Nantes, de notre envoyée spéciale
Poursuivi pour avoir blessé au visage un manifestant avec un LBD40×46, arme de première catégorie à viseur de type flashball, le 27 novembre 2007, le policier jugé par le tribunal correctionnel de Nantes encourt jusqu’à sept ans de prison. Une journée et demie d’audience plus tard, la décision a été mise en délibéré au 3 avril 2012.
Suite à une instruction défaillante, le juge a pris le temps nécessaire au débat. Après avoir consacré la journée du 6 mars aux questionnements (notre article), il a laissé place, le 7, aux plaidoiries : moins de témoignages que la veille sur les pratiques policières en matière d’utilisation du flashball et du «lanceur de balles», mais des argumentaires détaillés des différentes parties, permettant de constater des divergences d’intérêts entre le fonctionnaire de police, prêt à «mouiller» un collègue, et le ministère public, en défense de la hiérarchie.
Pour aboutir à la même conclusion : selon eux, les policiers, dépositaires de l'autorité publique, ne peuvent être dans l'illégalité s'ils obéissent à un ordre de leurs supérieurs.
Accompagné de ses proches, Pierre Douillard, 16 ans au moment du drame, qui a perdu l’usage de l’œil droit, a quitté la salle en signe de protestation lorsque l’avocat du prévenu a recommencé à mettre en cause le fait qu’il ait pu identifier son agresseur après le choc subi.
Peinant à convaincre que son client en a blessé un autre (qui n’a pas porté plainte, ce qui exclut tout risque de poursuite), Laurent-Franck Liénard, dans une stratégie de la terre brûlée, s’en est pris aussi bien à l’accusation qu’à la hiérarchie policière. «Où sont les supérieurs qui ont donné les ordres ?» s’est-il interrogé regrettant leur absence. Même l'agent de la Bac, qui a lui aussi ouvert le feu lors de la manifestation, en a pris pour son grade, l’avocat jugeant «inadmissibles» ses déclarations à propos des «tirs à l'aveugle». S’adressant au juge : «Mon client, vous l’avez vu à l’audience. Il est sobre, net, droit dans ses bottes», comme si cela devait garantir sa probité et son innocence.
Lui-même se fait fort de ne défendre que des «victimes-policiers». Il a sa petite idée sur le cadre légal du LBD40×46. La légitime défense ? Balayée. Alors qu’en 2007, les instructions prévoient de limiter l’usage de cette arme à ce seul motif, il estime que les policiers peuvent s’en dégager en cas d’«attroupement», de manifestation, et, plus généralement, dès qu’ils sont «pris à partie par des jets de projectiles». La question de la proportionnalité de la riposte, il ne la pose même pas, puisque, selon lui, un fonctionnaire qui reçoit un ordre n’a d’autre possibilité que d’y obéir.
Expéditif, l’avocat de la défense paraît isolé lorsqu’il reproche au procureur de ne pas avoir explicitement requis la relaxe. «Moi, j’ai l’honneur de prononcer ce mot !» lance-t-il, car «vous ne pouvez pas dire à un policier de 25 ans qu’il va aller en prison parce qu’il respecte la loi et les ordres.»
De fait, Yann Richard, le représentant du ministère public, se contente de demander au juge, à l’issue de son réquisitoire, de tirer les «conséquences légales» de ses propos. Il paraît embarrassé : c'est que, pour parvenir aux mêmes conclusions que l’avocat du policier, il en passe par un argumentaire détruisant en partie sa défense.
Le procureur en est convaincu : Mathieu Léglise a tiré et blessé Pierre. Il affirme même qu'il convient de «s'interroger sur l'usage de ce genre d'arme en maintien de l'ordre», mais que ce n'est pas le moment puisqu'il s'agit d'une question de responsabilité administrative et non pénale. Il souligne aussi l'extrême dangerosité du LBD 40×46 en évoquant des blessures «dramatiques».
Il admet, comme les parties civiles, qu’il n’y a pas eu de sommations, contrairement à ce que prévoit le règlement. Et souligne que le prévenu a échoué à apporter la preuve qu’il a agi en légitime défense. Il n'est toutefois pas prêt à faire condamner un homme, car cela reviendrait à sacrifier la hiérarchie, quand le policier cherche à éviter les sanctions pour lui-même.
Selon l’article 122-4-2 du Code pénal, le fonctionnaire peut refuser d’obéir à un ordre si celui-ci est considéré «manifestement illégal». Saluant le «courage» du commissaire qui «a revendiqué la décision du tir», le parquet livre une vision de la fonction d’agent de l’État laissant peu de place au libre arbitre. «Monsieur Léglise est un gardien de la paix. Il est là pour exécuter, pour aller au contact. Comment aurait-il pu dire que l’acte était illégal alors que toute sa hiérarchie dit le contraire ?»
C’est paradoxalement du côté de l’accusation que le policier est le plus pris au sérieux… de manière qu’il ne puisse pas s’exonérer de sa responsabilité pénale. «Monsieur Léglise est expérimenté, rappelle Catherine Glon, l’avocate de Pierre et ses parents, il a été habilité au tonfa et au flashball» avant de l’être en juin 2007 au LBD40×46.
Pour elle, d’une part le policier à la barre est l’agresseur du jeune Nantais et d’autre part il a commis plusieurs fautes : il n’a pas agi en légitime défense et son geste est disproportionné par rapport au but poursuivi. «Il n’y avait pas de situation de danger (…). Est-il raisonnable d’alléguer la légitime défense quand on tire, à 18 mètres, alors que tout est dégagé devant soi et que vous êtes derrière une grille de fer ?» s’exclame-t-elle, en référence aux circonstances du tir.
Recevoir un caillou sur la tête n’autorise en rien de sortir son LBD, martèle-t-elle ensuite. Peut-il enfin se fonder sur la notion de «commandement de l’autorité légitime» ? Non, selon elle, car sans riposte «nécessaire et proportionnée», cet usage est «manifestement illégal» selon l'expression du Code pénal. Ou alors, demande-t-elle au procureur de la République, «est-ce l’autorisation de tirer n’importe où et n’importe comment ?»
Le représentant de la Ligue des droits de l’homme, qui s’est également constituée partie civile, a rappelé quelques évidences oubliées, comme la liberté de manifester et le risque d'arbitraire lié à l'usage de la violence dite légitime, et s'est élevé contre l’idée d’expérimenter sur des jeunes lors d’une manifestation une arme supposée répondre aux émeutes urbaines. Comme d’autres, Pierre-Henri Marteret a regretté de n’avoir pu entendre à l’audience la hiérarchie policière, si silencieuse aujourd’hui, qui s’en sort sans une éraflure.