Médiapart
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Le Conseil constitutionnel a censuré jeudi 11 avril une grande partie de la loi instaurant une tarification progressive de l’énergie (voir ici), considérant qu’elle rompt avec le principe d’égalité devant les charges publiques. Ce n’est pas le principe en lui-même du bonus-malus qui est visé, mais le fait qu’il ne s’applique qu’aux particuliers et pas au secteur tertiaire (bureaux, commerce…). « Cette exclusion est sans rapport avec l’objectif de maîtrise des coûts de production et de distribution » des énergies concernées par le texte, à savoir l’électricité, le gaz, et la chaleur, précisent les juges dans un communiqué. Le mode de calcul du bonus-malus pour les immeubles d’habitat collectif pourvus d’installations communes de chauffage est aussi incriminé.
Annoncée pendant la campagne présidentielle, débattue en urgence dès le tout début de la rentrée parlementaire en septembre dernier, cette réforme voulait moduler le tarif acquitté par les ménages pour l’électricité, le gaz et la chaleur, en fonction de leur niveau de consommation, dans leur logement principal et leurs résidences secondaires. C'est ce dispositif qui est aujourd'hui mis à mal. Concrètement, tout le texte n’est pas censuré. L’extension des tarifs sociaux et les mesures en faveur du développement des éoliennes restent valables.
« Le gouvernement ne renonce pas pour autant à l'objectif d'incitation à la maîtrise de la consommation d'énergie et cherchera à y apporter une solution qui tienne compte de cette décision dans le cadre du débat national sur la transition énergétique », a aussitôt réagi Delphine Batho. Mais le ministère ne communiquait pas jeudi soir sur la méthode envisagée pour réparer la loi Brottes : loi sur la transition énergétique à la rentrée, sur le logement… Le flou est total, et l'exécutif semblait bien surpris et impréparé à la mauvaise nouvelle.
« Cette décision est fondée, les motifs de rejet proviennent du même raisonnement que pour la censure de la taxe carbone », analyse l’avocat spécialisé en droit de l’environnement Arnaud Gossement. Fin 2009, le Conseil avait bloqué l’introduction d’une taxation du gaz et des carburants automobile car les entreprises en étaient elles-mêmes dispensées. C’est de nouveau la différence de traitement entre particuliers et monde professionnel que retoque aujourd’hui le juge constitutionnel.
Au contraire, pour Raphaël Claustre, directeur du Comité de liaison des énergies renouvelables (Cler), « cette loi ne peut pas être considérée comme injuste puisque le bonus-malus est neutre pour le consommateur, il n’est pas pénalisant en soi puisqu’il y a aussi du bonus ». De son côté, François Brottes, le député auteur de la loi, a déclaré prendre « cette décision comme un encouragement à trouver une solution qui incite réellement le plus grand nombre aux économies d’énergie ».
En réalité, l’exercice pourrait se révéler ardu, voire impossible. « Pour calculer un bonus-malus, il faut se baser sur des consommations de référence, des comportements homogènes, explique Raphaël Claustre. Mais comment comparer les consommations énergétiques d’une usine, d’un café, d’une boutique et d’un bureau ? Où fixer la barre de la dépense excessive ? C’est impossible. »
Le droit français est-il irrévocablement allergique à toute forme de mesure écologique ? C’est ce que déploraient certains militants jeudi soir. D’autres, à l’image de Bruno Rebelle, membre du comité de pilotage du débat sur la transition énergétique, espéraient profiter des discussions en cours pour rattraper le coup et remettre en selle la loi retoquée.
Depuis les premières heures de sa discussion parlementaire, en septembre dernier, la loi Brottes a connu un véritable supplice, de plus en plus amoindrie au fur et à mesure de son examen par les élus. Si bien que son auteur lui-même avait fini par reconnaître que sa portée n’était plus que symbolique. À l’automne, les sénateurs avaient réalisé un véritable coup d’éclat en rejetant le texte, alors que la gauche est majoritaire dans cet hémicycle. Mais les élus communistes étaient partis en guerre contre le principe de la tarification progressive de l’énergie, l’estimant anti-sociale. La loi avait fini par être adoptée avec retard, en mars dernier, après un dernier baroud d’honneur des sénateurs opposés aux éoliennes (voir ici notre article).
En censurant ce texte de loi, le conseil retoque une mesure phare de la transition énergétique promue par l’exécutif socialiste. En plein débat national, le signal ne peut qu’être mauvais pour les partisans d’un nouveau système, plus sobre, et plus adapté au contexte de raréfaction des ressources naturelles.