La contribution climat énergie risque de peser plus sur les ménages que sur les entreprises, alors que le gouvernement ne prévoit pas pour l’instant de compensations spécifiques à la taxation du CO2 pour les particuliers.
Cela ressemble à un gag : la contribution climat énergie, source de tant de tensions politiques entre socialistes et Verts depuis la rentrée, n’apparaît pas en tant que telle dans la présentation du projet de loi de finances 2014 diffusée aux journalistes mercredi. La hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est signalée (p. 137), mais elle a perdu son intitulé politique, sa marque de fabrique. Ce n’est l’effet ni d’un changement de pied ni d’un changement de sémantique, assure l’entourage du ministre du budget, Bernard Cazeneuve. C’est la traduction technique de l’annonce présidentielle en ouverture de la conférence environnementale (voir ici). Une simple remise à sa – modeste – place, en quelque sorte.
Présentation du budget 2014 par Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve.
Ceux qui malgré tout s’intéressent à cette introduction d’un volet écologique dans la fiscalité française, resteront sur leur faim : le texte dévoilé par le gouvernement mercredi contient très peu de chiffres, et confirme les estimations qui avaient déjà largement fuité. À partir de 2014, les taxes intérieures sur les consommations (TIC) augmenteront par le biais d’une taxe sur les émissions de CO2 qui frappe les carburants et les combustibles fossiles. La taxation du CO2 sur l’essence et le diesel sera intégralement compensée la première année. Si bien qu’en 2014, seules les accises sur le gaz naturel, le fioul lourd (non domestique) et le charbon augmenteront.
La valeur de la tonne de carbone est fixée à 7 euros en 2014, bien en dessous de la taxe carbone qu’avait voulu instaurer Nicolas Sarkozy en 2009 (17 euros la tonne). Elle doit ensuite atteindre 14,5 euros en 2015 et 22 euros en 2016. Cette progression tarifaire est plus forte que dans la proposition de l’économiste Christian de Perthuis, président du comité pour la fiscalité écologique (CFE), qui plaidait pour une assiette carbone de 20 euros en 2020. Elle se situe même au-dessus de la proposition des ONG : autour de 11 euros en 2016, avant une forte poussée pour atteindre 40 euros en 2020 (voir ici). Au total, cette mesure devrait rapporter 340 millions d’euros en 2014, 2,5 milliards en 2015 et 4 milliards en 2016.

Lors de la conférence environnementale, François Hollande s’était fixé pour exigence que la taxation du carbone « ne sanctionne pas les choix de vie » et permette de « préserver le pouvoir d’achat des ménages ». Pourtant, aucune mesure de compensation spécifique n’est budgétée pour l’année 2014. Seuls les professionnels du transport et de la pêche en sont exonérés. Tandis que « les industriels soumis aux quotas de CO2 conserveront leur système », a annoncé le chef de l’État le 19 septembre, c’est-à-dire leur soumission au marché européen de quotas de CO2 (en pleine déroute). Pour le gouvernement, l’extension des tarifs sociaux du gaz à 4 millions de ménages (loi Brottes sur l’énergie) et la baisse à 5 % de la TVA sur les travaux de rénovation énergétique sont des mesures d’accompagnement qui ont vocation à compenser la hausse du coût de l’énergie, l’an prochain. Pour les particuliers se chauffant au gaz, la base carbone à 7 euros représentera en moyenne un coût de 20 euros par an environ, selon les estimations de la fondation Nicolas Hulot (FNH).
Au passage, les ménages se retrouvent à payer la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN), dont ils étaient jusqu'ici exemptés, comme l'a remarqué l'AFP (voir ici) : instaurée en 1986, elle est collectée par les fournisseurs de gaz naturel auprès de leurs clients qui utilisent du gaz à un usage combustible, à de nombreuses exceptions près (voir ici). Le gouvernement a décidé de mettre fin à cette exonération, dans le cadre de la mise en place de la contribution climat énergie.
« Fondamentalement injuste »

Pour après, aucune piste ne semble fermée, mais aucun système n’est arrêté non plus. « On est de nouveau dans un processus de taxe carbone, une fiscalité indirecte fondamentalement injuste, qui ne tient pas compte des capacités contributives des personnes », dénonce Daniel Geneste, délégué de la CGT au comité pour la fiscalité écologique (voir ici). Il dénonce en particulier les exonérations d’assiette carbone, contraires à la philosophie incitative de la fiscalité écologique. Il existe de nombreuses exonérations de la TICPE (voir ici) : avions, navigation maritime, enceinte des établissements de production d’énergie, taxis, production de gaz naturel… La taxation du CO2 devrait peser davantage sur les ménages la première année, puis se répartir à part égale entre les particuliers et les entreprises, prévoit le gouvernement.
« Nous sommes complètement pour la mise en place d’une contribution climat énergie, explique pour la CFDT Dominique Olivier, secrétaire confédéral en charge du développement durable. Mais nous demandons deux correctifs : que tout le monde la paye, et que les ménages modestes soient aidés de manière inversement proportionnelle à leurs revenus. » Au total, les dépenses de fiscalité écologique atteignent entre 1,5 et 1,9 milliard d’euros dans le budget 2014, précise le gouvernement : baisse de la TVA sur la rénovation énergétique, fonds d’aide à la rénovation thermique (FART), crédit d’impôt développement durable, éco-prêt à taux zéro. Si bien que pour Mathieu Orphelin, porte-parole de FNH , « il n’y a pas rien en terme d’accompagnement, sur la rénovation thermique ça tient la route, même s’il manque des mesures de redistribution pour les particuliers ». Le problème, c’est que ces aides proviennent d’autres plans (aide à la rénovation thermique, Grenelle de l’environnement) et ne complètent donc pas les nouvelles mesures de fiscalité carbone.
La contribution climat énergie va-t-elle entraîner un transfert de revenus des ménages vers les entreprises ? En 2016, sur les 4 milliards d’euros que doit rapporter la contribution climat énergie, 3 milliards doivent servir à financer le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE). Il ne restera plus qu’un milliard pour la transition énergétique. Pour Bercy, l’idée est bien de coupler la baisse des cotisations sociales et la montée du coût du carbone. C’est ce que des économistes appellent « le double dividende ».
« Il faut faire attention à ne pas opposer ménages et entreprises : la fiscalité écologique va augmenter les coûts de production, l’effet sera néfaste pour les ménages si du coup les prix augmentent, et réduisent leur pouvoir d’achat, analyse Emmanuel Combet, chercheur au centre international de recherche sur l'environnement et le développement (Cired). Si l’on abaisse les coûts du travail, cela peut générer de l’emploi, et même des hausses de salaires par la négociation sociale. Mais cela exige de la cohérence des politiques publiques et une réflexion plus générale sur l’évolution des prélèvements obligatoires. Il faut penser une réforme d’ensemble. »
Pour Dominique Olivier, de la CFDT : « Nous sommes particulièrement inquiets de voir que ce sont principalement les ménages qui vont payer. Ce n’est pas logique. Pour les industriels et les agriculteurs, le taux de retour sur l’investissement dans l’efficacité énergétique peut être de deux ou trois ans. Alors que pour un ménage investissant dans son logement, il atteint 15 à 20 ans. Les entreprises n’ont aucune excuse pour ne pas s’y engager. » Par la voix de Daniel Geneste, la CGT s’interroge sur les motivations budgétaires réelles de l’exécutif : « On n’est pas dans une recherche d’une fiscalité incitative socialement juste, mais dans la recherche cachée d’un rendement fiscal. Le gouvernement est empêtré dans ses contradictions. »
Le projet de loi de finances 2014 comporte d’autres volets de fiscalité écologique : la suppression progressive de la défiscalisation de certains agrocarburants (déjà annoncée), le renforcement du malus automobile, un léger élargissement de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), pour une recette de 4 millions d’euros.
Et le diesel, pomme de discorde entre écologistes et socialistes ? L’écart entre le gazole et l’essence est à peine raboté : il doit se réduire de 0,5 centime tous les deux ans, par le biais de la hausse de la TICPE. À ce rythme là, il faudra 38 ans pour égaliser les niveaux de ponction fiscale. Les particules fines émanant du diesel « contribuent chaque année à la mort prématurée de 42 000 personnes en France et à l’alourdissement des dépenses de la sécurité sociale, à hauteur de 20 à 30 milliards d’euros, les pouvoirs publics ne pourront pas indéfiniment rester inactifs », a réagi le président de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, Jean-Paul Chanteguet.
En juin, les députés avaient voté une résolution (voir ici) réclamant l’instauration d’une fiscalité écologique, passant par la suppression de la niche fiscale du diesel, ainsi que par des mesures de redistribution sous conditions de ressources. Elle a été votée à l’unanimité des élus EELV et PS. Parmi eux, se trouvait le député du Gers et futur ministre de l’écologie, Philippe Martin.
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