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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 22:22

 

Le Monde - 15 février 2012

 

Comme souvent aux 4000, le digicode ne marche pas : la porte d'entrée est ouverte à tous les vents. Une quinzaine de boîtes aux lettres défraîchies. Toutes portent un nom, sauf une, qui en porte cinq. Nous montons l'escalier aux murs tagués de "93", sonnons, et dès l'ouverture de la porte nous reconnaissons des visages, et bientôt des frimousses. Il y a encore trois mois, ces enfants jouaient, mangeaient et dormaient sous des tentes, à 100 mètres de là. Depuis le 11 novembre, ils dorment au chaud dans ce grand appartement. Mais toujours dans l'illégalité.

Dans le nouveau squat... © E.R

Dans le nouveau squat... © E.R

Les 26 adultes et 9 enfants qui squattent cet appartement de six pièces sont tous des anciens squatteurs de la barre Balzac dont nous suivons les péripéties sur ce blog depuis 1 an et demi maintenant (nos lecteurs fidèles peuvent passer le prochain paragraphe).

Flash-back

La plupart sont arrivés en France pour fuir les violences des dernières années du régime de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire. Sans famille pour les héberger, avec de trop petits salaires pour louer dans le parc privé, et parfois sans-papiers, ils avaient trouvé un toit de fortune dans le vieil immeuble vidé de ses locataires en vue de sa démolition, et cela en toute connaissance de l'office HLM qui leur faisait payer des indemnités d'occupation. Il y avait là des hommes seuls, mais aussi des familles. Le 8 juillet 2010, au petit matin, 190 adultes et 49 enfants étaient expulsés par les CRS.

Sur la place de la Fraternité, le 5 octobre 2011. © Elodie Ratsimbazafy

Sur la place de la Fraternité, le 5 octobre 2011. © E.R

Épaulés par l'association Droit au logement, ils décidaient de planter des tentes au pied de la barre. Les CRS les évacuaient le 21 juillet 2010 sans ménagement, une scène dont les images ont été diffusées jusque sur CNN. Après trois mois de manifestations, la préfecture acceptait de payer pour eux des chambres d'hôtels où passer l'hiver : procédure courante – mais très coûteuse – en l'absence de places suffisantes d'hébergement d'urgence. Durant l'hiver des logements étaient trouvés pour certains familles, des titres de séjour obtenus. Au bout de cinq mois, passée la trêve hivernale, la préfecture mettait fin au paiement des chambres d'hôtels. Et le 18 avril 2011, 72 adultes et 36 enfants, sans solution de logement, décidaient de continuer la lutte ensemble en venant installer leurs tentes place de la Fraternité au beau milieu de la cité. Ils vivront là dans des conditions très précaires pendant près de sept mois. Le tribunal administratif de Montreuil a décidé de leur évacuation le 2 novembre 2011.

"Dans les centres d'hébergement d'urgence, il n'y avait pas de place"

Le 7 novembre, les CRS sont arrivés vers 9 heures du matin, ont encerclé la place. Tous ceux qui se trouvaient là ont été mis en rang pour monter dans des cars. Mais d'autres étaient déjà au travail à 9 heures ce matin-là. C'était le cas de Massandjé, 26 ans, et de Sidiki, 35 ans, son compagnon, qui nous accueille ce soir-là dans leur nouveau squat de La Courneuve. Il est agent de sécurité, et gagne un SMIC. "J'étais au travail, c'est ma femme qui m'a averti. Quand je suis arrivé sur place l'endroit était barricadé, on n'a pas pu y avoir accès. Nous avons vu les autres monter dans les cars, nous sommes restés sur place" explique-t-il. Il pensait alors avoir été chanceux. Mais ceux qui sont partis en cars, comme l'hiver dernier, se sont vus proposer des chambres d'hôtels, payées par la préfecture, quand eux, sont restés à la rue.  

"Nous n'avions plus de tentes, nulle part où aller. Nous appelions les centres d'hébergement d'urgence, mais il n'y avait pas de place. Il y avait là des femmes avec des enfants, il faisait froid. La première nuit, elles l'ont passée à l'hôpital. Et un soir, une personne de bonne volonté nous a indiqué qu'un appartement était libre à quelques pas de la place [de la Fraternité à La Courneuve]. Nous sommes allés voir, la porte était ouverte. Et nous nous sommes installés", raconte-t-il.

Sidiki, au premier plan, et quelques-unes de ses colocataires d'infortune, dans leur nouveau squat. © E.R

Sidiki, au premier plan, et quelques-unes de ses colocataires d'infortune, dans leur nouveau squat. © E.R

Depuis, ils y ont fait rebrancher le gaz, l'électricité, une box Internet, et payent chaque mois leurs factures à EDF, GDF et SFR en bonne et due forme. L'appartement compte six pièces, trois chambres pour les couples, deux pour les femmes seules avec enfants, et une pour les hommes célibataires , dont le mur est noirci par l'humidité : l'appartement est vétuste. Un drôle de retour à la case départ, 19 mois après avoir quitté le squat de la vieille barre Balzac : qui aurait cru qu'elle aurait été démolie avant qu'une solution ne soit trouvée pour les expulsés ?

Nouvelle ordonnance d'expulsion

Sur la table, plusieurs lettres d'huissier. Des convocations devant la justice. Mi-janvier, ils ont dû se présenter au tribunal d'instance d'Aubervilliers. Sans avocat : leur demande d'aide juridictionnelle n'a pas abouti. La juge a décidé leur expulsion. "Même si la situation des défendeurs est incontestablement difficile, il est tout aussi incontestable que de nombreuses familles se trouvent dans des situations tout aussi difficiles et qu'il ne peut être admis que ceux qui forcent une porte se retrouvent dans une situation privilégiée du fait de leur action forcée" lit-on sur la décision.

Dans la salle de bains du squat. © E.R

Dans la salle de bains du squat. © E.R

Ils ont jusqu'à fin février pour partir car pour eux la trêve hivernale – qui interdit les expulsions entre le 1er novembre et le 15 mars – ne s'applique pas. "Partir ? Pour aller où? Nous n'avons nulle part où aller" explique Sidiki. Ils s'attendent donc à se voir chasser par les CRS un matin prochain. Mais restent sereins, résignés : "On a l'habitude, ça va faire quatre fois..." Sidiki répète ce que chacun des expulsés nous dit depuis un an et demi : "Nous ne sommes pas des criminels, nous ne sommes pas des voleurs. Nous travaillons. Nous ne demandons pas la pitié. Nous voulons juste un logement. Nous avons de quoi payer : ma femme est en CDI, elle a des papiers, à nous deux nous gagnons 2 500 euros par mois. Mais nos demandes de logement ne passent pas. Que faut-il faire maintenant ?" Et ajoute : "Depuis 2007 je vis en France, j'ai toute ma vie ici. Retourner en Côte d'Ivoire, cela voudrait dire tout reprendre à zéro. J'ai 35 ans. A quel âge pourrais-je fonder une famille ?" Un an et demi après, le problème reste donc entier, pour les nouveaux squatteurs comme pour ceux qui vivent à l'hôtel : jusqu'à quand la préfecture paiera-t-elle leurs chambres ? Peut-on imaginer les voir tous revenir au printemps, replanter leurs tentes sur la place pour la troisième fois ?

Il est 19 h 30, on sonne à la porte. Voilà un autre des expulsés de Balzac qui arrive avec ses deux enfants. Lui fait partie de ceux qui sont hébergés à l'hôtel. Il vit désormais dans les Yvelines à l'autre extrémité de la ligne B du RER. Il travaille à 6 heures chaque matin à Alfortville dans le Val-de-Marne. Mais ses enfants de 5 et 7 ans sont scolarisés en maternelle et en primaire à La Courneuve. Tous les jours, les enfants se lèvent donc à 4 heures pour qu'il ait le temps de les déposer chez une Courneuvienne compréhensive avant de partir travailler. Et de les récupérer en toute fin de journée. L'aîné des enfants, en CE1, écoute le récit de son père. "Pas trop fatigué ?" lui demande-t-on. "Non !" répond-il souriant. Une des femmes lance : "il a le choix ?"

A.L


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