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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 23:03
| Par Pierre Puchot

C'était il y a deux semaines : la presse internationale se réjouissait du déroulement des élections, titrait à l'envi sur «le test de démocratie réussi», quelques jours seulement après avoir couvert abondamment les affrontements de la place Tahrir au Caire, mais aussi d'Alexandrie et de Suez, où les forces de l'ordre avaient tué plus de quarante manifestants.

Démocratie d'un côté, répression meurtrière de l'autre... L'improbable dichotomie pouvait encore se tenir si l'on entrait dans le jeu des autorités, stigmatisant la méchante police d'un côté (condamnant même un policier coupable de tir à balles réelles sur la foule), poussée à bout par les casseurs et «forces antirévolutionnaires»; et l'armée protectrice de la révolution et du peuple de l'autre.

Ce week-end, après la mort de dix manifestants, le doute n'est pourtant plus permis. Et à voir les agents de la police militaire prêter main forte aux policiers des forces anti-émeutes pour pourchasser et tabasser à mort les manifestants de la place Tahrir, le discours officiel a quelque peu perdu de sa force de persuasion.

Ici, l'une des terribles vidéos de la place Tahrir ce week-end, qui ne laisse guère de place aux doutes sur les intentions des autorités :

 

 

Comment comprendre ce décalage entre d'un côté une impression de démocratie naissante et de l'autre la répression la plus sauvage, et ce en plein centre de la capitale ? Dans le détail, les résultats du scrutin sont fidèles aux prévisions, laissant penser qu'ils reflètent le paysage égyptien de la fin 2011. Les partis musulmans conservateurs et islamistes ont remporté le premier tour des élections législatives en Égypte. Selon les chiffres fournis par la Haute commission électorale, les listes des Frères musulmans, du parti salafiste An-Nour et du parti Wassat ont cumulé 65,25 % des voix pour cette première phase des législatives, organisée dans un tiers des gouvernorats, notamment les deux plus grandes villes, Le Caire et Alexandrie.

Pourtant, la désorganisation du scrutin – absence d'isoloirs, d'observateurs internationaux, confusions favorisées par la mixité d'un scrutin à la fois de liste et uninominal – ne devrait tromper personne : songeons que la Tunisie, aux ressources infiniment moins importantes que l'Egypte, est parvenue en un délai (huit mois) de temps équivalent à organiser un scrutin libre et transparent. Pourquoi la puissante Egypte n'en serait-elle pas capable ? Tout simplement parce que, aux yeux des militaires, ce n'est finalement pas cela qui compte. C'est davantage l'image superficielle d'un scrutin démocratique, porté par une majorité de la population égyptienne, qui intéresse le CSFA, qui a même délégué aux citoyens, dans plusieurs localités (dont Zamalek, au Caire), l'organisation du scrutin. En l'occurrence, une participation de 62% – chiffre qui apparaît somme toute assez faible si l'on se rappelle que les Egyptiens ont l'obligation de se rendre aux urnes, sous peine de subir une amende de 500 livres (pour beaucoup, l'équivalent d'un salaire mensuel).

Dans le même temps, l'utilisation de la police pour réprimer les éléments contestataires a permis de sauver les apparences et de préserver quelque peu l'image du CSFA sur le plan international, comme auprès de la population égyptienne, davantage inquiète de la situation économique que de la répression. «La police est sous l'autorité totale de l'armée», nous confiait fin novembre Mohamed, réalisateur qui consacre son premier long métrage, un documentaire de 90 minutes, à la police égyptienne. Le jeune cinéaste décrit une hiérarchie policière frustrée, soumise à l'armée. Comment imaginer que cette police soumise soit à l'origine du climat de chaos, de cette répression retransmise en direct par les caméras des télévisions internationales, qui menace les efforts d'une armée impuissante face aux dérives des policiers?  

Cette double dichotomie – police contre armée, répression contre processus démocratique – a pourtant fonctionné à plein tout au long de l'année, pour justifier aux yeux des diplomaties internationales, comme de la population, la permanence du Conseil supérieur des forces armées au sommet de l'Etat. Un léger retour en arrière permet de prendre la mesure du travail effectué depuis un an par l'armée pour marquer de son empreinte le prochain régime égyptien

Vers un scénario à l'algérienne?

Depuis le début du mois de février, l'armée égyptienne a fait sienne la thématique du double discours que l'on prête si souvent aux organisations musulmanes. D'un côté, l'armée promet d'être la garante du processus de transition vers la démocratie. De l'autre, elle fait tout pour rester maître le plus longtemps possible des affaires publiques, et négocie depuis des mois avec les représentations des institutions (dont le président de la Haute cour constitutionnelle, un juge réformateur arrivé à ce poste grâce à son ancienneté) et les représentants des partis politiques qui formeront le gouvernement issu des législatives. De là proviennent les gesticulations désordonnées des Frères musulmans, d'abord favorables aux manifestations place Tahrir, appelant ensuite leurs partisans à rester chez eux. 

Pour tous, le message est clair : l'armée souhaite garder un pied en politique, échapper aux lois votées par le futur parlement, et conserver le pouvoir de déclarer ou non la guerre à un autre Etat. Pour le faire passer à la société civile, le Conseil supérieur des forces armées s'est employé, dès le lendemain de la révolution, à mater tout début d'opposition. Ce furent les tortures et «tests de virginité» pratiqués sur les militants de la place Tahrir à partir de la fin février, dénoncés en mars par les ONG de défense des droits de l'homme, quand le monde entier avait reporté son attention sur le conflit libyen. (Lire ici le premier communiqué d'Amnesty international sur ce thème.)

Ce fut ensuite le détournement – au profit d'une déclaration élaborée en son sein et promulgué selon sa volonté – du référendum populaire sur la réforme constitutionnelle, dont l'armée s'est affranchie en partie malgré une large victoire du «oui» en faveur des amendements proposés par le CSFA. Ainsi, après notre série de reportages sur cette Egypte en mutation, nous nous demandions dès le mois de mars si l'armée n'avait pas déjà trahi la révolution...

Avant le départ de l'ancien président Moubarak, l'armée contrôlait entre 15% et 20% de l'économie égyptienne selon les estimations. L'intérêt pour le CSFA de demeurer aux commandes du pays est donc essentiellement économique, pour construire un scénario à l'algérienne avec un président pour la façade, un processus électoral en trompe-l'œil, l'apparence d'une opposition politique et d'une presse libre et, surtout, des lignes rouges incertaines qui maintiennent la société civile constamment sous pression et sujette à l'autocensure. 

Cette stratégie est déjà à l'œuvre : pour «insulte envers l'armée», plusieurs journalistes et blogueurs, dont l'emblématique Alaa Abdel Fattah, ont été condamnés à des peines supérieures à trois années de prison ferme. Ce sont en tout plus de 12.000 prisonniers qui ont été jugés de manière expéditive par les tribunaux militaires depuis la fin février. Perceptible au lendemain de la révolution, la reprise en main de l'armée égyptienne est aujourd'hui une certitude, qui laisse craindre que ne s'installe, comme en Algérie, une parodie de démocratie, où le gouvernement et le parlement ne sont que les caisses d'enregistrement des volontés d'une junte bien décidée à accroître peu à peu son emprise sur le pays.

Retrouvez aussi nos dossiers : «Élections en Egypte», et «Egypte : une révolution invisible»

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