Une nouvelle proposition des conservateurs vise à forcer les bénéficiaires d’aides sociales un peu trop gras à faire du sport... sous peine de perdre leurs allocations.
Musculation et allocations pourraient aller de paire au Royaume-Uni. Cette nouvelle mesure du conseil de Westminster, aussi saugrenue qu’elle puisse paraître, s’inscrit dans une ligne idéologique qui fait recette depuis que les conservateurs sont au pouvoir – pouvoir qu’ils partagent avec les libéraux démocrates – : la stigmatisation des bénéficiaires d’aides de l’Etat.
Pour David Cameron, le système d’aide envoie « un message incroyablement négatif » :
« (Le message) est qu’il y a salaire sans travail. Qu’on vous doit quelque chose pour rien. Ça nous a donné des millions de personnes en âge de travailler, assis chez eux, recevant des aides, avant même que la récession ne nous frappe. Ça a créé une culture de droits acquis (entitlement). »
Ce discours sur la « culture de droit acquis », qui n’est pas sans rappeler le débat français sur « l’assistanat », est relayé par le chancelier George Osborne, ministre des Finances britannique :
« Où est la justice pour le travailleur qui part de chez lui à l’aube et qui regarde les volets fermés de son voisin dormant sur une vie d’aides sociales ? »
Largement attisée par les tabloïds qui la popularisent avec des articles sur ces épiphénomènes, cette critique du système d’aides sociales trouve des échos au sein de la population.
« Lassitude compassionnelle »
Une récente étude de Tuc Poll démontre les fausses perceptions des Britanniques sur la réalité des aides de l’Etat : en moyenne, les sondés pensent que sur l’intégralité des allocations, 41% sont versées aux sans-emplois et 27% sont réclamées frauduleusement. En réalité, ces dépenses représentent respectivement 3% et 0,7% du budget total !
En janvier 2012, l’institut d’étude de marchés Yougov avait sondé les Britanniques sur leurs positions face aux aides sociales. Près des trois quarts des répondants souhaitaient que les dépenses d’allocations soient réduites. Plus de 3 personnes sur 5 pensaient que le système d’allocations avait créé une « culture de la dépendance ».
Les Anglais se « lassent d’être compassionnels », analyse Tonny Stoller, historien des médias et président de la fondation de recherche sociale Joseph Rowntree.
« Ce n’est pas une coïncidence si le changement des attitudes sociales face à ceux qui vivent dans la pauvreté se fait à un moment où une partie de la couverture médiatique est de plus en plus hostile et désobligeante à l’égard des pauvres. »
L’opinion publique de son côté, le gouvernement passe le sécateur dans le budget des allocations. Revue de quelques réformes qui stigmatisent.
1 Des cartes d’achat plutôt que de l’argent pour les « familles à problèmes »
C’est la dernière proposition en date. Alimentée par l’idée que certains bénéficiaires utilisent leurs allocations pour financer leur dépendance à l’alcool, la nicotine, la drogue ou les jeux, les familles « à problèmes » pourraient recevoir une carte de type Navigo ou Monéo avec laquelle ils pourraient acheter seulement des biens « prioritaires ».
Une mesure similaire aux cartes d’allocations mises en place en Australie en août dernier. Certains bénéficiaires australiens reçoivent désormais entre 50% et 70% du montant de leurs aides sur cette carte, valable sur certains produits comme l’essence, la nourriture, les vêtements et les soins médicaux. La mesure avait fait débat dans ce pays, l’Etat s’imisçant dans les choix de consommation des familles.
Au Royaume-Uni, plus de la moitié des Britanniques y seraient favorable, selon un sondage réalisé en octobre 2012. Le ministre du Travail et des pensions, Iain Duncan Smith, espère ainsi aider 120 000 « familles à problèmes » :
« Je cherche en ce moment des façons de s’assurer que cet argent que nous leur donnons pour les soutenir dans leur vie n’est pas utilisé plutôt pour soutenir un certain style de vie. »
Cette même carte pourrait être utilisée pour s’assurer que les bénéficiaires en surpoids aillent faire du sport.
L’Angleterre compte près de 63% d’adultes en surpoids ou obèses, et le ministère de la Santé a évalué le coût des maladies qui en découlent à plus de 6,2 milliards d’euros par an. Dans certaines municipalités, les médecins peuvent prescrire des activités physiques à leurs patients. Des activités qui pourraient devenir obligatoires pour les patients les plus pauvres, dont les allées et venues seraient surveillées grâce à la carte.
Une politique « de la carotte et du bâton » qui a provoqué de virulentes critiques, comme celle de cette journaliste du Guardian qui accuse les conservateurs d’humilier une partie de la population :
« Ce n’est pas une politique de santé ; c’est du simple snobisme, et une humiliation, qui aggrave la pauvreté. »
2 Les jeunes privés d’aide au logement
Dans une question purement rhétorique, George Osborne interrogeait :
« Est-il normal que des jeunes puissent aller directement de l’école à une vie d’allocations au logement, sans d’abord trouver un travail ? »
C’est dans ce climat que le gouvernement a annoncé son intention de supprimer les allocations au logement aux moins de 25 ans. 380 000 jeunes... qui n’auront qu’à retourner chez leurs parents, justifie simplement le Premier ministre.
La mesure – qui n’a pas encore été mise en place – a attiré les foudres des organismes caritatifs. Ils dénoncent un aller simple vers la rue pour des milliers de jeunes. Selon l’organisme caritatif Crisis, déjà plus d’un tiers des sans-abri auraient entre 16 et 24 ans.
L’annonce est d’autant plus mal accueillie qu’elle vient s’ajouter à une mesure sur les logements sociaux encourageant les familles à déménager pour ne pas laisser de chambre vacante, quand un des enfants quitte le foyer familial.
3 Travail obligatoire pour les sans-emploi
En 2011, une armée de jeunes travailleurs débarquait dans les rayons des grandes enseignes – Tesco, Poundland, Sainsbury’s – et dans des organismes communautaires... Sauf que ces travailleurs n’étaient pas payés, mais effectuaient un « stage » non rémunéré, jusqu’à 30 heures par semaine pendant un mois.
Une expérience de travail obligatoire, lancée par le gouvernement pour conserver les allocations de recherche d’emploi – 65 euros par semaine. Les Britanniques tentent de faire fonctionner un tel « workfare-to-work » (allocations en échange de travaux) depuis la fin des années 1990, quand les travaillistes de Tony Blair étaient au pouvoir. Mais jamais ils n’étaient allés aussi loin.
Ce travail gratuit a fait une mauvaise pub pour les enseignes participantes : accusées d’exploiter les jeunes, elles ont déserté une à une le programme.
Une étude du gouvernement a évalué que la mesure n’avait « pas d’impact sur les chances d’être employé ». Malgré tout, le ministre de l’Emploi a annoncé en juin une rallonge de plus de 6 millions d’euros pour le programme, qui devrait désormais toucher 70 000 jeunes. Selon Chris Grayling :
« Nous trouvons qu’un mois d’activité à temps plein peut être vraiment dissuasif pour certaines personnes qui n’essaient pas ou qui jouent avec le système. »