C’était une des promesses de François Hollande faite au moment des primaires socialistes à l’automne 2011. Elle lui avait permis de se démarquer encore plus fortement de Martine Aubry. Il serait le candidat qui incarnerait le sérieux et la rigueur dans la conduite des finances publiques. Pendant plus d’un an, François Hollande a ainsi rappelé l’engagement de ramener le déficit public à 3 % dès 2013, comme le voulait le pacte européen. Pourtant, il n’a pas fallu deux jours pour que le gouvernement l’enterre avec célérité.
La séquence de cette remise en cause a été soigneusement orchestrée. Comme à l’été, à l’occasion de l’état des lieux sur les finances publiques, c’est le président de la Cour des comptes, Didier Migaud, qui a brisé le tabou. À l’occasion de la remise du rapport annuel, celui-ci a déclaré que la France ne pourrait pas respecter son engagement de ramener son déficit au seuil des 3 % cette année, au vu de la conjoncture économique. C’était un secret de Polichinelle depuis des mois chez les observateurs économiques. Mais cela a pris les allures d’un vrai tournant politique.
François Hollande a réagi dans la demi-journée à l’annonce du président de la Cour des comptes. « Il ne sert à rien d’afficher des objectifs s’ils ne peuvent pas être tenus », a-t-il expliqué en marge d’un sommet au Luxembourg sur l’acier en Europe et le cas ArcelorMittal. Dans les vingt-quatre heures suivantes, le premier ministre Jean-Marc Ayrault enterrait promptement la promesse faite de ramener le déficit de 4,5 % à 3 % en 2013. « Nous ne serons pas exactement, je pense, aux 3 % en 2013, pour une raison simple, c'est que la croissance en France, en Europe et dans le monde est plus faible que prévu », a déclaré le premier ministre sur France 3. Mais « l'objectif, et il sera atteint, c'est zéro à la fin du quinquennat », a-t-il précisé.
L’abandon du 3 %, chiffre fétichisé par la Commission européenne, n'aurait pu être qu’un simple retour à la réalité. Alors que la récession s’enracine en Europe, l’objectif était inatteignable. Mais ce renoncement en cache bien d’autres. Ce que le dernier sommet européen, marqué par une défaite de la France face aux exigences de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, avait esquissé, se confirme à cette occasion : le gouvernement de François Hollande s’aligne sans conditions sur la politique européenne.
Oubliés les investissements d’avenir et de croissance pour contrebalancer les politiques de rigueur, comme cela avait été promis au moment de l’élection présidentielle puis lors de l’adoption par le parlement du mécanisme européen de stabilité. Oubliée aussi la voie différente que souhaitait emprunter le gouvernement socialiste par rapport à celle préconisée par les gouvernements de droite en Europe. Après avoir essayé pendant à peine neuf mois de mener une politique un peu différente, le gouvernement français rentre dans le rang : le mécanisme européen de stabilité doit s’appliquer à la lettre. Les fameuses « réformes structurelles » déjà imposées à la Grèce, au Portugal, à l’Espagne, à l’Italie, à l’Irlande doivent être mises en œuvre en France.
C’est à cette condition, et à cette condition seulement, que la Commission européenne, à qui il a été délégué le rôle de contrôler voire de censurer des budgets de la zone euro, pourra accepter que la France ne respecte pas son engagement des 3 %, explique-t-on dans les couloirs du pouvoir. Et encore ! L’affaire est loin d’être acquise. Dès lundi matin, Jorg Asmussen, membre de la Banque centrale européenne, indiquait que la France, selon lui, devait impérativement atteindre un déficit de 3 % dès cette année. Dans l’après-midi, le président de la BCE, Mario Draghi, insistait devant le parlement européen sur les risques encourus par la zone euro si les « réformes structurelles n’étaient pas appliquées assez rapidement ». Le décor est planté.
Des réformes structurelles « à la française »
Devenu incontournable dans la mise en scène politique du moment, Didier Migaud s’est une nouvelle fois chargé de préparer l’opinion. « Le problème est que les efforts ont porté sur les recettes mais peu sur la dépense. L’essentiel doit maintenant porter sur la dépense. Des économies sont possibles », a t-il rappelé lors de l’émission le Grand rendez-vous sur Europe 1 dimanche. En un mot, l’heure des réformes structurelles a sonné. « Sans remettre en cause le modèle social français », a-t-il insisté.
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Les recettes européennes sont tellement connues depuis trois ans qu’il est aisé de toutes les retrouver. Toute l’habileté du gouvernement va consisté à les accommoder « à la française ».
Les dépenses publiques sont naturellement en tête de liste. Sans attendre, le gouvernement a déjà annoncé la semaine dernière que les dotations aux collectivités locales seraient réduites de six milliards d’euros en deux ans, soit le double de ce qui était annoncé. Dans la foulée, le ministre du budget, Jérôme Cahuzac, s’apprête à envoyer dès la semaine prochaine des lettres de cadrage budgétaire, soit six semaines plus tôt que d’habitude. Car les débats risquent d’être encore plus houleux que d’habitude et les arbitrages plus douloureux.
À son arrivée, le gouvernement avait annoncé un gel des dépenses publiques jusqu’en 2015, une réduction de 2,5 % des effectifs de la fonction publique – en dehors de la justice, de l’éducation nationale et de la sécurité –, et des économies de fonctionnement de 7 %. Ce cadre budgétaire a entièrement explosé. Pour respecter l’engagement de zéro déficit en 2017, le gouvernement doit viser bien au-delà des 50 milliards d’économies prévus à l’origine. Il faudra trouver peut-être dix à vingt milliards d’euros en plus. Tous les ministères, même ceux qui étaient censés bénéficier d’un surcroît de soutien de l’État, vont être touchés. Chacun va être prié de réviser ses politiques, ses interventions, ses mécanismes d’aide.
Que les politiques publiques tant au niveau de l’État qu’au niveau des collectivités territoriales puissent être remises à plat, peu de monde le conteste. Le maquis des mesures et des mécanismes d’aide de tout ordre, aggravé par une décentralisation non maîtrisée, est tel que les politiques publiques sont devenues illisibles et aboutissent à un gaspillage d’argent public. Seuls les plus malins s’y retrouvent. L’ennui est que cette énième remise à plat, menée dans la précipitation, risque de conduire au même résultat que les précédentes : des coupes arbitraires, menées à partir d’objectifs quantitatifs tout aussi inconsistants que les 3 %, qui désorganisent un peu plus l’appareil d’État en lieu et place d’une vraie réflexion sur son rôle et ses missions aujourd’hui.
Mais ce sont sur les dépenses sociales, bête noire de la Commission européenne, qu’il convient, selon le président de la Cour des comptes, d’avancer le plus. Sur ce point, Didier Migaud a de nombreuses « pistes » à suggérer, toutes en accord avec ce que préconise, là encore, Bruxelles.
Dimanche, le président de la Cour des comptes a ainsi chaudement recommandé de fiscaliser les allocations familiales. Le sujet est régulièrement évoqué. En 2001, la mesure avait été suggérée à Lionel Jospin, alors premier ministre qui l’avait écartée. Au cours de la campagne présidentielle, Bruno Le Maire, un des rédacteurs du programme de Nicolas Sarkozy, s’était lui aussi déclaré en faveur d’une fiscalisation, avant que Nicolas Sarkozy ne lui demande d’oublier prestement cette idée. Depuis cette annonce, c’est un tollé général à droite comme à gauche. L’idée de repenser la politique familiale pourrait être objet de discussion et de concertation. Mais là encore, le risque est grand d’aboutir à un bricolage technocratique, identique à celui auquel on a assisté sur la fiscalité, au lieu d’une vraie réforme fiscale.
Division au gouvernement
Parmi les « suggestions » de la Cour des comptes figurent sans surprise aussi les retraites et l’assurance-chômage, thèmes là aussi chers aux néolibéraux européens. Opportunément, les « sages » de la rue Cambon ont réalisé des travaux récents sur ces deux sujets. Sur les retraites, ils s’inquiètent du fait que la réforme de 2010 ne permette pas d’assurer le financement des régimes après 2018. Le gouvernement s’est déjà emparé du dossier et a demandé un nouveau – le centième ? – rapport sur la situation. Deux pistes de réforme sont déjà évoquées : soit un gel complet des pensions, qui ne seraient plus indexées sur l’inflation – au moins jusqu’en 2018 ; soit un nouvel allongement de la durée de cotisations pour porter la retraite à taux plein à 65 ans minimum.
Par facilité politique, le gouvernement semble tenté de choisir la première voie, moins visible et moins sensible, que la seconde. Comment expliquer en effet que trois ans après une réforme censée résoudre tous les problèmes et à laquelle la gauche s’était vivement opposée, il est nécessaire de revenir sur le dispositif pour le durcir encore ? Les arbitrages devraient être rendus d’ici à la fin du printemps. Entre-temps, les responsables du gouvernement auront peut-être eu le temps de prendre connaissance du dernier rapport sur le surendettement des ménages, qui souligne une augmentation importante des retraités parmi les familles surendettées.
Le rapport de la Cour des comptes sur l’assurance-chômage a été rendu dès la fin janvier. Avec près de 5 millions de chômeurs, dont 3 millions en chômage total, une stagnation de l’économie depuis 2008, la situation financière est devenue explosive. En 2012, l’Unedic est en déficit pour la quatrième année consécutive, avec un déficit de 2,9 milliards d’euros, tandis que son endettement frise les 14 milliards d’euros.
La Cour des comptes a les réponses à ce douloureux problème : diminuer les prestations. D’abord, en supprimant le régime des intermittents du spectacle jugé trop généreux pour l’aligner sur le régime commun. Ensuite, en plafonnant les indemnités pour les revenus les plus élevés. Enfin, en révisant « les règles de l'indemnisation en activité réduite », celles-ci pouvant être une incitation à faire financer par l’Unedic « un revenu de complément durable pour les salariés en activité précaire ». Officiellement, ce dossier n’est pas encore sur la table gouvernementale. Mais il devrait y arriver rapidement sur injonction de l’Europe.
Ces remises en cause annoncées ne marquent pas seulement un revirement complet par rapport aux promesses de campagne. Elles sont en rupture avec la politique défendue par les socialistes et la gauche depuis des années, et plus profondément, elles annoncent un démaillage de tous les principes sociaux et de solidarité énoncés et mis en œuvre après la fin de la deuxième guerre mondiale.
Contrairement à ses calculs, le gouvernement risque de ne pas pouvoir se sortir de l’épreuve en invoquant la crise ou la nécessaire adhésion à la politique européenne. Les premières réactions de Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement, contestant la seule logique financière et la politique d’austérité à sens unique, prouvent que la politique économique divise jusqu’au sein du gouvernement. Le débat à gauche pourrait retrouver les mêmes accents et les mêmes enjeux qu’au printemps 1983.