Source : www.mediapart.fr
La réforme de l’écotaxe va-t-elle permettre que « l’argent revienne aux Français », comme l’a promis Ségolène Royal ? Rien n’est moins sûr. La recette réelle de l'écotaxe pour les comptes publics sera comprise entre 300 et 400 millions d'euros, et non 550 comme annoncé par la ministre. L'État s'apprête à verser entre 100 et 200 millions d'euros à Écomouv.
La transformation de l’écotaxe en péage de transit poids lourds va-t-elle permettre que « l’argent revienne aux Français », comme l’a promis Ségolène Royal lundi matin ? Rien n’est moins sûr, et toute une série de signaux contradictoires sont même détectables. Selon le nouveau système, dévoilé dimanche dans le journal Ouest-France, le quotidien de la région qui fut le principal foyer de résistance au projet de taxe, et confirmé lundi matin par la ministre de l’écologie (sur France Inter, voir ici), le « péage de transit » s’appliquera aux poids lourds de plus de 3,5 tonnes roulant sur un périmètre restreint de 4 000 kilomètres (contre 15 000 initialement prévus), sur des itinéraires supportant plus de 2 500 poids lourds par jour. Il devrait s’appliquer à partir du 1er janvier 2015, après trois mois de tests « à blanc », c’est-à-dire sans payer.
La tarification se fera avec un taux moyen de 13 centimes d'euro par kilomètre, modulable en fonction de la distance parcourue, du niveau de pollution et du nombre d'essieux des camions. Ce nouveau dispositif ne rapporterait qu'environ 500 millions d’euros par an, soit moins de la moitié des 1,1 milliard d’euros escomptés de la précédente version de l’écotaxe. La loi de finance rectificative 2014, soumise au parlement en juillet, devra valider ce dispositif et le réseau routier concerné.
L’objectif initial de cette taxe était d’inciter le transport de marchandises, très émetteur de gaz à effet de serre et cause d’usure des routes, à se reporter de la route vers le rail. La loi Grenelle de l’environnement avait ainsi créé l’éco-redevance poids lourds, en transposition de la directive européenne Eurovignette (voir ici). Mais le gouvernement de François Fillon l’avait transformée en un contrat insensé, particulièrement coûteux pour l’État et ultrafavorable aux intérêts financiers du consortium ad hoc créé pour l’occasion, la société Écomouv (voir ici notre enquête). Le mouvement des Bonnets rouges en Bretagne à l’automne dernier, détruisant portique sur portique pour dénoncer la politique fiscale du gouvernement, effraya l’exécutif qui finit par suspendre l’écotaxe.
Hostile à la fiscalité écologique dans son principe, opposée à l’idée d’une éco-taxe, Ségolène Royal propose aujourd’hui un outil fiscal de faible portée. « De toutes les options sur la table, ils ont choisi la plus basse », se désole Mathieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot, qui s’inquiète pour les dizaines de projets de transport en commun menacés par le déficit de financement par rapport à ce qui était prévu.
Porte-parole des Bonnets rouges, Christian Troadec, le maire de Carhaix, a mal reçu le nouveau système et continue de réclamer la gratuité totale des routes en Bretagne. La carte de la nouvelle redevance épargne la péninsule, à l’exception du tronçon entre Nantes et Saint-Lô, passant par Rennes. Dans la nuit de dimanche à lundi, sur la N171, entre Nantes et Saint-Nazaire, un portique écotaxe a été incendié, alors qu’il ne se trouve pas sur la seule route encore assujettie à la redevance poids lourds. Il a été démonté dans la journée de lundi, si bien qu’il ne reste plus que trois portiques dans le département de Loire-Atlantique (contre six initialement).
La redevance poids lourds proposée par Ségolène Royal a l’avantage de sembler opérationnelle, sous réserve des bons résultats techniques du test à blanc de l’automne prochain. Mais elle présente de nombreux désavantages financiers et risque bien de coûter cher aux contribuables français, malgré les intentions affichées.
- L’accord entre Écomouv et l’État en question
Le groupe Atlantia (Autostrade per l'Italia), actionnaire à 70 % de la société Écomouv, a publié lundi 23 janvier un communiqué qui soulève plusieurs questions. Il annonce être parvenu à un accord avec le gouvernement français sur le contentieux qui les opposait depuis le 29 octobre 2013, jour du report de l’écotaxe. Mais selon le groupe italien, Paris se reconnaît « débiteur » envers lui, et considère « conformes » les réalisations d’Écomouv dans le cadre de son contrat. Le consortium n’aura pas à « souffrir » des dépenses supplémentaires occasionnées par le report de l’écotaxe. Ce protocole d'accord a été signé vendredi 20 juin. Il conclut des discussions démarrées en janvier. Elles avaient quasiment abouti au moment du remaniement du gouvernement, début avril.
Mais pourquoi l’État se reconnaît-il débiteur, à partir du moment où il considère que le système qu’il défait lui était excessivement défavorable ? Le système agréé par le gouvernement Fillon entraînait des « coûts exorbitants », selon Ségolène Royal elle-même (sur France Inter lundi matin). Elle en avait détaillé les aspects embarrassants lors de son audition devant l’Assemblée nationale, le 30 avril. Le coût de la collecte du précédent modèle représentait un quart des recettes attendues, et le taux de rémunération des capitaux propres d’Écomouv représentait 17 %, soit un niveau très élevé. Les frais de gestion étaient plus élevés qu’en Allemagne (mais avec une base fiscale plus basse en France, avec plus de routes exemptées).
La facture correspondant à l’accord entre l’État et Atlantia reste à établir. L'année 2014 sera une année blanche, sans recettes. De combien l'État va-t-il indemniser Écomouv de ce manque à gagner ? Si le contrat avait été résilié, il en aurait coûté 600 millions d'euros, à l'État. Comme il n'est pas résilié, seule l'année blanche de 2014 doit être indemnisée, pour un montant compris entre 100 et 200 millions d'euros. Le report de l'écotaxe est imputable à l'État, mais Écomouv avait trop à perdre en cas de résiliation de son contrat. C'est ainsi que ce chiffre de compromis a été obtenu.
- Quelles seront réellement les recettes de l’écotaxe ?
Les recettes de la nouvelle redevance poids lourds atteindront 550 millions d’euros, selon Ségolène Royal. Mais c'est un chiffre brut, avant d'en soustraire les frais dus à Écomouv. À l'origine, la société devait toucher 230 millions par an pour sa collecte de l'écotaxe. Dans l'état actuel de la redevance, après renégociation des avenants du contrat, elle devrait toucher moins. Si bien que la recette nette de la redevance poids lourds pour les Français devrait être comprise entre 300 et 400 millions d'euros.
À l’origine, les recettes projetées étaient de 1,1 milliard d’euros au total (et non 800 millions, comme l’a dit Michel Sapin lundi matin sur France Info), réparties entre 760 millions d’euros pour l’agence de financement des infrastructures de transport (AFITF), l’agence chargée d’entretien les routes, et 160 millions pour les collectivités territoriales. Le montant exact de la recette escomptée sera revu à la baisse. Le député socialiste Philippe Duron, président de l’AFITF, s’est inquiété lundi soir de ce que les recettes attendues n’atteignent pas celles que devait dégager l’écotaxe ; l’agence « aura besoin de ressources complémentaires qu’il appartiendra au gouvernement d’identifier ».
Un autre coût risque de s’ajouter : celui des 172 portiques construits sur les 11 000 kilomètres de routes sortis du périmètre de la redevance, et désormais inutiles. Qui en portera la charge, et qui paiera pour leur démontage ? La communication d’Atlantia laisse penser que cela pourrait revenir à l’État français, et donc diminuer encore la recette nette de la redevance poids lourds. Selon le ministère de l'écologie, cela doit encore faire l'objet de négociations.
Concrètement, une douzaine de portiques sont hors d'usage (notamment après leur destruction par les Bonnets rouges). La plupart d'entre eux avaient été construits sur les axes les plus empruntés. Si bien qu'entre la moitié et les deux tiers de ces équipements devraient être utilisés pour la redevance (ils ne servent pas à collecter la taxe, mais à s'assurer que les camions sont équipés des boîtiers permettant de mesurer la distance qu'ils parcourent).
- Quelle sera la contribution des sociétés gestionnaires d’autoroutes ?
Le gouvernement veut mettre les gestionnaires d’autoroutes à contribution pour compenser le manque à gagner de la nouvelle écotaxe. Mais comment et à hauteur de combien ? À ce stade, aucun chiffrage n’est mis sur la table. Surtout, ceux-ci sont partis pour bénéficier en contrepartie d’un avantage sans prix : l’extension de leurs juteux contrats de concession. Ségolène Royal affirme vouloir trouver un accord contractuel avec ces groupes, sans nouvelle taxation, et parle de « système gagnant-gagnant ». Les actionnaires de ces sociétés sont les entreprises de travaux publics qui seront aussi les premières bénéficiaires des travaux que va financer la nouvelle redevance… Le gagnant-gagnant promet d’être surtout pour elles, même s'il y aura autant de négociations que de contrats de concession (soit une cinquantaine), considère le ministère de l'écologie.
Ces discussions sont suspendues à la réponse que Bruxelles donnera à la France concernant les travaux qu'elle souhaite entreprendre sur son réseau autoroutier, pour une valeur comprise entre 3,5 et 4 milliards d'euros. Paris souhaite adosser son plan de relance routier aux concessions existantes, en dérogation de la règle de libre concurrence prônée par la commission européenne. Le verdict européen est attendu à l'automne.
- Le gagnant-gagnant des transporteurs
Les autres bénéficiaires de ce nouveau système sont aussi les transporteurs. Car ils ont déjà bénéficié d’avantages concédés en échange du coût anticipé de l’écotaxe : allègement de la taxe à l’essieu, autorisation des 44 tonnes. Au bout du compte, ils ont vu satisfaites d’anciennes revendications pour bien moins cher qu’ils ne le craignaient.
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