Source : www.leparisien.fr
Élisabeth Fleury et Matthieu Pelloli | Publié le 21 janv. 2014, 07h00
Un ancien salarié de la banque suisse livre un témoignage clé sur les mécanismes d’évasion fiscale pour attirer des clients français. La banque nie toute malversation
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C’est un témoignage anonyme car risqué : les Suisses emprisonnent ceux de leurs ressortissants qui osent braver le secret bancaire. Celui-ci, inédit, émane d’un ancien salarié d’UBS Suisse qui, pendant quatorze ans, a recruté en France des clients à l’évasion fiscale. Aujourd’hui retiré du secteur bancaire, ce quadragénaire a récemment livré son témoignage aux juges Guillaume Daïeff et Serge Tournaire, qui l’ont immédiatement versé à leur dossier. Il pourrait s’avérer déterminant pour la suite de l’enquête.
Comment recrutiez-vous des clients en France ?
Pendant des années, ils venaient de leur propre initiative. Puis, en raison de la concurrence, il nous a fallu devenir plus agressifs. A partir de 2002-2003, notre direction nous a encouragés à travailler de plus en plus avec Paris. Chaque conseiller devait avoir un ou deux contacts en France susceptibles de nous mettre en relation avec de futurs clients.
S’agissait-il toujours d’ouvrir des comptes non déclarés ?
Evidemment. La question ne se posait même pas.
Concrètement, comment s’organisait cette coopération transfrontalière ?
Je prenais contact avec mes futurs clients grâce aux renseignements fournis par mes collègues d’UBS Paris. Nous nous rencontrions ensuite dans des halls ou des chambres d’hôtel, ou parfois à leur domicile, ce qui est préférable : cela permet de connaître l’environnement du client, son mode de vie, ses goûts... Dans tous les cas, il fallait être extrêmement discret.
Quelles étaient les consignes ?
Lorsque nous étions envoyés en France, rien ne devait permettre d’établir un quelconque lien avec UBS. Il fallait donc n’avoir aucun document portant le logo de la banque, pas même une carte Visa. On nous fournissait, pour chaque voyage, un ordinateur vide. Une fois en France, nous récupérions les informations nécessaires — relevés de comptes, contact clients, numéros de téléphone... — sur une plate-forme ultra-sécurisée à laquelle nous ne pouvions accéder que pour la durée de la visite. Toutes ces informations devaient être détruites avant de retraverser la frontière.
Les clients étaient-ils inquiets ?
On savait les rassurer. Certains collègues allaient jusqu’à leur dire que nous étions aussi fiables qu’une valise diplomatique. La vérité, c’est que l’on envoyait tout simplement en Suisse, par la Poste, les documents qu’ils nous confiaient.
Vous est-il arrivé de vous faire prendre ?
Une seule fois, dans le Lausanne-Paris, des douaniers m’ont fouillé. C’était un scénario auquel j’étais préparé. Sur les conseils de ma hiérarchie, je leur ai dit que c’était un voyage privé et que j’allais voir un spectacle. Cela a fonctionné.
Et pour ouvrir le compte en Suisse puis transférer les avoirs, comment opériez-vous ?
Il y avait deux cas de figure. Soit l’argent était déjà caché ailleurs, dans un paradis fiscal par exemple, et le client n’avait qu’à opérer un virement. Soit l’argent avait été déclaré en France et il fallait le sortir en cash, ce qui était plus délicat.
Comment vous y preniez-vous ?
Parfois le client prenait le risque de venir lui-même en Suisse pour y déposer sa fortune, cash ou lingots. Mais le plus souvent, des conseillers d’UBS faisaient la mule en transportant eux-mêmes ces sommes de l’autre côté des Alpes. Sac sur le dos, certains empruntaient les pistes de ski. J’avais moi-même un passeur.
Des précautions particulières étaient-elles prises pour certains clients ?
Il existait chez UBS Suisse un département spécial, baptisé PEP pour « Personnes exposées politiquement ». Il regroupait tous les clients sensibles, soit par le montant de leur fortune, soit par leurs fonctions. L’objectif de la direction, en regroupant ces clients, était d’éviter que trop de noms connus ne circulent au sein de la banque. Les conseillers PEP devaient être d’une disponibilité absolue, ces clients-là sont très exigeants.
Avez-vous croisé certaines de ces personnalités ?
J’ai vu des créatrices de mode françaises ainsi que des footballeurs de l’équipe championne du monde en 1998. Le nom d’un ministre, aussi, circulait. Dans le cadre de nos formations, il était même utilisé, sur des documents types, pour illustrer les montages financiers opaques. On nous disait par exemple : « Monsieur Untel veut prêter de l’argent à son fils, à partir d’un trust situé aux Bermudes, voilà les étapes à suivre... ».
Ce que vous dites est considéré, en Suisse, comme une violation du secret bancaire. Vous risquez, à ce titre, la prison. Pourquoi parlez-vous aujourd’hui ?
J’en ai assez de voir la banque UBS se défausser sur ses employés et tenter de négocier, sur notre dos, avec la justice. Si nous avons agi illégalement, c’était à la demande de la banque.
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