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Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

Grèce : «Au coeur de l'été, un pied dans l'histoire, un pied sous l'eau»

Marianne - Mardi 10 Juillet 2012 à 16:00 | Lu 1696 fois

 

Greek Crisis
Historien et ethnologue, ancien correspondant en France pour la revue grecque Nemecis, Panagiotis...

 

Notre blogueur associé Panagioris Grigoriou livre une peinture impressionniste de l'été grec. Le soleil brille, l'atmosphère est chaude. Mais les nuages n'ont pas disparu des esprits.

 

(Le Parthénon à Athènes-Petros Giannakouris/AP/SIPA)
(Le Parthénon à Athènes-Petros Giannakouris/AP/SIPA)
Chaque juillet déjà, nos vies ralentissaient au gré des caprices prévisibles du beau temps trop fixe, et cette semaine n'échappe pas à la règle. Petite canicule, 41° C dès ce lundi, plus le discours de l'investiture de Samaras, c'en est trop. Juin fut déjà un mois très éprouvant pour tous ici. Selon G. Gousos, responsable syndical chez les ambulanciers au SAMU athénien en un mois (début juin – début juillet), les ambulanciers de l'Attique ont recensé 354 tentatives de suicide, dont une cinquantaine, ont été couronnées de succès, selon le reportage du quotidien Avgi (08/07). Rien qu'entre le dimanche 1er juillet et le jeudi 5, cinq autres citoyens de l'agglomération ont volontairement interrompu leur périple. Retour au chaos, au grand vide. Et cette augmentation des «Interruptions Volontaires de Périple» (IVP) serait à mettre en corrélation avec les résultats électoraux, en tout cas partiellement.

Il y a quelques jours, l'écrivain Panos Theodoridis a été licencié du journal Angelioforos de Thessalonique parce qu'il a osé publier deux chroniques, la première portait un regard critique sur Olga Kefalogianni, ministre chargée du Tourisme au cabinet Samaras, fille de Yannis Kefalogiannis, ancien député et ministre (Nouvelle Démocratie) et de Helleni Vardinogiannis, femme issue de cette famille illustre, d'armateurs et raffineurs crétois. Sa deuxième chronique a eu le grand tort d'évoquer le cheminement politique de Kyriakos Mitsotakis (Nouvelle Démocratie), fils de Constantin Mitsotakis (Premier Ministre, 1990-1993) et frère de Dora Bakoyanni, Ministre de la Culture (1992-1993), maire d’Athènes (2003-2006), et ministre des Affaires étrangères (2006-2009). Moralité : à Salonique sous les Troïkans, bien davantage que par le passé, on ne critique par les saintes familles machin. Les syndicats journalistes n'ont pas souhaité réagir, l'Union des écrivains non plus, a noté dimanche le quotidien Avgi (08/07).
 
Sauf que le peuple a voté. Et les «gouvernants» annoncent d'ores et déjà la mise en vente des bijoux de famille, biens et avoirs de l'État. Réseaux d'électricité et d'eau, terres, gisements de pétrole réels ou furtifs, immobilier et pratiquement, l'ensemble des bords de mer allant d'Athènes au Cap Sounion, histoire de faire immerger enfin la Riviera athénienne (sic). Giorgos Trangas, le vieux journaliste ce matin sur les ondes de Real FM, exhorta les «Maîtres Fous» et les autres aménageurs de la grande braderie, «à ne pas tout bétonner et surtout, laisser un accès libre et gratuit vers les plages pour le très bas peuple». Au moment où les liaisons maritimes, période estivale comprise, se raréfient et deviennent alors inabordables au point d'en alarmer les maires d'Ydra, Spetses et Poros, ah, voilà que les temps changent pour tous ou presque : l'ex classe, finalement très moyenne, se voit progressivement interdire de fait la plage et le parasol libre. Pour ce qui est de la grande braderie en tout cas, Alexis Tasipras a menacé les éventuels signataires, d'un futur emprisonnement. Antonis Samaras lui a répondu sèchement : «arrêtez les idioties de ce genre, et alors dites dans ce cas là que c'est moi-même que vous mettrez en prison».

Syriza ou la brèche démocratique

Le temps Syriziste montre d'emblée ses dents, mais rien ne dit qu'il pourra mordre. À cette occasion, et puisqu'il est question de SYRIZA, je voudrais apporter une première réponse à un commentaire plein de sens, qui a été posté récemment, à la suite d'un billet publié sur ce blog : « (…) je trouve que vous n'êtes pas très impartial avec Alexis Tsipras... (…) J'ai un peu l'impression que Syriza se satisfait plutôt bien de ne pas avoir à assumer ses promesses de campagne et à mettre ses blanches mains dans le cambouis, non ? (...) »

Je ne suis peut-être pas un impartial de type idéal, mais je pense toutefois demeurer authentique, c'est à dire, allant dans le sens de l'histoire pour le dire simplement. Je connais en effet le petit monde SYRIZA, partiellement en tout cas, (je re-précise que je ne suis encarté nulle part). Cette gauche représente une possible facette du futur et toujours hypothétique espoir dans ce pays, et bien davantage : Tsipras, s'est opposé (verbalement en tout cas) à la gestion bancocrate de l'Europe et peut-être bien malgré lui a ouvert une brèche à l'édifice, à un moment où pour une fois, les enjeux politiques d'un scrutin étaient réels. Car cela fait des décennies qu'ils ne le sont plus au sein de l'Europe «démocratique». Nos régimes étaient déjà pseudo-démocratiques, des oligarchies démocratiques. Cornélius Castoriadis considérait que notre société n’était pas une démocratie mais «une oligarchie dominée par la bureaucratie des partis», sauf que dans les faits, un certain choix potentiellement démocratique restait encore possible à réaliser, sous conditions certes. S'y ajoute bien évidemment la bureaucratie des banques et des réseaux pour combler notre temps finissant il me semble.
 
Tsipras, ses camarades et cette partie du peuple qui leur ont apporté leurs bulletins de vote, représentent au mieux cette petite brèche, rien de plus, mais c'est déjà immense. Je crois aussi savoir par un certain zeitgeist faisant dans l'implicite, qu'effectivement, certains Syrizistes ont été soulagés : «gouverner sous ces conditions et sans une majorité très large, le bras de fer serait improbable», se disaient-ils entre deux réunions et entre eux. Et voilà que ce parti est en train de se transformer en un grand parti de masse, tout comme l'Aube dorée d'ailleurs, toute proportion gardée. Ainsi SYRIZA, et je dirais presque malgré lui, a incarné une première création d'un certain Front Populaire à confirmer. Quant à certaines positions pro-Européennes de cette gauche radicale, elles laissent vraiment à désirer, mais je ne voudrais pas pour l'instant m'attarder davantage sur cette psychanalyse du politiquement possible ; les lecteurs du blog doivent avoir une idée plus que certaine déjà de mon positionnement sur les affaires de la «maison commune» de l'U.E. et sur la géopolitique. Mais peut-on finalement reprocher à Syriza de n'être pas beaucoup plus mûr politiquement que l'ensemble de la société... Vieux débat dans la philosophie politique, toujours récurrent.

Je dirais aussi, et répondant à un autre commentaire laissé sur le blog, qu'effectivement mon analyse de la société a évolué au fil des événements, non pas en termes très profonds, philosophiques disons, mais en ce qui relèverait de mon rapport au fait social et aux syllogismes collectifs à travers mes observations d'abord, puis par le biais de mes actes, sociaux, interpersonnels et évidemment politiques. C'est ainsi certainement que par les temps qui courent (et qui courent très vite), mon regard sur Syriza par exemple changera, non pas par opportunisme, mais tout simplement parce que l'action, les discours, les représentations et les «acquis évènementiels», me concernant et nous concernant ici (et même ailleurs), en modifieront le regard. Lorsque l'histoire est en excès de vitesse, nos horizons s'obligent à un remodelage constant, espoir ou pas.

«Notre grand cirque»

L'histoire se fera alors et ne jugera finalement personne. Ce midi, dans un café athénien et sous une température de saison, les clients et clientes (la soixantaine passée) lisaient la presse du régime, mais c'est surtout le scepticisme qui régnait. Un mendiant Pakistanais, accompagné d'un enfant, est venu troublé l'ordre des sceptiques, provoquant une altercation. D'abord la serveuse, une jeune femme d'origine étrangère est venue insulter le mendiant le jetant hors de l'établissement. Puis deux clients se sont mis à échanger des propos très politiques et néanmoins polis pour une fois, sur les responsabilités individuelles, collectives, et mondialisantes dans cette situation. Et comme dans tout café de commerce qui se respecte, tout le monde a finalement eu droit à la litanie sur les voleurs politiciens. «Certes, mais moi j'ai cotisé durant quarante ans et j'ai déjà perdu la moitié de ma retraite, le Paki lui, devrait par contre rester chez lui, ici ce n'est pas la terre promise», a déclaré un homme excédé, se sentant fortifié par le vécu de son âge et de ses acquis, désormais sur un radeau de sauvetage. Et comme ce n'était pas la mer à boire non plus, son contradicteur, électeur Syriza selon ses dires, s'est levé brusquement, et a ainsi quitté le café.

Ces derniers jours on sent un certain énervement latent dans les relations avec autrui. Dans le métro, sur les trottoirs et à travers les rocades, lorsqu'elles sont encore fréquentées et fréquentables. Les Aubedoriens quant à eux, exercent une violence quotidienne, souvent diurne d'ailleurs, sur les immigrés. Menaces, intimidations et sang qui coule en silence. La Police observe bien entendu !
 
Ces derniers jours aussi, on se lasse et on se laisse gouverner pour se tourner vers l'insignifiant dans ses frontières de l'été, enfin franchies malgré tout. Déjà, le camping libre se généralise sur certaines plages de l'Attique entre vendredi et dimanche, les âmes ont toujours eu aussi besoin d'un certain néant, qui dirait le contraire ? La Troïka permanente s'installera paraît-il prenant possession d'un immeuble avenue du Pirée, et certains amis Albanais, installés depuis 22 ans à Salamine ne veulent pas quitter la Grèce comme l'ont déjà fait d'autres : «Nous avons notre maison bien à nous enfin depuis deux ans. Nous nous en sortons difficilement comme tout le monde. Mais en Albanie ce n'est plus chez nous vraiment. Même notre accent, l'usage des mots qui est le nôtre de la langue albanaise se trouve modifié. Nos enfants ne connaissent pas d'autre univers que celui de Salamine. Sauf que désormais nous avons peur, et pas que de la crise».
 
Récemment, notre presse, a également évoqué cette annonce de la découverte par les chercheurs du CERN, de cette nouvelle particule qui a toutes les apparences du célèbre boson de Higgs. Les gens restent indifférents car il y a d'autres nouvelles, plus préoccupantes (au sens positif du terme) et pour tout dire utiles : Plus de 7 tonnes de légumes sont gracieusement offerts aux citoyens de Thessalonique aujourd'hui par les services d'urgence humanitaire de la municipalité. Il s'agit d'une action conjointe, menée de concert avec les coopératives agricoles de la région d'Ierapetra, en Crète. On apprend que les stratégies de survie en ville, à Thessalonique plus exactement, se précisent au fil des mois et dans la douleur.
 
Le Théâtre National de la Grèce du Nord, basé à Thessalonique, représente à travers tout le pays cet été, «Notre grand cirque», une pièce historique et musicale célèbre depuis sa première présentation au public, durant les derniers mois de la dictature des Colonels (les séances ont été d'ailleurs interrompues par la police). C'est une vision ironique et satirique des événements grecs depuis le 19ème siècle. L'accent est mis sur la vassalisation du pays et sur les luttes et autres révoltes populaires. J'avais assisté enfant à cette pièce, en 1974, et le message partagé et diffusé par le monde des adultes d'alors c'était : résistance. Cette nouvelle programmation tient-elle du hasard artistique surtout en ce moment ? Les époques se parlent-elles alors ? Et si oui, pour dire quoi au juste ? Que l'histoire n'est qu'un théâtre ?
 
Ce qui n'empêche pas finalement la quête de l'insignifiant et de ses particules. Juillet, cœur de l'été grec, un pied dans l'histoire et un pied sous l'eau, au sens strict et figuré en même temps pour une fois.

Nécrologies du jour : on vient de l'apprendre d'après les médias en ligne : à 15h, on enregistre déjà trois suicides ce lundi. Deux sur l'île d'Eubée (deux hommes, respectivement âgés de 40 et de 80 ans) et un autre homme, âgé de 42 ans, chômeur et père de deux enfants dans le Péloponnèse.

 

Grèce : «Au coeur de l'été, un pied dans l'histoire, un pied sous l'eau»
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