Tollé dans les réseaux militants. Le 11 juillet dernier, Arnaud Montebourg, le Ministre (de gôche) du redressement productif s’est dit prêt à relancer le débat sur les gaz de schiste. En bon productiviste, la déclaration qu’avait faite le candidat Hollande, qui disait ne pas fermer la porte à cette source énergétique si il était élu, n’avait visiblement pas échappé au Ministre. Montebourg est d’ailleurs un des rares en France à s’en souvenir, cette position n’ayant été relayée par aucun des commentateurs de la campagne présidentielle. Trop gênante deux mois seulement après la signature de l’accord entre le PS et EELV ? Mais si Arnaud Montebourg s’est souvenu de la déclaration du candidat Hollande, il a visiblement oublié ses propres promesses de candidat malheureux ( ?) aux primaires socialistes pendant lesquelles il avait déclaré à ce sujet que « l’indépendance énergétique ne doit se faire au prix de catastrophes environnementales ». On peut même trouver sur son blog, une note sur les gaz de schiste où il qualifie tout cela de « mauvaise idée », tape sur Borloo qui en a autorisé les permis et appelle à « repenser la politique énergétique » de la France. Tout un programme…
Quoi qu’il en soit c’est aujourd’hui au tour de Delphine Batho de prendre la parole à ce sujet. La Ministre en charge des questions énergétiques contredit son « collègue et ami ». M.Montebourg se serait un petit peu avancé et aurait donné son avis personnel sur la question. Don’t act, c’est un peu de détente pour les résistants.
Mais ces échanges sont aussi l’occasion pour moi de mettre en garde contre les risques, bien réels à la vue des arguments déployés par le gouvernement, d’une reprise des forages.
Une loi beaucoup moins contraignante qu’il n’y paraît
Les gaz et les huiles de schiste sont autrement appelés hydrocarbures non conventionnels, en opposition au pétrole et au gaz accessibles de façon conventionnelle, par « simple » forage. Cette nouvelle source nécessite une technique particulière plus complexe et plus onéreuse de fracturation (hydraulique) de la roche pour libérer l’hydrocarbure qui en est prisonnier. Cette fracturation nécessite la projection après forage de quantités astronomiques d’eau accompagnées (jusqu’à aujourd’hui et la nuance est de taille) de très nombreux produits chimiques.
Il convient d’abord de rappeler que, suite à la mobilisation de résistance citoyenne de 2010-11, la loi adoptée le 30 juin 2011 n’est pas une loi d’interdiction de l’exploitation et de l’exploration des gaz et des huiles de schiste. Il s’agit d’une loi d’interdiction (ou plutôt de limitation) de l’usage de la fracturation hydraulique, considérant ses effets néfastes constatés pour les nappes phréatiques, les sols et l’air.
L’article 1 : « (…) l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national ».
Cette loi condamne donc la fracturation dans son article 1. Mais elle y déroge immédiatement en son article 2 qui autorise néanmoins les forages d’exploration sous condition d’expérimentation scientifique.
« Il est créé une Commission nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux.
Elle a notamment pour objet d'évaluer les risques environnementaux liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives.
Elle émet un avis public sur les conditions de mise en oeuvre des expérimentations, réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, prévues à l'article 4 ».
Si la technique est prohibée, la porte reste grande ouverte pour l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Car pourquoi se contenter d’interdire la technique et de permettre les recherches si ce n’est pas dans la perspective d’exploiter ces ressources naturelles ? En focalisant ainsi le débat sur la technique et sans toucher à la question de l’exploitation de ces ressources fossiles, l’objectif du gouvernement n’était-il pas de faire retomber la mobilisation populaire avant de « sortir la France de l’interdiction » (qui est le nom de la conférence organisée par l’ancienne Ministre de l’écologie Ministre Nathalie Kosciusko-Morizet, quelques mois seulement après l’adoption de la loi) ?
Un gouvernement dans l’erreur
Que nous dit la Ministre D.Batho dont les propos sont repris par la dépêche AFP d’hier ? «Le gouvernement maintient clairement et nettement sur l’interdiction de l’exploitation des gaz de schiste, car nulle part dans le monde il n’a été prouvé que cette exploitation pouvait se faire sans dégâts considérables sur l’environnement et avec des risques importants pour la santé».
Il est ici clairement énoncé deux choses. Les problèmes sont la technique utilisée d’une part et d’autre part qu’elle est interdite à cause de ses conséquences sociales et environnementales. Delphine Batho est d’ailleurs tout à fait explicite sur la question. Elle précise que ce qui pose problème c’est la technique utilisée pour explorer et exploiter ce type d'énergie fossile «avec des produits chimiques qui ensuite vont dans les nappes phréatiques». L’argumentation du gouvernement est donc le suivant – à savoir le même que le gouvernement Sarkozy – le problème est la fracturation hydraulique et ses conséquences sur l’environnement. Je semble dire que la Ministre a tort. Pourquoi donc, alors qu’il apparaît être du bon sens que le problème de l’exploitation des gaz et des huiles de schiste sont ceux liés à la pollution ? Parce que la bataille est fine.
Je tiens que la façon dont la droite a mené le débat, et qui est ici repris par le gouvernement Ayrault, est volontairement tronquée, sous pression des industriels, et qu’elle évite les éléments de fond que sont plus globalement les questions énergétiques et de réchauffement climatique. Quel est le problème ? L’exploitation de la totalité des réserves conventionnelles d’hydrocarbures connues entrainerait des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 840 milliards de tonnes de GES. Pour rappel, tenir la limite de 2°C de réchauffement climatique, et éviter les désastres sociaux qui vont avec, implique de contenir les émissions en deçà de 700 milliards de tonnes. Or si il est ajouté à cela l’usage qui serait fait des réserves non conventionnelles, les émissions progresseraient de 50% ! Dans le système capitaliste, dont la nature même est l’accumulation du profit, inutile de s’étendre sur le fait que les hydrocarbures non conventionnels ne viendront pas en substitution des autres. Il n’y a aucune place pour les économies, pas une seule goutte ne doit échapper à la logique productiviste ! Autant dire que l’exploitation des gaz et des huiles de schiste relève du pur crime écologique.
Exit donc pour le gouvernement la question de la transition écologique et énergétique. A ce propos, l’éviction de Nicole Bricq du ministère de l’écologie de Ayrault 1 est tout à fait révélatrice de la capacité de pression des pétroliers et des financiers sur le Président de la République. Et Cécile Duflot ne fait pas autre chose que d’abandonner la transition énergétique lorsqu’elle nous explique que les forages en Guyane ne peuvent être évités.
Du risque de reprise des forages
Pendant que le Canada, la Chine et les Etats-Unis notamment ouvrent grandes les vannes des hydrocarbures non conventionnelles pour leurs entreprises, nos pétroliers et gaziers voient cette manne financière considérable, il faut bien le dire, leur échapper. Il leur faut donc convaincre et raconter la belle histoire du respect de l’environnement. Les campagnes marketing et le lobbying battent leur plein pour rendre acceptable cette source énergétique. C’est la raison pour laquelle, dès le début des débats, les foreurs se sont mobilisés pour expliquer que la fracturation « made in France » était « propre ». Tout l’argumentaire tient là. « Ce que vous avez vu comme pollutions aux Etats-Unis n’est que mensonge, « nous » savons faire mieux, il n’y a donc plus de problème et vous pouvez faire sauter les interdictions ».
Stratégie délibérée ou naïveté de la part du gouvernement et d’une partie des « écologistes » ? Il n’en reste pas moins que c’est être dans l’erreur de considérer ce sujet uniquement du point de vue des pollutions locales. Le capitalisme vert aura toujours la ressource nécessaire pour rendre acceptable son système et son mode de production : moins de polluants, plus de « consultation » des citoyens, plus d’éoliennes etc. Il faut au contraire considérer les choses dans leur ensemble, soit ici de la question énergétique et plus globalement de l’écologie. La résistance face aux industriels et aux financiers est donc un impératif. Les politiques de lobbying qu’ils mettent en œuvre, leur capacité avérée de pressions fortes sur le gouvernement actuel démontrent si besoin était, que les risques de reprise des forages sont bien réels. Ils ont seulement besoin du temps pour convaincre les politiques et l’opinion public que leur technique est propre et qu’elle ne présente aucun risque.
Le groupe Front de Gauche avait, à l ‘époque du débat à l’Assemblée Nationale, demandé à ce que les sous-sols soient considérés comme des biens communs de la Nation et ne puissent être ni privatisés ni exploités, notamment au nom de notre dette vis-à-vis des générations futures. Ce sera un enjeu absolument central dans le débat sur la réforme du code minier où les lobbys capitalistes seront ultra mobilisés : comment rétablir le peuple dans sa souveraineté en lui rendant toute sa place dans la gestion des biens communs, et particulièrement ici des sous-sols ?
La meilleure indépendance énergétique vient des économies d’énergie. C’est le seul moyen de renverser la table du productivisme que de mettre en œuvre une politique publique et citoyenne qui soit guidée par l’idée que l’énergie la moins chère et la moins polluante est celle qu’on économise. Il est impératif d’aborder la transition énergétique dès maintenant, en redonnant aux citoyens la capacité de comprendre et de débattre de ces choix, de les faire et de les mettre en œuvre. Voilà ce que propose un socialisme écologique. Nous sommes là bien loin de la bataille environnementaliste des écologistes benêts qui se focalisent là où les capitalistes leur montrent une cible. Car il me semble, au final, que toute la bataille écologique se situe ici : entre l’acceptabilité et l’accompagnement d’un système, maquillés du vernis environnementaliste, ou la rupture radicale avec la capitalisme et son corolaire productiviste.