Source : mediapart.fr
Le groupe aéronautique et de défense a annoncé lundi une vaste réorganisation de son activité de défense et spatiale. 5 800 emplois vont être supprimés d’ici à 2016. EADS, qui va devenir Groupe Airbus au 1er janvier, justifie ces mesures au nom de la rentabilité.
Tout était inscrit dans l’annonce de la réorganisation du groupe et son changement de nom d’EADS en Groupe Airbus, en juillet. Depuis, mille rumeurs circulaient sur les bouleversements à venir, les filiales qui allaient être vendues, celles qui allaient être sacrifiées. Le président d’EADS, Tom Enders, parlait de « mesures draconiennes ».
Les craintes étaient justifiées : EADS a annoncé lundi, lors d’un comité de groupe européen, la suppression de 5 800 emplois dans sa branche défense et espace sur trois ans. Le groupe assure que ces suppressions seront réalisées sans licenciements secs. Tout devrait être fait sur la base du volontariat et la mobilité interne sera favorisée. « Jusqu’à 1 500 postes seront proposés au sein d’Airbus et d’Eurocopter », déclare EADS dans son communiqué. Les départs en retraite ne seront pas remplacés, et les contrats à durée déterminée (1 300 postes) ne seront pas renouvelés. L’addition de ces différentes mesures devrait permettre de limiter le nombre de suppressions de postes entre 1 000 et 1 450, précise EADS.
Malgré cela, l’annonce a provoqué un grand trouble chez les salariés. Au moment où le groupe dit voler de records en records – plus grand nombre d’avions vendus, carnet de commandes archi-plein –, comment justifier de telles restructurations ?
« Compte tenu de la décroissance de nos marchés traditionnels, nous devons d’urgence améliorer notre accès aux clients internationaux et aux marchés en croissance. Pour cela, il nous faut réduire les coûts, éliminer les duplications de produits et de ressources, créer des synergies dans nos opérations et notre portefeuille de produits, et mieux cibler nos efforts de recherche et développement. C’est précisément ce que vise le plan de réorganisation et d’intégration de notre pôle défense et espace », a expliqué Tom Enders. Une analyse que contestent les syndicats, qui reprochent à la direction d’avoir une conduite exclusivement financière de l’entreprise.
À son arrivée à la présidence en juillet 2012, Tom Enders s’était fixé comme objectif de faire d’EADS un groupe normal. Depuis, les salariés ont découvert ce que signifie la « normalité » : EADS – Groupe Airbus à partir du 1er janvier 2014 – se doit d’être comparable en tous points à Boeing tant par son organisation que par ses comptes. La nouvelle norme est que chaque activité dégage une rentabilité de 10 % d’ici à la fin 2015, pour faire mieux que Boeing, qui affiche une marge de 8 % en moyenne.
« Boeing peut afficher de tels résultats grâce au dollar et à des normes comptables qui lui permettent de minimiser dans le temps ses coûts de programme », dit un grand connaisseur du dossier. « EADS n’a pas ces facilités. Dans ces conditions, 10 % de marge est un chiffre totalement irréaliste, qui ne peut que décourager les uns et les autres. Mais c’est aussi un objectif pervers et artificiel. S’il est normal d’envisager des économies, de simplifier les structures, il faut tenir compte des réalités industrielles. Là, la direction fait l’inverse. Elle part du financier pour déterminer un processus opérationnel », dénonce-t-il.
Ces mises en garde sont destinées, pour l’instant, à rester lettre morte. Toute à ses objectifs censés plaire aux marchés et rassurer les nouveaux actionnaires, la direction s’est attaquée aux activités les plus décevantes à ses yeux : la défense et l’espace. Un ensemble de 45 000 salariés, réalisant un chiffre d’affaires de 14 milliards d’euros, mais une marge d’à peine 2,5 %.
À l’annonce du regroupement en juillet des anciennes filiales Cassidian (défense, Eurofighter), Airbus Military (A 400M) et Astrium (espace et satellites) au sein d’une même entité, beaucoup avaient déjà anticipé les restructurations à venir : le regroupement ressemblait trop à un bric-à-brac. Une remise à plat s’imposait. Mais elle va bien au-delà de la disparition des doublons ou d’une meilleure organisation industrielle. Des sites sont appelés à être fermés, d’autres regroupés, et des filiales vendues.
Depuis qu’il a échoué à fusionner avec le britannique BAE Systems, à la suite du veto d’Angela Merkel à l’automne 2012, EADS dit ne plus avoir les mêmes ambitions dans le secteur de la défense. Il justifie les fermetures et les réorganisations au nom du réalisme : il lui est nécessaire de s’adapter aux restrictions budgétaires des budgets de la défense imposées par les États.
La défense n’est quasiment plus une priorité en Europe et les responsables gouvernementaux ont enterré tout projet de construire une Europe de la défense. Aucun grand projet de coopération n’a pris le relais de l’avion de combat européen, l’Eurofighter, arrivé en bout de course. Les grands programmes nationaux tournent au ralenti, quand ils ne sont pas simplement supprimés.
L’Allemagne est le pays qui a réduit le plus ses dépenses, remettant en cause des milliards d’euros de commandes, de l’avion militaire A 400M aux hélicoptères Tigre ou NH 90. À plusieurs reprises, les responsables de Cassidian, qui travaille essentiellement pour la défense allemande, avaient dénoncé les décisions de Berlin, reprochant au gouvernement d’Angela Merkel de sacrifier l’avenir de la branche. Tom Enders avait réitéré l’avertissement à l’automne en soulignant que les réductions budgétaires auraient immanquablement des conséquences sur l’activité et l’emploi.
Pressions allemandes
C'est chose faite. Prenant acte du désengagement de l’État allemand, le groupe a décidé de tailler dans le vif. Environ 2 600 emplois vont disparaître. Le siège de la société, à Unterschleissheim, qui emploie plus de 1 000 salariés dans la banlieue de Munich, va être fermé. Le nouveau siège de la branche défense et espace sera transféré à Ottobrunn, en Bavière, dans d'anciens locaux d'EADS. « Des sites qui sont tous dans des Länder gouvernés par la CDU et la CSU (la formation d’Angela Merkel et de ses alliés) », remarque un observateur, anticipant des difficultés politiques.
Avant même que n’intervienne cette annonce, le syndicat allemand de la métallurgie, IG Metall, avait appelé à une grève fin novembre pour s’opposer aux licenciements à venir : il citait alors le chiffre de 9 000 emplois appelés à disparaître. Le groupe s’est engagé à ouvrir des discussions rapidement avec les organisations syndicales afin de trouver les meilleures solutions de reclassement. Mais les pourparlers s’annoncent compliqués.
Les discussions pourraient être encore plus tendues avec le gouvernement allemand. Tom Enders s’est déjà heurté frontalement avec celui-ci, tant sur le financement de l’A 400M que sur la fusion avec BAE Systems. Le président d’EADS s’est vu reprocher de ne pas assez favoriser l’emploi et l’industrie en Allemagne. Et l’installation du siège du groupe à Toulouse a été vue comme une trahison.
La querelle a repris en octobre, lorsque Günther Butschek, directeur des opérations et numéro deux d'Airbus, a réclamé à l'Allemagne le déblocage d'un prêt de 600 millions d'euros, qu’elle s’était engagée à verser pour le développement du programme de l'A 350. Berlin a conditionné ce paiement à la garantie qu’Airbus amène un important volume d’activités en Allemagne. Alors que ce programme a déjà permis de créer 4 000 emplois outre-Rhin, Airbus a estimé qu’il avait largement rempli ces conditions et qu’il n’irait pas au-delà. Plutôt que de céder aux pressions de Berlin, le groupe a choisi de se passer de son argent, pour bien signifier que le gouvernement allemand n’avait plus la main sur les décisions du groupe.
Les nouveaux arbitrages ne vont pas améliorer les relations avec le gouvernement d’Angela Merkel. « Berlin n’a pas encore compris ni admis que la donne avait changé. Les États n’ont plus de poids sur les choix du groupe. Dans les décisions arrêtées, il n’y a rien de politique. Tout a été décidé sur les seuls critères économiques », dit un proche du dossier.
À titre d’explication, le groupe peut avancer qu’aucun des pays n’a été épargné. Cherchant à rationaliser, il a décidé de revoir toutes les structures anciennes. En Grande-Bretagne, l’activité est appelée à être recentrée sur les trois sites les plus importants entraînant la suppression de 700 emplois. En Espagne, plusieurs sites vont eux aussi être regroupés, et 600 postes supprimés.
En France, 1 600 emplois environ vont disparaître. La vente du siège historique d’EADS, avenue de Montmorency, où travaillent encore 250 personnes, frappe les esprits. Mais elle est surtout symbolique : le siège opérationnel a déjà été transporté à Toulouse.
La réorganisation la plus lourde de conséquence concerne l’activité espace et satellite (ex-Astrium). Là encore, le groupe justifie plans d’économies et de suppression d’emplois par la réduction des budgets et des programmes et par l’apparition de nouveaux concurrents, comme les Chinois, les Russes, ou l’américain Space X, qui proposent des lanceurs à prix cassé. Les activités vont être regroupées sur les sites d’Élancourt et des Mureaux.
Plus discrètement, un grand ménage a déjà commencé dans certaines filiales. Un plan de suppression d’emplois a par exemple déjà été engagé à Spot image, une filiale d’Astrium basée à Sophia Antipolis. De même, une petite entité toulousaine, spécialisée dans les tests sur les équipements d’avions et systèmes de défense, et qui emploie 500 personnes, est en cours de cession. Elle a plus d’un an de chiffre d’affaires (82 millions d’euros) devant elle, 85 millions de trésorerie, fait plus de 4,6 millions de profit, mais le groupe, qui n’y a pas investi depuis dix ans, estime qu’elle n’est pas assez profitable. Avant de la vendre, il compte malgré tout récupérer la trésorerie.
D’autres dossiers ne sont pas encore tranchés, comme celui du site de Cannes, fabriquant des satellites, dont le sort paraît bien compromis. Beaucoup de salariés redoutent le pire. L’abandon d’activités et de sites risque de se poursuivre, voire de s’accélérer, si EADS n’a plus comme seul critère qu’une marge de 10 %, opération par opération. C’est, à l’entendre, le prix de sa normalité : tout pour l’actionnaire.
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