Pologne - JAN KUCHARZYK/ENPOL/SIPA)
(Angela Merkel a assisté au match qui opposait l'Allemagne à la Grèce, vendredi 22 juin, en Pologne - JAN KUCHARZYK/ENPOL/SIPA)
Les apparences et les humeurs du temps ont changé. Les médias, les analystes, les «catastrophologues», les dignitaires de Bruxelles, le personnel politique des grands pays de l'Union européenne ainsi que mon ami S.P. l'instituteur ont mis la pédale douce. Les dépêches en temps réel et différé redeviennent «positives», les perspectives économiques «s'ouvrent enfin», selon la presse autorisée. A la radio, on nous explique comment profiter des meilleures plages de Naxos, comme si de rien n'était.

Il paraît que depuis Bruxelles, Berlin, Paris, ou depuis les salles des marchés, on se montre compréhensif vis-à-vis de nous, depuis que nous sommes devenus presque raisonnables. Pas de nouvelles mesures immédiates en vue, car on laisse passer l'été, plus un allongement de la durée pour ce qui est de nos «obligations vis à vis des créanciers».

Les Grecs privés d'électricité

En attendant l'arrivée de la Troïka à Athènes qui était prévue auhourd'hui, on peut se rendre à la plage ou rester chez soi, comme P.P., habitant des quartiers ouest, privé d'électricité depuis quelques semaines. «P.P. et sa famille n'ont plus de courant depuis un mois. Ils n'ont pas pu honorer la facture s'élevant à 1586 euros. Méfiant au départ, il a hésité avant de se confier aux journalistes. Chez lui, on cuisine désormais au gaz, et on s'éclaire à la bougie. Les enfants sont mécontents car ils ne peuvent plus regarder la télévision et leurs parents promettent le rétablissement du courant pour bientôt. "Je ne pensais pas que j'arriverais à un tel point. Mon épousé a été licenciée il y a quatre mois. Je travaille comme pâtissier pour 680 euros par mois et mon patron vient de m'annoncer une diminution supplémentaire de 90 euros de mon salaire. Je suis dans le désarroi le plus total."Dans le même quartier, un enseignant de l'Education nationale, dont le salaire a été diminué de moitié, a du mal à s'en sortir avec ses trois enfants : "Je n'ai plus d'électricité depuis deux semaines. Je ne demande pas la pitié de l'Etat, ni d'un gouvernement (Samaras) qui s'adonne au commerce de l'espoir en prétendant renégocier le memorandum. Demain ou après-demain, une organisation (au niveau du quartier) m'aidera à remettre le courant. Par la suite, je verrais comment et de quoi ma vie sera faite. Je ne veux plus ajouter autre chose s'il vous plait"», relatait Dina Karatziou dans Elefterotypira samedi 23 juin.

La Grèce sans courant. La foule des grands reporters a quitté la Place Syntagma, après un dernier papier obtenu à la hâte sous la canicule. L'événement grec se referme sur lui-même jusqu'au prochain paroxysme. Dans la rue, il y a de la résignation, du fatalisme et de la fatigue, comme en témoigne ce dialogue entre deux hommes dans un marché athénien, vendredi dernier : «Tu as voté Samaras et memorandum, eh bien, je ne t'adresserai plus jamais la parole, je composerai la prochaine Grèce avec mes amis, Syriza et les autres.». - «Soyons calmes, Dimitri, nous avons choisi de mourir par petit feu car nous avons eu peur de la mort subite, nous ne sommes pas si différents je crois.»

Mais Dimitri ne voulait plus rien entendre. Il s'en est pris pratiquement à tout le monde, y compris à une vendeuse d'icônes, et cette dernière, répliqua gentiment à sa manière, en argumentant sur «l'Antéchrist qui se trouverait déjà parmi nous». Je me souviens également d'une discussion animée entre deux adeptes de l'Aube dorée sur ce même sujet, il y a dix jours. Ils n'arrivaient pas à accorder leurs violons sur la partition très primaire de leur cosmogonie eschatologie : «Non et non, je viens de te l'expliquer, ouvrons les yeux, l'Antéchrist n'est pas Tsipras, lui c'est un minable, mais Barack Obama, car toutes les écritures convergent, en 2012 on attaquera l'hellénisme dans un assaut final.»

Suicides, homicides et violences

De toute évidence, Alexis Tsipras se transforme progressivement en grand personnage de notre constellation politique. Et fréquemment, lorsqu'on parle de lui, on dit tout simplement «Alexis» – un signe qui ne trompe pas. C'est ainsi que les journalistes grévistes au quotidien très regretté Elefterotypia, dans une édition exceptionnelle du titre, daté du samedi 23 juin, proposent leur vision satyrique de la toute dernière «Tsiprologie», décidément très en vogue en ce moment. Chez Syriza on boit certes du petit lait sauf qu'il est caillé, car le temps de la rupture est reporté et noyé par la nouvelle vague du mémorandisme. Les résultats des élections du 6 mai ont laissé pressentir pour la société grecque sa sortie possible du coma politique des trente dernières années. Les stéréotypes des «alternances» politiques, dont la gestion des «affaires communes», la rhétorique stérile, y compris celle située à gauche, ainsi que les pratiques afférentes, ont perdu l'essentiel de leur légitimation aux yeux de l'opinion. Sinon, comment expliquer cette mobilisation de la peur dans l'argumentaire pré-électoral, et les interventions extérieures, dont la plus tragique et cynique fut celle du Président français nous incitant à voter en faveur du sinistre conglomérat, de la droite et de l'extrême droite populiste, car il ne faut perdre de vue que le parti du populiste Samaras s'est renforcé des anciens députés, appartenant au défunt Laos de Karatzaferis.

On vit désormais les cicatrices de la crise sur le corps social, devenues plaies et amputations. Elles ont contribué à leur manière au «dénouement» du 17 juin. Nos regards sont fatigués, le sens commun serait même à bout de souffle. Les suicides, les homicides et les violences commises ou «désirées» occuperont durablement nos chroniques. Un homme s'est jeté avant-hier sur une rame de métro à Athènes. Des immigrés se font poignarder tous les jours par des individus se réclamant de l'Aube dorée, en Crète par exemple. On trouve des chiens pendus à des arbres en Attique, et on blesse ses voisins par balle, après avoir tiré sur un chat errant «par plaisir» (c'était en Grèce centrale dans la région d'Agrinio, toujours la semaine dernière, et ce n'est pas à cause de la canicule).

Tourisme de masse

Il fait déjà plus de 36°C, ce qui, pour une fois, est vraiment de saison. Les médias mainstream nous annoncent que «les réservations repartent enfin à la hausse et les touristes arrivent, après la fin des incertitudes». Certes, il y a du monde, sauf que, lorsque je me suis rendu dans un complexe hôtelier d'Attique pour rencontrer un ami venu depuis la France, j'ai constaté que le taux de remplissage ne dépassait pas 40%. Des visiteurs issus également d'une certaine classe (très) moyenne européenne, économiquement cheap flights with low-cost et politiquement assez ignorante : «Je ne comprends pas vraiment la politique, l'Europe devrait être solidaire envers la Grèce car c'est notre projet à nous tous, en tout cas j'ai compris qu'en France nous devrions nous débarrasser de Sarkozy et voter Hollande. Je l'ai fait aussi, mais pour le reste, la politique, cette histoire des dettes souveraines, et la crise même... je n'y comprends absolument rien et cela ne m'intéresse pas», témoignage d'une vacancière française, séjournant avec la formule «tout compris».

Les employés de la branche hôtelière sont très inquiets. Soit ils seront remplacés par des travailleurs immigrés, soit ils devront accepter le travail au noir, lequel devient désormais la règle : dans certaines régions touristiques, 60% du personnel n'est plus déclaré. Pis encore, durant la saison 2010, et selon des données issus de l'organisme public d'assurance-maladie, dans certaines régions très touristiques du pays, il n'y aurait pas un seul employé de la branche dont les cotisations seraient versées, et la liste n'est pas exhaustive : Ithaque, Milos, Andros, Sérifos, Céphalonie, Mytilène, Leros, Patmos, Rhodes, Crète. En ce moment à Rhodes, et selon le syndicat de la branche, 2500 employés sur 15000 n'ont pas été réembauchés pour la saison 2012. Au même moment, les données officielles comptabilisent le nombre des travailleurs immigrés employés dans le secteur à 300 personnes, tandis que les syndicalistes évoquent le chiffre de 3000 personnes, auxquels s'y ajoutent encore 2000 attendus courant juillet. A Rhodes, un hôtel ouvert pour la saison 2012 en février vient d'enregistrer ses premières embauches en mai, selon le reportage du 23 juin de Panagiotis Yfantis, dans Elefterotypia.

Les syndicalistes de la branche appellent à la grève générale pour la journée du 27 juin. Les tinalistes tout secteur ont pourtant imposé leur calendrier et surtout leurs réalités. Destructuration du travail, usages «ingénieux» des flux migratoires, effondrement des dernières illusions ou presque, paupérisation accélérée, et voilà que notre stratification sociale peut ne plus se muer en cette historicité conflictuelle entre les dominants et les dominés, chère à la gauche. Et pour tout dire, le temps lui fait déjà défaut, chez Syriza on ne l'ignore pas. Gauche ou pas, la seule sortie de la crise imposera un autre paradigme. Pour ce qui est du tourisme aussi. D'où ma réaction parfois mal comprise, face à certains commentaires de bonne foi, mais erronés, laissés sur ce blog à propos du tourisme «qu'il ne faudrait pas trop effrayer car le pays vit de ses visiteurs». Au risque de mécontenter certains, j'insiste : le tourisme de masse qui relève déjà du non sens écologique, culturel et économique pour les régions réceptrices des flux, n'apporte plus grand chose aux populations locales, surtout en termes de perspectives, d'harmonie et de dignité. On sait aussi par exemple que les denrées alimentaires ou leur base, arrivées dans les grands complexes hôteliers de Crète ou de Rhodes, sont massivement importées. Et à force de se mordre la queue à Samos ou à Paros, on finira par l'avaler entière, comme le memorandum d'ailleurs.

Il serait également temps d'aller au-delà de l'anti-mémorandisme. Refuser le memorandum est un but tactique, mais réinventer la société, ses symboles, son imaginaire, et ses équilibres tout en répondant à l'épineuse question de la répartition des richesses et de l'économie-fiction du «funderisme intégral», relèvent de la stratégie. Mais avant de relever cette stratégie, on remplira les plages et les glacières cet été 2012, comme on peut. Un temps occupés par le match Grèce - Allemagne, l'opinion publique ne se remet plus vraiment, d'une fatigue immense. C'est plus que de la fatigue, c'est l'usure.

Match Grèce - Allemagne

J'ai regardé le match sur une place de Ilion, accompagnant mes amis habitant ces quartiers populaires très vivants. Il y avait de l'ambiance certes, mais guère plus. Certains jeunes gens, adeptes du code vestimentaire «aubedorien» ont fait leur apparition portant des drapeaux, dans indifférence quasi-totale. Les drapeaux, c'était pour fêter la victoire, mais ils sont partis bredouilles. Tout le monde a exprimé sa joie lorsque Dimitris Salpingidis a servi Giorgos Samaras pour l'égalisation. Et à chaque fois que les cameras se fixaient sur Angela Merkel, déjà caricaturée dans la presse, nous avons eu droit à un florilège d'insultes.

Pas de chance, et pas seulement pour notre équipe nationale. L'autre Samaras, Antonis, a été opéré d'urgence de l'œil samedi, suite à un décollement de la rétine. Il n'assistera pas au Conseil européen de Bruxelles, jeudi et vendredi prochain. Il sera remplacé par son ministre des Affaires étrangères, a annoncé dimanche «notre» gouvernement. De même, notre nouveau ministre des Finances, le banquier socialiste Vassilis Rapanos, a été hospitalisé vendredi après-midi, il s'est évanoui avant d'être transféré à l'hôpital.De ce fait, la Troïka a du reporter son déplacement à Athènes à une date ultérieure.

Entre-temps, les cinémas en plein air proposent déjà des promotions pour la saison qui s'ouvre. Jadis, c'était un spectacle et habitus très populaire chez les ouvriers et autres prolétaires de l'ancien temps. Il y a très longtemps, bien avant le temps de Star Wars et de son ancienne République. Samaras et les autres joueurs... nos étoiles filantes.

 

Grèce : «Il faut aller au-delà de l'anti-mémorandisme»
Retrouvez Panagiotis Grigoriou sur son blog.
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