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08/01/2012
La Pierre de France est partout. Qu’on soit dans un centre commercial, qu’on soit dans un conseil régional, une gare, une boutique Dior ou Chanel, la Pierre de France est présente au travers des revêtements de marbre, de granite. Elle constitue le pavement, les décors de chacun de ces édifices. Au siècle dernier, on avait vu Haussmann construire Paris avec des pierres de la région parisienne, aujourd’hui ce sont tous les coins de France qui reçoivent cette pierre. Elle est écologique, inutile de passer par des étapes de broyage, de concassage et de chauffage pour en faire des éléments de construction. Elle est brute et prête à l’emploi. Nous sommes allés à la rencontre de cette Pierre de France et de l’entreprise EDM pour voyager au travers de ce monde de la pierre, du marbre. Hélène Loublier et moi-même sommes allés du blog de marbre dans la carrière jusqu’à la dernière création de Davide Macullo qui aime à évider des cubes de marbre pour en faire ressortir la fragilité. Nous sommes allés du tailleur de pierre jusqu’aux hôtels et boutiques de luxe qui se couvrent de ces pierres travaillés, préparées, choisies précisément.
Bienvenu dans cette découverte d’une entreprise EDM, d’un monde celui de la Pierre de France et du marbre dans tous ses états. On y verra du compagnonnage, de la modernisation en pleine crise, des acteurs solidaires, un monde vivant… qui devrait en inspirer d’autres.
Tout commence les pieds dans la boue. Mais, cette matière qui colle aux bottes est plus gluante, plus épaisse que l’argile. On ne s’en débarrasse pas, elle se fixe à nos pieds, nos manteaux, nos effets… Cette poussière de roche amalgamée est partout sur ce terrain lunaire. Des excavations gigantesques semblent sorties d’un film de science-fiction. On dirait un autre monde. On est très très loin des milieux urbains ; dans cet endroit, ni lumière artificielle, ni klaxon, ni immeuble… Dans cette atmosphère on se croirait au milieu d’un cratère, un de ceux qu’aurait pu imaginer Jules Vernes. Comme si un météorite s’était abattu sous nos pieds. La boue est toujours là, engluant chaque pas. Les autres journalistes se pressent pour éviter de glisser tout en restant saisis par ces murs de marbre qui les entourent. Des parois taillées, de plusieurs mètres de haut. Des blocs prêts à être séparés de cette carrière à ciel ouvert. Au-delà d’un petit chemin, un monticule énorme de gravats, de pierres inutilisables… et puis plus loin, le retour à l’origine avec des plantations d’arbres sur une zone anciennement exploitée. Plus loin encore à l’horizon, on devine les cimes d’arbres juchés autour de la plaie béante de cette « mine de pierre ».
Tout y est donc boue, poussière et pierre. Mais plus loin, on y découvre des hommes. Des bleues de travail blanchis par les retombées grisâtres. Il faut imaginer des hommes au milieu de ce paysage dantesque, dans le froid glacial et la neige qui s’emploient à sortir des matériaux de ces veines de marbres et l’extraire des carrières. Des efforts titanesques pour récupérer des blocs de plusieurs tonnes. Il y a la sueur, l’effort et le courage. Une chaîne humaine forte qui s’organise toujours à la manière des compagnons d’autrefois… entraide, solidarité, esprit d’un travail qui élève l’homme… Des équipes bien rodées trouvant pour seul répit que la pitance du midi. Ces hommes-là sont comme Jean qui servira de sherpa à notre découverte. Il a 55 ans, une véritable force de la nature et surtout un œil. Il connaît toutes les carrières du coin. Il connaît chaque pierre, chaque veine, chaque strate. Son expérience est irremplaçable, car il y a plus de trente ans qu’il se colle à ce monde du marbre. Il sait que telle paroi sera fragile, que tel cube de pierre ne vaudra rien. Que tel autre sera précieux, car il aura décelé des motifs d’entroques qui raviront les acheteurs. Oui, Jean est incontournable. Il est d’ailleurs respecté par tous. Son salaire est faible, mais il est un des maillons essentiels du fonctionnement de cette usine à pierre. Il travaille inlassablement, c’est une passion. Peu importe le temps passé, il reste tant qu’il n’a pas jugé avoir fini. Son médecin lui dit pourtant de s’économiser, mais dans ses gènes, c’est autrement qu’on fait… De lui dépend la qualité des gisements qu’on exploitera, de lui sortira ou non des marbres purs. De lui le reste de l’usine dépend si on peut dire. Son œil est essentiel, et déjà on pense à proposer des apprentis pour qu’ils les initient à ce savoir qu’il a acquis au fil du temps… Comme chacun des employés de l’entreprise, il est respecté, car du plus haut de l’entreprise, on voit chaque maillon comme un talent et comme un individu à accompagner précieusement, car l’entreprise à EDM est avant tout un esprit… celui d’une aventure humaine…
L’usine de Sogépierre (Montbart, Nod sur Seine). Nous avons laissé Jean à sa besogne et nous avons rejoint l’usine… Elle est plantée dans ce coin de Bourgogne, à quelques kilomètres des crevasses dont nous venons. Autre monde, autre milieu, autres gens… un point commun… la poussière qui colle nos vêtements, nos narines et nos cheveux… le royaume de la pierre marbrière est à nos pieds, mais il colle de partout… Des hangars sont adaptés à la hauteur des blocs à débiter et à transformer. Des machines-outils dernier cri qui savent élaguer la pierre de ses imperfections. Un arsenal de disqueuses et ponceuses géantes qu’on voit rarement au même endroit. Aucune carrière privée ne pourrait se payer l’ensemble de ce matériel… et c’est sur ce point que René Camart a été révolutionnaire. Dans un secteur très touché par la globalisation, il a su acquérir des dizaines de sites marbriers. Sa méthode est simple : à la suite de l’achat, on respecte les hommes, les chaînes de décision, on insuffle de l’investissement massif et on accompagne la réussite. Avoir 50 carrières, c’est avoir une capacité globale de résistance à une concurrence internationale par exemple. C’est aussi envoyer un signal à l’ensemble des sites français qui n’ont pas à craindre d’être « rachetés », car l’ambition de René Camart c’est de convaincre qu’on est plus fort en rentrant dans son consortium de la pierre et qu’on y est respecté profondément... Il n’y a jamais de chasse aux sorcières comme dans les OPA des grandes entreprises ou le but est de dégommer tous les échelons hiérarchiques d’en face. Dans sa dynamique, il y a un esprit de compagnonnage vrai. C’est probablement qu’il y a la conscience de la pénibilité de ce métier et on y respecte ceux qui ont la même passion de ces roches métamorphiques dont on a construit des villes, des monuments depuis l’ère romaine.
On découvre ainsi une usine fleuron du groupe « EDM ». Les ouvriers s’affairent avec minutie, ici pour affiner une future fontaine. Là, c’est un gaillard qui pose des plaques de marbres régulièrement découpées par des scies à diamants. Encore ici, une énorme roue dentée mord la roche pour donner de quoi faire fonctionner les équipes pendant plusieurs jours. Plus loin ce sont les manutentionnaires qui se déploient pour empaqueter des pierres « vieillies » qui iront daller un grand hôtel, peut être avec tel autre carreau on fera le pavement d’un magasin DIOR… Dans un vacarme infini, une meute d’hommes continue inlassablement de travailler ces roches pour en faire du rêve pour les futurs acquéreurs…
Plus loin dans l’usine on trouve un stigmate de Noel… un sapin aux guirlandes larges se retrouve comme tout maculé de poisse de pierre… mais rien n’y fait… les ouvriers continuent leur labeur… A coté du sapin, le directeur du centre lui aussi suit d’un air minutieux le travail à boucler. Il connaît chacun de ses hommes. En quelques mois depuis son arrivée, il a réussi à fédérer autour de lui une équipe. Il veut un management humain. Il sait que cette usine doit tourner en respectant chacun de ses hommes. Chacun est précieux… quelque soit le poste occupé… L’enjeu pour lui est de réaliser le meilleur pour des clients aux quatre coins du monde et toujours avec le respect de « ses hommes ». Car depuis la carrière jusqu’à la plateforme d’expédition, la chaîne humaine a fourni ce qu’on trouve de meilleur en terme de travail et d’innovation… Autre point culminant d’une entreprise de la sortie de crise.
Luxe, calme et innovation. Dans sa stratégie reposant sur l’humain, EDM a misé sur un pole d’excellence. L’innovation est un point d’ancrage de cette réussite. Ainsi, une technique inspirée de l’aérospatiale a été adaptée au maniement des revêtements de roche. Le fuselage d’une aile d’avion permet désormais de mettre en forme le marbre, de réaliser des formes cintrées… En fait, une tranche de marbre de 2,5 cm repose sur un socle hyperleger en nid d’abeille ce qui permet d’obtenir une structure très résistance, capable de torsion et de mises en forme très fines. Autre propriété non négligeable de ce revêtement c’est sa légèreté… les dispositifs pèsent 150 kg au lieu de plusieurs tonnes par le passé, avec en plus des résistances antisismiques très importantes. EDM a su convaincre le marché de cette technique. Et le résultat en est de pouvoir faire émerger des colonnes de marbre de plus de 10 mètres avec un minimum de matière brute. Permettant une plasticité là ou à une époque on évitait de soumettre le marbre à trop de torsion.
Dans la même logique, EDM a su proposer des marbres de très grande qualité pour produire les dallages de grands hôtels avec un service de maintenance hors pairs… Ceci a permis de conquérir la confiance des Hôtels Georges V, Crillon, Ritz, Meurice, l’Aldon (Berlin)… Et c’est grâce à cette chaîne humaine que ce groupe a pu arriver à cela. Par le perfectionnisme et la volonté d’innovation, ce groupe de 50 carrières a pu transforme le destin noir d’un secteur promis à la faillite en véritable renouveau qui s’exporte aux quatre coins du monde. On y trouve les domaines du luxe, tel Yatch devra se parer de marbre français, tel hôtel sera pavé de dalles de bourgogne, telle boutique Chanel, Dior aura son revêtement bien calibré avec l’image de l’entreprise…
EDM aussi est enfin sensible à l’art et devient mécène quand il le faut. Ainsi, l’entreprise sait se rapprocher de créateurs emblématiques comme Davide Macullo dont l’œuvre récente présentée au siège social de l’entreprise reposait sur des cubes de marbre travaillés aux millimètres prêts à la manière des orfèvres comme pour faire vivre cette pierre en l’évidant. Une dentelle de marbre, cubique montrant fragilité et légèreté… Le soutien de l’art étant comme une forme d’aboutissement en termes d’image et d’engagement de l’entreprise tournant autour de l’humain.
Au travers de ces réalisations, en prenant un peu de recul, on voit ce contraste entre la boue qui collait à nos pieds dans ces mines ultramodernes et ces ornements précis dans les lieux les plus calmes et luxueux de la planète. Ce contraste n’en est pas vraiment un. Car on voit qu’il y depuis l’usine bourguignonne jusqu’à l’entrée de l’Hôtel Georges V, une dynamique humaine respectée avec une passion pour une réalisation, avec un groupe qui sait protéger l’écosystème social des entreprises qu’il rachète. En ce sens, il y a vraiment dans un EDM un cœur d’innovation qui dépasse celui de la pierre et qui le place dans un modèle entrepreneurial nouveau.
En conclusion. Au travers de cette entreprise, on découvre les solutions à la crise actuelle. Ce groupe a une volonté rare, celle d’associer les entreprises et entrepreneurs qui ne seraient pas encore dans leur giron, à une dynamique humaine, car il semble que ce soit le seul moteur de réussite de la société de demain...
Dans ce groupe on considère qu’une entreprise qui réussit c’est avant tout une équipe qui œuvre dans le même sens à tous les niveaux, de l’agent de marketing jusqu’au tailleur de pierre... On comprend qu’un rachat ne veut pas dire liquidation du passé, mais accompagnement pour le meilleur. Plus encore, cette expérience de réussite, au cœur de la crise, montre enfin que sans fraternité et solidarité il est impossible de réussir dans des secteurs concurrentiels. En ce sens, on voit que l’entreprise d’avenir doit être « humaine » et « constructive », « ambitieuse », et c’est ce qui permet d’aboutir au talent et à l’innovation.
Dans une deuxième approche, on sent que ce consortium est en phase avec un patrimoine français qu’il faut préserver. Il évite la perte des savoirs « encyclopédiques et techniques » qui font qu’un pays est indépendant. En ce sens, la stratégie d’EDM est une conservation de l’essentiel dans un secteur précis. Si cette optique est généralisée et adaptée à d’autres corps de métier, il se pourrait bien qu’on évite les délocalisations dont souffre tant la France et qu’un jour nos enfants puissent grandir avec une fierté d’appartenir à une société fraternelle et consciente de ses richesses.
par Yannick Comenge et Hélène Loublier